Citations de Pierre Drieu La Rochelle (319)
Le docteur sentait ce défi, et en était fort gêné ; car, dans ce paisible asile, il ne s'était nullement entraîné à l'autorité. La peur de voir arriver malheur à Alain aurait pu lui donner du courage, mais plus encore que de sa témérité, il avait peur de l'ironie d'Alain. Il n'osait pas lui protester que la vie était bonne, faute de se sentir en possession d'arguments bien aigus.
Soudain, sans le regarder, il lui toucha la main et s'enfuit.
Il avait été touché par la mort, la drogue c'était la mort, il ne pouvait pas de la mort revenir à la vie. Il ne pouvait que s'enfoncer dans la mort, donc reprendre de la drogue. Tel est le sophisme que la drogue inspire pour justifier la rechute : je suis perdu, donc je puis me redroguer.
Le suicide, c’est la ressource des hommes dont le ressort a été rongé par la rouille, la rouille du quotidien. Ils sont nés pour l’action, mais ils ont retardé l’action; alors l’action revient sur eux en retour de bâton. Le suicide, c’est un acte, l’acte de ceux qui n’ont pu en accomplir d’autres.
-J’ai horreur de la médiocrité.
-Mais depuis dix ans , tu vis dans une médiocrité dorée, la pire de toutes.
Je ne suis gère patient, bien que je n’aie fait qu’attendre, toute ma vie.
Les regards ne l’atteignaient plus : il ne s’occupait plus de plaire, pas plus aux femmes qu’aux hommes ; il avait plu.
Il souffrait physiquement. Cette souffrance était grande ; mais, même si elle eût été moindre, elle eût encore été terrible pour un être dont toutes les lâchetés devant la rudesse de la vie s’étaient conjurées depuis longtemps pour le maintenir dans cette dérobade complète du paradis artificiel. Il n’y avait en lui aucune ressource qui puisse le défendre contre la douleur. Habitué à se livrer à la sensation du moment, incapable de se former de la vie une conception d’ensemble, où se compensassent le bien et le mal, le plaisir et la douleur, il n’avait pas résisté longtemps à l’affolement moral que lui valait la douleur physique. Et il s’était redrogué.
La première fois qu’il avait touché à la drogue, c’était sans raison : une petite grue avec laquelle il couchait prenait de la coco ; l’année suivante, un ami fumait. Il y était revenu de plus en plus souvent. Il avait ces nuits à remplir : il était toujours seul, il n’avait jamais de maîtresse établie parce qu’il était distrait. L’alcool, qui ne lui avait bientôt plus suffi, l’avait aussi mené à la drogue. Et il retombait toujours dans les mêmes groupes d’oisifs. Ceux-la commencent à se droguer parce qu’ils ne font rien et continuent parce qu’ils peuvent ne rien faire.
Alain s’estimait bien bas, pour avoir admis le bonhomme dans sa confidence. Cette espèce de prêtre poussait l’hypocrisie, pensait-il, au point de se faire vraiment bon, jusqu’au fond du cœur, de manière à pouvoir plus sûrement prendre ses clients à la frime de la morale.
Car un homme ne peut se maintenir continuellement dans la lucidité où il voit les dernières conséquences de ses habitudes. Il retombe dans le clair-obscur quotidien où il contrebalance d’espoirs et d’illusions le progrès de ses actes.
Mais non, la vie n'est qu'habitude, et l'habitude vous tient aussi longtemps que vous tient la vie.
Il y avait une belle et forte idée dans ce rapprochement de l’homme et de la femme, des deux parties de la nation. Mais le Père Florida veillait. Et ce n’est jamais en vain qu’une femme est une femme du monde, comme vous dites dans votre singerie de Paris. Qu’est-ce qu’une femme du monde ? C’est la fille d’une aristocratie battue, décapitée. En cette année 1868, cela est plus vrai que jamais. Cela est vrai depuis 1792. Les aristocrates de par le monde sont des décapités qui marchent par habitude. Voilà ce que sont vos grands, Florida, voilà sur quoi s’appuie l’Église, voilà ce qu’appuie l’Église. Mais peut-être que le pape et les cardinaux sont eux-mêmes des décapités. Cela se saura un jour, dans deux ou trois siècles.
Il y a beaucoup d'action dans l'homme de rêve et beaucoup de rêve dans l'homme d'action.
- C’est toi, Felipe, qui m’a mis tous ces mots dans la tête. Qu’étais-je, moi ? Un lieutenant de cavalerie qui sautait sur les chevaux, maniait le sabre et la carabine et se roulait dans l’amour des soldats et des filles. Tu as mis des mots en moi.
- Qu’étais-je, moi ? Un joueur de guitare, un pâle étudiant en théologie ; et soudain tu t’es dressé devant moi, tu étais la forme. La Forme. Moi qui était amant de la beauté, je me suis rué vers cette forme, qui était la beauté vivante. Soudain, la musique, la théologie étaient une seule figure qui marchait dans le monde.
Il y avait chez Tristesse une logique déchirante et qui la déchirait ; mais sur la déchirure elle ne voulait que du fiel.
Van Noort était plus direct, et c'était pourquoi, finalement, je lui en voulais moins qu'aux autres.
- Vous ne gagez pas trois sous, ce n'est pas le moment de vous mettre en ménage, mon petit.
Il voulait dire : je ne vous donne pas des florins pour entretenir une catin. Comme si je n'avais pas un aussi grand besoin de l'ombre d'un coeur que de pain qui est l'ombre dont se nourrit l'âme. Je n'essayais pas de lui explique ça.
Le vieux Tulp était excellent à ces moments-là ; je voyais la différence entre un mauvais bon peintre et un bon mauvais peintre ; cette différence est un abîme.
Je ne sentais en moi que ces deux tendances, celle des pasteurs et celle des orfèvres. Le pasteur regardait les hommes au coeur, l'orfèvre regardait autour d'eux la lutte de l'ombre et de la lumière.
Les humains étaient des êtres de désir et il fallait avoir une immense pitié d'eux pour cela.
... les vies de rentiers sont des culs-de-sac où s'entassent les débris.