AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Pierre Clastres (15)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Chronique des Indiens guayaki

Une plongée au cœur de l’Amazonie au sein d’un peuple qui tend à disparaître ou plus exactement dont le mode de vie évolue à toute vitesse. Ce livre, très bien écrit, nous dépayse complètement et nous amène à nous poser de nombreuses questions sur notre propre façon de vivre au quotidien. Ce récit nous permet d’accompagner au jour le jour les indiens Guayaki et de les découvrir à travers leurs relations de couple, leur croyance, leur courage et leur cruauté aussi. Un très bon ouvrage anthropologique qui se lit comme un roman.
Commenter  J’apprécie          150
La Société contre l'Etat : Recherches d'anthr..

Les sociétés dites « primitives » fonctionnent sans État ni pouvoir non pas parce qu’elles n’auraient pas encore atteint ce stade de développement mais parce qu’intuitivement elles ont compris qu’elles devaient éviter leur apparition pour les garantir de la violence.

(...)



Lecture absolument indispensable !







Article très complet en suivant le lien.
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
Commenter  J’apprécie          140
Chronique des Indiens guayaki

Les Guayaki sont des indiens à la peau claire de la forêt paraguayenne, décrits par les missions jésuites au 18ème siècle à l’époque où ils pratiquaient l’agriculture, connaissance qu’ils ont perdue depuis. Ce sont des chasseurs-cueilleurs qui vivent principalement du gibier – l’aliment valorisé –, de la pulpe du palmito, du miel sauvage, de larves et de fruits cueillis par les femmes. Ils ont trois sortes de prédateurs : les jaguars, les Guaranis et les blancs. Ils se nomment eux-mêmes les Aché (« les gens »), le terme Guayaki (« rats enragés ») étant l’appellation que leur donnent les Guaranis. Dans les derniers siècles, les Guaranis puis les blancs ont repoussés les Aché loin dans la forêt primaire où ils survivaient par petits groupes.



Clastres arrive en 1963 à Arroyo Moroti où une tribu Aché qui a capitulé en 1959 est devenue semi-nomade sous la protection de Léon Cadogan, un blanc qui a fait l’effort de parler leur langue et les fait travailler dans ses jardins en échange de sa protection. Clastres décrit leur vie, leurs croyances et, annonce-t-il, leur refus de l’état. Il est conscient d’observer une culture crépusculaire, citant son aîné Alfred Métraux : « Pour pouvoir étudier une société primitive, il faut qu’elle soit déjà un peu pourrie » (page 76).



Le livre commence par la scène intime d’une naissance dont l’ethnologue décrit les rites et en infère une genèse. Il observe ensuite l’initiation des adolescents mâles (pose du labret, exposition à la colère feinte des adultes, fabrication de l’arc) qui ouvre le droit de séduire les femmes ; leur soumission à de nouveaux rites (profondes scarifications dorsales) des années plus tard, qui leur donne le droit de se marier ; les rites qui suivent les premières règles des adolescentes (purification de la fille et de ses amants [ou séducteurs ?]), suivie d’une flagellation et de scarifications ventrales) ; les relations entre générations et entre parents, marquées par de nombreux tabous ; les combats rituels entre chasseurs qui n’entraînent pas en principe de mort d’homme; l’euthanasie des anciens qui ne peuvent plus marcher ; l’avortement ou l’infanticide en période de migration ou de disette ; enfin les vengeances rituelles contre le sort: on tue les enfants pour venger symboliquement et accompagner les pères morts dans la force de l’âge, et plus précisément les fillettes pour épargner les futurs chasseurs, d’où un déficit de femmes qui impose la polyandrie et entraîne l’extinction démographique de la tribu ; et enfin la persistance du cannibalisme.



