Citations de Philippe Soupault (160)
Lucien Gavard éprouvait le besoin de se sentir entouré. Il cherchait des approbations, et ses subordonnés, qui avaient aisément compris cette nécessité, rivalisaient de " parfaitement juste ", " évidemment ", " merveilleuse idée ".
Le lendemain, Lucien Gavard, en arrivant à son usine, fut averti qu'un accident venait de se produire. Il convoqua aussitôt le chef de l'atelier et, selon son habitude, l'injuria.
Et bien souvent, en apprenant ce qui se passe dans le monde et tout près de nous, je me pose cette question : " Qu'aurait dit Georges Bernanos ? "
Quand mes amis commirent l'erreur de vouloir mettre le surréalisme au service d'un parti politique, je me detachai non sans tristesse mais sans amertume de leur groupe.
Après tant d'années je conserve cette conviction, mais je pense que d'avoir participé si activement au mouvement Dada nous avait puissamment aidés à nous libérer et nous avait permis de mener à bien l'expérience que fut le début du surréalisme.
Les amis de Prague
extrait 2
Il faut encore me tendre la main
de temps en temps
quand vous regardez
une grande maison toute neuve
quand vous écoutez le vent
qui dit ami
Il faut quelquefois
oublier
mais pas trop
votre ami
Maintenant
dans le cercle des jours
je ne cherche pas seulement à revoir
la petite rue de l’or
ou les vitraux de la cathédrale de St. Vit
ou encore le cimetière juif
et l’horloge du souvenir
Maintenant
je vois entre vos mains
qui sont plus grandes que moi
et qui tournent
comme les hélices
Je sais que je ne peux oublier
la grande musique
qui se nourrit des reflets
du fleuve cygne
et qui bondit hors la ville
autour des grandes collines
c’est le rendez-vous des amis
le rendez-vous des tramways lents et rouges
et le chant multicolore
de toute l’amitié triomphante
(Poèmes 1917 – 1937)
Les amis de Prague
extrait 1
On m’a dit
le temps vole
Il y a là-bas au sommet de la route
cette ville
qui bat
Il y a près de ce cœur
des amis qui dorment
et qui s’éveillent
quand les grandes cloches
tonnent
Je vous ai reconnus
parce que vous teniez
un chant dans la main droite
et dans la main gauche
un miroir pour y enfermer le soleil
Vous gardiez sous vos paupières
des yeux qui brillaient
comme des couteaux
et j’ai lu dans vos gestes
tous les messages
du pays que nous avions parcouru
ensemble
autrefois
aujourd’hui
Je ne sais pas oublier
le goût doux du café crème
et le son bleu comme l’alcool
de toutes vos voix
Vous êtes là
trois quatre cinq six sept
vous êtes toute une armée
et vous êtes tout seul
devant vous-même
avec le courage des jours de pluie
et de la neige des saisons
…
(Poèmes 1917 – 1937)
Regarder un animal dans le blanc des yeux
sans rougir
sans avoir l'air d'y toucher
en louchant si possible
en tapant du pied
en frappant des mains
... Et le reste
Je n’ai plus tellement envie de chanter
j’ai envie de dessiner
parce que désormais
je préfère le silence
et regarder les étoiles
plus silencieuses que la mer
que le vent et les insectes
Taisez-vous Tais toi
c’est mon cœur qui bat
et que je n’entends pas
mai qui ne me l’envoie pas dire
et que j’écoute en vain
quand la nuit précède le silence
le sommeil ou la mort
Vous qui frappez à ma porte
sachez que je ne réponds plus
je suis sourd comme un Soupault
et muet comme un cachalot
Les sonnettes et les champignons
se marieront si nous voulons
près des ruches
les bonbons et les cigarettes
rouleront si nous les volons
en cachatte
Il ne reste plus qu'à courir
avec des lorgnons
avec des lunettes
AU CREPUSCULE
Bonsoir doux amour
Comme disait Shakespeare
Bonsoir mon petit pote
Comme disait Jules
Bonsoir mon père
Comme disait l’enfant de chœur
Bonsoir bonsoir mon fils
Comme disait le curé
Bonsoir vieille noix
Comme disait l’enfant de chœur
Bonsoir mon chou
Comme dit le jardinier
Bonsoir les enfants
Comme disent les enfants
Ariane bonsoir ma sœur
Comme aurait dit Racine
Bonsoir mon trésor
Comme disent les banquiers
Bonsoir ma cocotte
Comme dit la fermière
Bonsoir mon loup
Comme dit la bergère
Bonsoir les amoureux
Comme disent les eunuques
Bonsoir bonsoir bonsoir
Comme disent les inconnus
Mille bonsoirs de bonsoirs
Comme disent les militaires
Les nourrices et les chaisières
Bonsoir tout le monde
Comme tout le monde dit
Vos gueules là-dedans
Disent enfin les poètes
Et comme ils ont raison
EPITAPHES (1919)
Dans ces « Epitaphes » seul le premier (Arthur Cravan – 1887-1918) est mort. Au moment de la publication (juin 1920), Georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974), Francis Picabia (1879-1953), Théodore Fraenkel (1896-1964), Marie Laurencin (1883-1956), Louis Aragon (1897-1982), Paul Éluard (1895-1952), Tristan Tzara (1896-1963) et André Breton (1896-1966), sont toujours vivants. Philippe Soupault (1897-1990) leur a tous survécu, et de beaucoup. (note de Lamifranz)
