Citations de Pierre Cendors (151)
La hauteur chante ce qu'on parle dans la profondeur.
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Sans frontières, parfois sans nom,
Nous ne régnons pas, nous allons.
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Je n'étais jamais venue à cet endroit de ma vie.
Ce n’était ni la séduction sombre qu’offrait une sépulture paysagère, ni le sortilège du rien – cette ultième illusion du désillusionné – pas plus que la fascination initiale que L’Énigmaire continuait d’exercer sur moi. C’était autre chose, de plus obscur, une notule au bas d’une page, quelques mots dans un journal, qu’il m’avait fallu relire à plusieurs reprises avant de comprendre que je n’y parvenais pas, c’était inutile, une partie de ma pensée, la partie louve, courrait ailleurs, avec ce bout de phrase dépassant de sa gueule.
On réclamait sa présence sur plusieurs chantiers, mais Nordhal ne quittait plus son bureau, ses livres et une statuette de prix dont la grâce en mélancolisait l'austérité monastique. De tous les endroits où l'architecte était attendu, cette retraite, une bibliothèque équipée d'un large plan de travail située dans une aile déserte du domaine, était le seul à abriter un chantier d'une architecture aussi dépouillée : la solitude d'un homme.
Ce que nous sommes en réalité (...) n'est bien souvent qu'une proposition de l'esprit - pas deux ni trois - un seul jeu de pensées, un trousseau réduit à une seule croyance qui ne déverrouillera jamais les portes que d'une unique maison, la vôtre, en vous lassant toutes celles d'une ville fermées au nez.
A moins de se procurer un passe (...)
L'imagination est ce passe et quelque chose d'autre encore. Quelque chose qui a trait au silence nocturne des nappes souterraines, au sommeil sous perfusion des plantes, au rayonnement psychofluidique du cosmos où le temps s'écoule, délitant les pensées dans son courant tout en vous emportant, vous ne savez ni pourquoi ni comment, loin dans ses profondeurs troubles et immobiles, là où abonde une vie muette.
Je me suis levé au milieu de ma vie. Il faisait noir. Le sommeil m’avait fui. Une profondeur glacée sourdait de mon être. Rien n’y remuait, tout hivernait. J’ai marché longtemps en moi avec une sorte de vitesse immobile, de lenteur agrandie, de vertige épuisé. Le regard infatigué, pourtant, rendu plus lucide par le grand calme d’une nuit blanche. Je n’ai rencontré personne. Dans l’obscurité, les nuages semblaient filer à contre-vent. Je me suis accoudé sur le pont d’un silence. A l’aube, j’ai poursuivi mon chemin. » (incipit)
[…] les mots sont des yeux qui aident à sonder nos tréfonds, même à notre insu.
Si les mots savent habiller nos sentiments et nos pensées, ils échouent à nous mettre à nu. La nudité de l’être use leur étoffe jusqu’à atteindre une transparence peu dicible.
Sait-on même si c’est parler de l’amour avec plus de vérité que d’en parler avec cette délicatesse gantée ? Comme si nos mots, chacune de nos paroles, ne faisaient jamais que coudre des lèvres sur ce qui saigne.
Pourquoi, partout, à tout moment, nous chercher du regard ailleurs qu’en nous-même ? Pourquoi est-il si difficile d’entrer en soi si c’est là, paraît-il, que nous sommes ? Je veux regarder mon âme. Je veux la voir avec toute ma pensée, même si ma pensée ne va pas jusque-là. Pourquoi un regard, un visage inconnu, en aurait-il seul le pouvoir ? Il est aisé d’éprouver de l’amour, ardu d’aimer.
Le passage a toujours été étroit entre le monde et moi. Enfant déjà, mon âme pesait de tout son ciel contre ses barreaux. Je dis âme comme je dis enfance et c’est votre visage que je vois. Mais vous n’êtes pas là et je ne suis plus assez enfant et trop homme pour souffrir tardivement d’espérance.
Nous recherchons tous la même chose dans la vie, même si personne sur terre ne sait pourquoi on naît précisément là où on ne la trouve pas. Les principales religions mondiales affirmaient bien sûr le contraire, proclamant : Le royaume est en toi.
À quoi [...] je répliquais : Alors, on est foutu.
L'habitude, cette économie mentale qui spolie l'homme de sa plénitude, [...]
Solitude. La solitude nous construit en commençant par nous détruire. Sans elle, je n'aurais eu ni a force de rester ni celle de partir.
Quand je repense, aujourd'hui, à cette période de ma vie, il me semble revivre l'une de ces ultimes journées de redoux qui, au milieu d'un automne froid et pluvieux, en achèvent le découronnement.
Il existe pour chacun dans le monde quelques points de jonction géographique, de sites extatiques, d’aires de vision où, dans un vallon, une lande rocailleuse, une boulaie sauvage, une largeur fluviale, affleure l’invisible dehors. (p. 72)
J’appelle cette résurgence sauvage d’un paysage originel, archaïque, archétypal, qui libère l’homme de ce qui l’enferme, redéploie ses énergies captives et les cosmise à nouveau : l’invisible dehors. (p. 72)
Dans le même mouvement, prendre de la distance et gagner en proximité. (p. 47)
Un jour, lieutenant, vous m’avez demandé pourquoi je m’étais engagé et ce que j’étais venu chercher dans cet enfer. La dévastation m’a conduit à cette guerre. Je n’ai pas besoin de vous dire que peu en reviendront. Et ceux qui en réchapperont seront tombés d’une autre manière. Moi, je suis tombé bien avant. Au moment de mon arrivée, je portais le deuil de mon enfance. J’avais vingt ans. Il était minuit en mon silence.
Existe-t-il ici-bas une liberté qui rend libre ?
Pourquoi est-il si difficile d’entrer en soi si c’est là, paraît-il que nous sommes ?