Clastres écrit qu’à son arrivée chez les Aché « Je m’attendais, excitation délicieuse [sic], à me trouver au milieu d’une tribu cannibale. Déception… Ils ne l’étaient pas » (page 252). Ce n’est qu’à la fin d’un séjour d’un an qu’il apprend, par le bavardage d’une vieille femme, que les Aché pratiquent un endo-cannibalisme des morts. Une fois le secret éventé - un secret visant l’employeur paraguayen et volontiers partagé avec le blanc qui cohabite avec les Aché - les langues se délient. On mange les morts, tous les morts, pour le goût de la chair humaine, pour écarter l’angoisse de la mort, et pour neutraliser l’âme du défunt dont le retour serait dangereux pour les vivants.



La cohésion sociale des tribus Aché tient au partage obligé des produits de la chasse : « Un homme en effet ne consomme jamais son propre gibier : tel est la loi qui règle, chez les Aché, la répartition de la nourriture. Je tue un animal, mon épouse le découpe, car cela m’est interdit. Elle conserve pour elle-même et les enfants quelques morceaux, et le reste est distribué aux compagnons : d’abord à la parenté, frères et beaux-frères, puis aux autres » (p 231). Les chasseurs redoutent le pane, le mauvais sort qui fait fuir ou manquer le gibier : « Si l’origine du pane est parfois mystérieuse, en d’autres circonstances on peut lui assigner en toute certitude sa cause. L’une, si fatale que nul ne songerait un instant à jouer avec le feu, c’est l’acte de consommer son propre gibier, c’est le refus de l’échange » (p 232).



L’éthique que Clastres attribue aux Aché reprend un schéma hellénique : « Cela aussi est enseigné au kybuchu (adolescent qui accompagne son père à la chasse) : vivre de la forêt en évitant la démesure, respecter le monde qui est un pour le conserver généreux » (page 128). « Là-même gît le secret, et le savoir qu’en ont les Indiens : l’excès, la démesure sans cesse tentent d’altérer le mouvement des choses, et la tâche des hommes, c’est d’œuvrer à empêcher cela, c’est de garantir la vie collective contre le désordre » (page 137). Projection d’une culture classique ?



Quant à « Une société nomade contre l’état » sous-titre de l’ouvrage, on n’en trouve pas la preuve ni même l’étude, le mot « état » ne figurant pas dans les Chroniques. Certes le chef a une attribution modeste, non pas celle de décideur, mais celle de garant de l’information qui permet la décision : « [Les Aché] ne se considéraient comme réellement informés qu’à partir du moment où ils tenaient leur savoir de la bouche même de Jyvukugi [leur chef] : comme si sa parole seule pouvait garantir les valeurs et la vérité de tout autre discours » (page 84). Certes, Clastres relève que « Le chef n’est point pour eux un homme qui domine les autres, un homme qui donne des ordres et à qui l’on obéit ; aucun Indien n’accepterait cela, et la plupart des tribus sud-américaines ont préféré choisir la mort et la disparition plutôt que de supporter l’oppression des blancs », mais Jyvukugi n’est pas un blanc. Clastres poursuit : « Les Guayaki, voués à la même philosophie politique « sauvage », séparaient radicalement le pouvoir et la violence : pour prouver qu’il était digne d’être chef, Jyvukugi devait démontrer qu’à la différence du Paraguayen il n’exerçait pas son autorité moyennant la coercition, mais qu’au contraire il la déployait dans ce qui est le plus opposé à la violence, dans l’élément du discours, dans la parole ». Léon Cadogan, le paraguayen qui exploite une main d’œuvre gratuite en échange d’une protection par les armes contre les Guaranis est une figure du tyran, mais ce n’est pas le chef des Aché. On sait depuis l’antiquité que la tyrannie n’est pas la seule forme de l’état. Le canon politique de la société Aché ne peut être approché qu’avec de grandes réserves, car cette société est en cours de destruction. Il est probable que Clastres, libertaire convaincu, travaillait à son livre le plus célèbre, « La société contre l’Etat » (1974), quand il achevait la Chronique.

Commenter  J’apprécie          130
La Société contre l'Etat : Recherches d'anthr..