ARTHUR CRAVAN
Les marchands des quatre-saisons ont émigré au Mexique
Vieux boxeur tu es mort là-bas
Tu ne sais même pas pourquoi
Tu criais plus fort que nous dans les palaces d’Amérique
Et dans tous les cafés de Paris
Tu ne t’es jamais regardé dans une glace
Tu as villégiaturé à l’hôpital
Qu’est-ce que tu vas faire au ciel mon vieux
Je n’ai plus rien à te cacher
La Seine coule encore devant ma fenêtre
Tes amis sont très riches
J’ai une envie folle de fumer
*
GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES
Autour de ta tombe
On creuse des trous un peu partout
Pour y planter des géraniums et des concombres
Ils fleuriront un jour ou l’autre
mais personne ne le saura
et tu seras là bien tranquille
*
FRANCIS PICABIA
Pourquoi
As-tu voulu qu’on t’enterre avec tes quatre chiens
Un journal
Et ton chapeau
Tu as demandé qu’on écrive sur ta tombe
Bon voyage
On va encore te prendre pour un fou là-haut
*
THEODORE FRANKEL
Il faisait un temps magnifique quand tu es mort
Le cimetière était si joli
Que personne ne pouvait être triste
On s’aperçoit depuis quelque temps que tu n’es plus là
Je n’entends pas tes ricanements
Tu te tais
Ou tu hausses les épaules
Tu ne voudras jamais connaître le paradis
Tu ne sais plus où aller
Mais tu t’en moques
*
MARIE LAURENCIN
Ce bel oiseau dans sa cage
C’est ton sourire dans la tombe
Les feuilles dansent
Il va pleuvoir très longtemps
Ce soir avant de m’en aller
Je vais voir fleurir les arbres
Une biche s’approchera doucement
Les nuages tu sais sont roses et bleus
*
LOUIS ARAGON
Tes petites amies font une ronde
Elles t’ont tressé des couronnes
Avec tes petits mensonges
Je t’ai apporté du papier
Et une très bonne plume
Tu feras des poèmes pendant l’Eternité
Ton ange gardien te console
Il noue ta cravate lavallière
Et t’apprend à sourire
Tu m’as déjà oublié
Dieu est beaucoup plus beau que moi
*
PAUL ELUARD
Emporte là-haut ta canne et tes gants
Tiens-toi droit
Les yeux fermés
Les nuages de coton sont loin
Et tu es parti sans me dire adieu
Il pleut
Il pleut
Il pleut
*
TRISTAN TZARA
Qui est là
Tu ne l’as pas serré la main
On a beaucoup ri quand on a appris ta mort
On avait tellement peur que tu sois éternel
Ton dernier soupir
Ton dernier sourire
Ni fleurs ni couronnes
Simplement les petites automobiles
Et les papillons de cinq mètres de longueur
*
ANDRE BRETON
J’ai bien aperçu ton regard
Quand je t’ai fermé les yeux
Tu m’avais défendu d’être triste
Et j’ai quand même beaucoup pleuré
Tu ne me diras plus
tout de même tout de même
Les anges sont venus près de ton lit
Mais ils n’ont rien dit
C’est beau la mort
Comme tu dois rire tout seul
Maintenant qu’on ne te voit plus
Ta canne est dans un coin
Il y a beaucoup de gens qui ont apporté des fleurs
On a même prononcé des discours
Je n’ai rien dit
J’ai pensé à toi
*
Je ne me lasse jamais de lire, relire et dire "Georgia" un de mes poèmes préféré.
Aimons les fleurs et leur parfum
aimons-les surtout pour elles
les narcisses lilas ou jasmins
Ne pensons plus à la vaisselle
Souvenons-nous du romarin
Choisissons parmi les plus belles
la rose l’œillet ou le thym
Ne pensons plus à la vaisselle
N’oublions pas le plantin
Fleur aimée des coccinelles
des papillons et des serins
Ne pensons plus à la vaisselle
[Pour la vaisselle]
Seul tout seul
comme un grand comme un petit
à la poursuite des nuages
et de cette nuit qui n'a ni commencement ni fin
[OUTRE]
POUR UN DICTIONNAIRE
Philippe Soupault dans son lit
né un lundi
baptisé un mardi
marié un mercredi
malade un jeudi
agonisant un vendredi
mort un samedi
enterré un dimanche
c'est la vie de Philippe Soupault
Je ne dors pas Georgia
je lance des flèches dans la nuit Georgia
j'attends Georgia
je pense Georgia
Le feu est comme la neige Georgia
La nuit est ma voisine Georgia
j'écoute les bruits tous sans exception Georgia
je vois la fumée qui monte et qui fuit Georgia
je marche à pas de loups dans l'ombre Georgia
je cours voici la rue les faubourgs Georgia
On ne demande pas de preuves à l'amitié, mais des évidences.
C'était l'époque où presque chaque jour l'on découvrait, soit dans le canal Saint-Martin, soit sous le porche d'une église, soit sous une vulgaire porte cochère, une collection de membres soigneusement sciés et coupés, enveloppés dans un sac. Ce qui semblait particulièrement remarquable c'était que lorsqu'on faisait l'inventaire, il manquait régulièrement la tête ou les mains de la victime.
Un cadavre nous fait buter contre l'éternel.