Le plus grand danger de l’observateur des sociétés dites primitives est de les étudier d’après sa propre société. Il en va ainsi par exemple lorsqu’il s’agit d’étudier la notion de pouvoir. Pierre Clastres, s’appuyant sur les chroniques de voyageurs et les travaux de recherches relatifs aux sociétés indiennes d’Amérique latine (à l’exception des hautes cultures du Mexique et des Andes), constate qu’ils concluent très souvent à l’absence de pouvoir politique dans ces sociétés : toutes, […] ou presque, sont dirigées par des leaders, des chefs et […] aucun de ces caciques ne possède de « pouvoir ». En effet, rien ne semble plus étranger aux Indiens que l’idée de donner un ordre ou d’avoir à obéir. De là à conclure qu’ils vivent à un stade prépolitique, il n’y a qu’un pas.

Car la culture occidentale pense le pouvoir comme un rapport de coercition, une relation sociale de commandement-obéissance. De même, ne pouvant concevoir la société sans le pouvoir, les observateurs occidentaux ont eu tôt fait de considérer ces sociétés comme apolitiques, ce qui pour Pierre Clastres revient à les assimiler aux « sociétés animales régies par les relations naturelles de domination-soumission ». Or, pour l’auteur, « il n’y a pas de sociétés sans pouvoir », « le pouvoir politique est universel, immanent au social ». Seulement, selon les sociétés, il peut être coercitif (dans notre société occidentale par exemple), ou non coercitif (dans les sociétés amérindiennes). Et même lorsqu’il n’existe pas d’institution politique, « même là le politique est présent ». Son étude d’une chefferie indienne est riche d’enseignements : la seule fonction politique du chef est d’arbitrer les conflits, par sa parole et son prestige, mais sans aucun pouvoir décisoire ; il est d’autre part redevable au groupe de ses biens et d’un talent oratoire ; qu’il manque à ses devoirs et le groupe l’abandonnera pour un autre. Les indiens appréhendent le pouvoir comme la résurgence même de la nature, et ils ont pressenti le danger, pour leur société (la culture), d’un pouvoir séparé. Ils ont donc confié le pouvoir au chef, tout en l’empêchant de l’exercer autoritairement : « la même opération qui instaure la sphère politique lui interdit son déploiement » ; « le groupe révèle, ce faisant, son refus radical de l’autorité, une négation absolue du pouvoir ».

Ils manifestent ainsi également leur volonté de préserver leur ordre social intact. Qu’est-ce qui fait alors qu’est apparu dans l’histoire de l’humanité cet « instrument qui permet à la classe dominante d’exercer sa domination violente sur les classes dominées » : l’Etat ? Pierre Clastres ne répond pas à la question. La révolution néolithique n’offre pas d’explication satisfaisante. Sans doute est-elle plutôt à chercher du côté des bouleversements démographiques. Toujours est-il que l’apparition de l’Etat constitue pour l’auteur la véritable révolution dans l’histoire de l’humanité, et l’Etat est le critère distinctif entre les sociétés primitives et les sociétés non primitives. Pour que se constitue l’Etat, il faut que l’organisation sociale de la société primitive permette l’émergence d’un pouvoir politique séparé, que le « chef » substitue son intérêt personnel à l’intérêt collectif, que la tribu se mette au service du « chef ». La société primitive est organisée pour que cela n’arrive pas.

Les chapitres qui constituent La société contre l’Etat sont des articles qui avaient déjà paru dans diverses revues, et semblent sans lien apparent entre eux. Ils abordent différents aspects de la culture des sociétés primitives amérindiennes : la division des sexes, l’humour, l’importance de la parole du chef, la religion, la famille et le mariage, etc. Cependant, le chapitre final, éponyme et écrit pour l’ouvrage, réalise une synthèse en lien avec le sujet central. Mais son intérêt réside aussi dans sa dénonciation de l’ethnocentrisme dans les sciences sociales, et de son corollaire, l’évolutionnisme qui considère que toute société est doit nécessairement passer d’une économie de « subsistance » à une économie de marché, d’une organisation socio-politique sans Etat à une autre avec Etat, etc. L’étude des sociétés amérindiennes nous montre que bien au contraire l’histoire n’est pas à sens unique, et que toute société n’est pas pour l’Etat. Un ouvrage primordial.


Lien : http://plaisirsacultiver.unb..
Commenter  J’apprécie          110
La Société contre l'Etat : Recherches d'anthr..

L'État, la domination et le travail.



Un passionnant ouvrage de l'anthropologue et ethnologue Pierre Clastres qui contredit l'approche habituelle des sociétés dites "primitives" et démontre que nous avons beaucoup à en apprendre en des temps où les raisons sont nombreuses de s'interroger sur la pertinence des formes organisationnelles de nos modernes sociétés. le livre se compose d'une suite d'études documentées sur les moeurs de différentes peuplades du nord-est de l'Amérique du sud.

De cette expérience de plusieurs années sur le terrain, Clastres tente de tirer des conclusions qui ont indéniablement le mérite de bouleverser beaucoup d'a priori et de fausses évidences qui nous ont été inculquées.

Suivent quelques citations choisies dans l'espoir de réveiller l'intérêt pour cet auteur quelque peu occulté.



*"Il s'agit simplement de pointer la vanité "scientifique" du concept d'économie de subsistance qui traduit beaucoup plus les attitudes et habitudes des observateurs occidentaux face aux sociétés primitives que la réalité économique sur quoi reposent ces cultures. Ce n'est en tous cas pas de ce que leur économie était de subsistance que les sociétés archaïques "ont survécu en état d'extrême sous développement jusqu'à nos jours". Il nous semble même qu'à ce compte-là c'est plutôt le prolétariat européen du XIXème siècle, illettré et sous-alimenté, qu'il faudrait qualifier d'archaïque. En réalité, l'idée d'économie de subsistance ressortit au champ idéologique de l'Occident moderne, et nullement à l'arsenal conceptuel d'une science."



"De deux choses l'une : ou bien l'homme des sociétés primitives, américaines et autres, vit en économie de subsistance et passe le plus clair de son temps dans la recherche de nourriture; ou bien il il ne vit pas en économie de subsistance et peut donc se permettre des loisirs prolongés en fumant dans son hamac. C'est ce qui frappa, sans ambiguïté, les premiers observateurs européens des indiens du Brésil. Grande était la réprobation à constater que des gaillards pleins de santé préféraient s'attifer comme des femmes de peintures et de plumes au lieu de transpirer sur leurs jardins.

Gens donc qui ignoraient délibérément qu'il faut gagner son pain à la sueur de son front. C'en était trop, et cela ne dura pas : on mit rapidement les Indiens au travail, et ils en périrent.

Deux axiomes en effet paraissent guider la marche de la civilisation occidentale, dès son aurore : le premier pose que la vraie société se déploie à l'ombre de l'État; le second énonce un impératif catégorique : il faut travailler.

Les indiens ne consacraient effectivement que peu de temps à ce que l'on appelle le travail. Et ils ne mouraient pas de faim néanmoins. Les chroniques de l'époque sont unanimes à décrire la belle apparence des adultes, la bonne santé des nombreux enfants, l'abondance et la variété des ressources alimentaires. Par conséquent, l'économie de subsistance qui était celle des tribus indiennes n'impliquait nullement la recherche angoissée, à temps complet, de la nourriture."



"Un seul bouleversement structurel, abyssal, peut transformer, en la détruisant comme telle, la société primitive : celui qui fait surgir en son sein, ou de l'extérieur, ce dont l'absence même définit cette société, l'autorité de la hiérarchie, la relation du pouvoir, l'assujettissement des hommes, l'État."



"Inachèvement, incomplétude, manque : ce n'est certes point de ce côté-là que se révèle la nature des sociétés primitives. Elle s'impose bien plus comme positivité, comme maîtrise du milieu naturel et maîtrise du projet social, comme volonté libre de ne laisser glisser hors de son être rien de ce qui pourrait l'altérer, le corrompre et le dissoudre. C'est à cela qu'il s'agit de se tenir fermement : les sociétés primitives ne sont pas les embryons retardataires des sociétés ultérieures.

(...) Tout cela se traduit sur le plan de la vie économique, par le refus des sociétés primitives de laisser le travail et la production les engloutir, par la décision de limiter les stocks aux besoins socio-politiques, par l'impossibilité intrinsèque de la concurrence; en un mot, par l'interdiction, non formulée mais dite cependant, de l'inégalité. "







Commenter  J’apprécie          104
La Société contre l'Etat : Recherches d'anthr..

Cet essai regroupe des textes publiés dans différentes revues par Pierre Clastres, textes d'anthropologie qui traitent des sociétés amérindiennes avec comme point central: le pouvoir politique. On apprend beaucoup de choses concernant leur mode de vie et on évacue nombre de clichés et idées fausses sur ces civilisations méconnues.

L'auteur nous démontre la possibilité d'existence d'un pouvoir sans force ni violence dans une société, c'est passionnant et philosophiquement très "rafraîchissant".
Commenter  J’apprécie          100
Archéologie de la violence

Autant les analyses de Pierre Clastres dans "La société contre l'État" apparaissent comme particulièrement pertinentes et novatrices, autant la thèse soutenue dans cette "Archéologie de la violence" apparaît comme douteuse car circonscrite dans le contexte sociologique très particulier de communautés primitives essentiellement refermées sur elles-mêmes. le fait de vouloir en conclure que d'une manière générale la guerre entre ces communautés serait l'expression d'une résistance à l'État et aurait pour but d'en empêcher la constitution se heurte violemment aux réalités historiques. Comment ne pas constater en effet que les États se nourrissent perpétuellement de la guerre pour justifier de leur existence et que la violence leur est justement constitutive. A vouloir à tout prix mettre en doute les thèses de ses prédécesseurs, il semble bien que Clastres se soit ici égaré dans une impasse conceptuelle. On ne pourra que regretter sa disparition précoce qui nous prive des développements qu'il aurait pu apporter à ses hypothèses et leur donner davantage sens.
Commenter  J’apprécie          70
La Société contre l'Etat : Recherches d'anthr..

Lire aujourd'hui cet ouvrage de référence de l'anthropologue libertaire Pierre Clastres , vient opportunément participer au débat actuel sur le choix d'une société axée sur la sobriété et faisant le choix d'un fonctionnement localisé.

A partir de l'étude et de l'immersion chez les Guayakis et les Guaranis, peuples amérindiens primitifs ou la notion de chefferie ne se confond pas avec l'exercice d'un pouvoir , mais a plutôt pour fonction par son seul prestige d'être le garant du fonctionnement de la société et de veiller à la concorde en désamorçant les conflits, Clastres met en perspective à partir de la , les notions de pouvoir , de régime économique et montre a contrario que dans les sociétés modernes c'est par le biais de l'Etat et la force de coercition qui l'accompagne que peut advenir uns société de classes ou l'oppression politique produit l'exploitation économique.

Claustres réhabilite également la notion d'économie de subsistance, propre au mode de fonctionnement d'un certain nombre de peuples amérindiens , objet d'une considération condescendante et péjorative pour l'opposer au régime d'accumulation propre aux sociétés capitalistes et met en perspective la centralité du travail ou dans cette communauté il n'est entendu que comme temps d'activité quotidienne limité, strictement nécessaire à la satisfaction des besoins du groupe.

Autant de thématiques qui encore une fois donnent à ce livre composé de productions écrites entre 1962 et 1973 , une résonance et une pertinence particulières.

Commenter  J’apprécie          60
Archéologie de la violence

Dans ce cours essai d'une soixantaine de pages, Pierre CLASTRES propose un regard sur le traitement de la violence, et surtout sa forme la plus totale : la guerre, dans l'ethnographie contemporaine relevant des sociétés primitives.



La violence, rarement évoquée si ce n'est pour en montrer à quel point les sociétés primitives tendent à l'éviter, est de fait rarement explorée ethnologiquement. Cette exclusion du champ d'étude ne permet pas de penser la guerre comme composante inhérente à toute organisation sociale, et se faisant, occulte un pan non négligeable de la vie des sociétés primitives et questionne épistémologiquement l'anthropologie dans sa faculté à rendre compte de la réalité historique.



En pointant les préconceptions occidentales héritées des premiers grecques sur la notion de ce qui fait société, Pierre CLASTRES montre que les premiers explorateurs, confrontés à de nouvelles formes d'organisations sociales, ne disposaient pas du recul indispensable à l'appréhension de ces cultures. Pour l'Homme occidental « il n'est de Société que sous le signe de la division entre maîtres et sujets » or, les pionniers occidentaux découvrirent des « gens sans foi, ni loi, ni roi » faisant émerger ainsi l'idée d'une distinction entre états de Nature et de Culture. Dans une sorte de complexe de supériorité, ceux-ci conclurent simplement que ces « Sauvages » n'avait pas encore accéder à l'état de Culture ; l'état de Nature devenant alors une étape antérieure à dépasser car, selon Hobbes (et ses contemporains) « une société sans État n'est pas Société ».



La nature belliqueuse des sociétés primitives n'est pourtant pas ignorée des explorateurs de l'époque et des anthropologues. Mais à mesure que lesdits peuples étaient « découverts » et colonisés par les nouveaux arrivants aux moeurs occidentales, la violence inhérente aux sociétés primitives fut rapidement dissoute au profit de l'ingérence. De ce fait, « si l'Ethnologie ne parle pas de guerres, c'est parce qu'il n'y a pas lieu d'en parler, c'est parce que les sociétés primitives, lorsqu'elles deviennent objet d'étude, sont déjà engagées sur la voie de la dislocation ». On peut aisément comprendre que la guerre ayant disparu par le pacifisme forcé, on n'en trouve plus mention dans l'Ethnographie contemporaine.



Plusieurs thèses ont toutefois cherché à expliquer l'origine de la violence malgré un prisme ayant tendance à « exclure la guerre du champ des relations sociales primitives ». Pierre CLASTRES répertorie trois discours qu'il s'emploie à analyser.

Le discours Naturaliste, qu'il met en lumière par le biais du travail Leroi-Gourhan, tend à justifier la violence en la raccrochant biologiquement a l'espèce dans la nécessité de subvenir à ses besoins. Leroi-Gourhan rapproche chasse et agression pour l'acquisition de nourriture. Cette réduction de la guerre à la chasse omet toutefois le critère d'agressivité et occulte les motivations différentes de ces deux activités, tombant dans le piège (car contredit par l'ethnographie) de la « biologisation » empêchant de penser la guerre comme composante sociale.

Le discours Économiste tend à contextualiser les sociétés dans une Économie de subsistance en utilisant les outils de l'Anthropologie Marxiste d'alors. La rareté des biens naturels conduirait inexorablement à l'apparition de conflits pour l'accaparement de ressources. Si M. Davie constate dans l'ethnographie la quasi-unviveralité de la guerre dans les sociétés primitives (à l'exclusion des Eskimo, soumis à des conditions qui ne leur permettent pas), il succombe un peu facilement aux conclusions appelées par les conceptions de son époque. Citant les travaux de Sahlins et Lizot, Clastres montre au contraire que la situation de concurrence dans une Économie de subsistance est contredite aussi bien dans les témoignages des premiers explorateurs que par l'anthropologie actuelle. Au contraire, les organisations primitives sont considérées comme « premières sociétés d'abondance » dans lesquelles la guerre pour les ressources n'aurait aucun sens.

Le discours échangiste est quant a lui analysé sous le prisme des travaux de Levi-Strauss. La violence y est expliquée comme ultime conséquence de l'échec de l'échange entre communautés. Pour cet illustre penseur, « les échanges commerciaux représentent des guerres potentielles pacifiquement résolues ». Si cette fois la guerre n'est pas exclue du champ social/politique, le point de vue de Levi-Strauss s'oppose à l'idéal autarcique entretenu par les sociétés primitives apparaissant en filigrane dans les travaux de Sahlins. La société primitive, d'abondance, étant à même de subvenir à ses besoins, ce ne sont donc pas ceux-ci qui poussent aux échanges entre les communautés.

Selon Clastres, « la société primitive, en son être, refuse le risque, immanent au commerce, d'aliéner son autonomie, de perdre sa liberté ».



Pour Hobbes, la société primitive s'articulait autour de la guerre du tous contre tous, pour Levi-Strauss c'est à l'inverse l'échange de tous avec tous.



En revenant à la structure des sociétés primitives, Clastres dépasse ces dichotomies et montre que l'organisation tend à favoriser l'unité du groupe par l'absence de division hiérarchique. A l'intérieur d'une société, l'échange domine avec un fort souci d'égalité, favorisant la cohésion. En opposition, tout autre groupe sera avant tout vu comme étranger, Autre, et dans sa volonté d'autarcie et de liberté, l'échange n'apparaît que sous la nécessité.

Le morcellement des territoires résulte, selon l'auteur, des guerres qui en sont la cause et vise explicitement ce but. L'exclusivité de l'usage d'un territoire déterminé appartenant à un groupe tend vers un mouvement d'exclusion de l'Autre afin de préserver l'espace dans lequel la communauté locale est à la fois « totalité et unité », garante d'elle-même, sans ingérence d'aucune sorte.

Clastres justifie la nécessité de l'échange à la nécessité de la guerre et non l'inverse dans l'ordre de causalité. C'est pour faire la guerre qu'on a besoin d'alliés et c'est ainsi que les alliances se font et se défont au rythme des événements. L'échange de femme entre communautés, notamment, apparaît comme gage - le plus profond - d'une alliance de long terme, sans que pour autant chaque communauté impliquée ne renonce à son intégrité, chacune ayant pour but de persévérer dans son être autonome.



L'opus amène ainsi à envisager les divergences entre les sociétés primitives, montrant une inclination à la cohesion sociale égalitaire et unitaire dans le groupe et, à l'inverse, une tendance à l'exclusion et à la différenciation multiple des Autres ; en opposition à la société qui est la nôtre, unifiée dans ces morcellement culturels/territoriaux sous l'action de la division hiérarchique.



Pour Clastres, « la guerre est contre l'Etat », elle fonctionne comme une machine de dispersion empêchant l'agglomération, l'unification du multiple et, se faisant, pérennise dans les sociétés primitives l'unité du Nous communautaire dans sa cohésion égalitaire.



Cet essai est particulièrement intéressant dans les questions épistémologiques qu'il soulève vis-à-vis des Sciences Sociales et des biais d'approches inhérents au contexte socio-culturel dont sont issus les scientifiques. Si on ne croule pas sous des références exhaustives, l'ouvrage est particulièrement dense et les critiques qu'il apporte sont particulièrement pertinentes.
Commenter  J’apprécie          60
La Société contre l'Etat : Recherches d'anthr..

Une lecture vraiment très intéressante.

L'auteur interroge ce que peut être une société sans Etat, à savoir sans pouvoir politique à partir de l'adage selon lequel toute société primitive est dépourvue d'Etat et donc de pouvoir, en examinant plus précisément l'exemple des tribus indiennes d'Amérique du Sud.

D'après l'auteur, cet adage est profondément ethnocentriste au sens où il ne se positionne que du point de vue du lecteur occidental, pour qui une société avec Etat est le terme nécessaire de toute évolution; il examine donc la structure de ces sociétés et finit par détruire cet adage en démontrant que celles-ci ne sont pas dépourvues d'un Etat ni donc de pouvoir politique, mais qu'elles sont construites de sorte à nier le pouvoir politique, afin que d'éviter l'avènement éventuel d'une société despotique. C'est vraiment intéressant, et lumineux. On regrette toutefois la vision un peu réductrice que donne l'auteur de la notion d'Etat, c'est-à-dire forcément équivalente à un despotisme.
Commenter  J’apprécie          50
Archéologie de la violence

La démonstration que fait ici Clastres est très féconde: à savoir la différence entre la guerre clanique et ritualisée à des fins identitaires et la guerre étatique statuée par des organes juridiques. Cependant, cette idée trouve ses limites dans de nombreux exemples; quid des guerres actuellement menées par les USA et leurs alliés en raisons de "meilleures valeurs et modes de vie " ? Ou encore des mouvement xénophobes ?

Sa valeur première, à mes yeux, réside dans une sorte de pendant négatif au concept d'hospitalité de Lévinas ou encore de différance (avec un A) de Dérida; la xénophobie, la non inclusion de l'autre trop différent du nous est un mécanisme de survie culturelle. Il pousse donc à avoir un débat dépassant les aspects moralisateurs sur les questions de rejet de l'autre.

C'est donc un très bon ouvrage scientifique à mes yeux car il pousse le lecteur à réfléchir sans imposer des vérités toutes faites !
Commenter  J’apprécie          30
Archéologie de la violence

Les essais appliqués à des sujets archéologiques, cela fait un bien fou. Regarder ces sujets sous d'autres angles, se poser les questions autrement, c'est absolument nécessaire. Sur la question de la guerre dans les sociétés primitives, Pierre Clastres ne se satisfait pas du seul lien établi avec la chasse, notamment par André Leroi-Gourhan. La guerre n'est pas le prolongement, dans les sociétés humaines, de l'agressivité qui résulterait du besoin d'acquisition de nourriture. Pierre Clastres s'amuse à imaginer que la guerre existerait dans ce cas chez de nombreuses espèces animales et rappelle que la guerre est un fait social avant tout. Une approche utile, qui nous oblige à analyser avec prudence les récits de ceux qui ont décrit la guerre dans les sociétés étudiées par les ethnologues. La guerre est vue par Pierre Clastres sous un angle plus directement sociologique et comme un moyen de contraindre le principe de la délégation du pouvoir dans les sociétés. A lire absolument.
Commenter  J’apprécie          20
Chronique des Indiens guayaki

Ce livre de Pierre Clastres, paru pour la première fois en 1974, relate une année passée chez les indiens Guayaki du Paraguay. On approche la vie quotidienne des indiens, leurs croyances, leurs mythes, les joies, leurs souffrances... On découvre des modes de vie exigeants, parfois cruels, souvent étonnants pour nos esprits occidentaux. On assiste en fait à la fin de ce peuple dont le nombre d'indivudus ne s'élevait qu'à 70 environ dans les années 60.

On pense parfois à Tristes Tropiques de Levi-Strauss qui distillait la même nostalgie des peuples disparus.
Commenter  J’apprécie          20
La Société contre l'Etat : Recherches d'anthr..

Est-ce qu'on a gagné à avoir un état fort ? Ce livre recueil d'articles d'un grand anthropologue ne répond pas à la question mais montre que l'humanité a pu s'en passer pendant des millénaires. Je n'ai pas tout compris aux réflexions savantes de l'auteur sinon qu'il faut se garder de vouloir juger avec nos prismes actuelles et que la notion de progrès et de développement est relative et discutable.
Commenter  J’apprécie          00
Archéologie de la violence

Trop académique pour moi
Commenter  J’apprécie          00


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Pierre Clastres (324)Voir plus

Quiz Voir plus

Le seigneur des Anneaux

Quel est le métier de Sam ?

cuisinier
ébéniste
jardinier
tavernier

15 questions
5558 lecteurs ont répondu
Thème : Le Seigneur des anneaux de J.R.R. TolkienCréer un quiz sur cet auteur

{* *}