Citations de Pierre Drieu La Rochelle (319)
Les drogués sont des mystiques d'une époque matérialiste qui, n'ayant plus la force d'animer les choses et de les sublimer dans le sens du symbole, entreprennent sur elles un travail inverse de réduction et les usent et les rongent jusqu'à atteindre en elles un noyau de néant. On sacrifie à un symbolisme de l'ombre pour contrebattre un fétichisme de soleil qu'on déteste parce qu'il blesse des yeux fatigués.
« il avait senti de bonne heure germer en lui une convoitise sordide pour le silence, la paix, la raréfaction des joies et des peines, une délectation secrète et tout intime. »
Le suicide, c'est le ressource des hommes dont le ressort a été rongé par la rouille, la rouille du quotidien. Ils sont nés pour l'action, mais ils ont retardés l'action; alors l'action revient sur eux en retour de bâton. Le suicide, c'est un acte, l'acte de ceux qui n'ont pu en accomplir d'autres.
Il se secoua. Dans son for intérieur, il était en train de jouer la comédie que d’autres étalent dans les enterrements avec des gants noirs, en disant : “ Je l’ai beaucoup connu. C’était un homme qui…” Comédie somme toute sincère, car les vivants, en regrettant les morts, en regrettant de n’avoir pas aidé les ex-vivants à vivre, regrettent ainsi de n’avoir pas vécu eux-mêmes davantage, en se donnant plus. Ah! il faut mettre de la profondeur dans chaque minute, chaque seconde; sans quoi, tout est raté pour l’éternité.
Persévérance, toucherai-un jour tes trésors difficiles ? Aurai-je donc perdu ma vie sur cette faible idée du coup de foudre dont je voudrais toujours qu'il consume la femme que je rencontre et qu'il la sépare de tout pour l'abolir en moi ? L'amour, comme toute la vie, n'est que travail. Tout ce qui apparaît de spontané doit, pour prendre forme et s'épanouir, être soutenu par la conscience et prolongé par la volonté. Pourquoi moi, qui aime le travail dans mon métier, ne puis-je m'en accommoder dans mes amours ?
Moins elle avait de but et plus sa vie prenait de sens
Par un soir de l'hiver de 1917, un train débarquait dans la gare de l'Est une troupe nombreuse de permissionnaires. Il y avait là, mêlés à des gens de l'arrière, beaucoup d'hommes du front, soldats et officiers, reconnaissables à leur figure tannée, leur capote fatiguée.
L'invraisemblance qui se prolongeait depuis si longtemps, à cent kilomètres de Paris, mourait là sur ce quai. Le visage de ce jeune sous-officier changeait de seconde en seconde, tandis qu'il passait le guichet, remettait sa permission dans sa poche et descendait les marches extérieures. Ses yeux furent brusquement remplis de lumière, de taxis, de femmes.
"Le pays des femmes", murmura-t-il. Il ne s'attarda pas à cette remarque ; un mot, une pensée ne pouvaient être qu'un retard sur la sensation.
(incipit).
Lettre de Victoria à Drieu en janvier 1932
Je ne suis pas divisée comme vous l'êtes. Je n'aime pas comme vous aimez. D'abord j'ai eu la chance de n'avoir jamais eu à mêler l'amour à l'argent et quand j'ai aimé les gens, je les ai aimés pour eux-mêmes ; pour ce qu'ils étaient et pas pour ce que j'aurais voulu qu'ils fussent.
Je crois que même si je n'avais pas eu le sou, j'aurais aimé comme j'ai aimé... (sans mélange), sans hantise de pauvreté, de richesse, de perfection, d'imperfection... avec seulement la soif de comprendre tout ce qu'il y a dans un être humain d'humaine faiblesse et d'humaine noblesse à la fois.
Je crois que vous aimez mal, Drieu. Et je n'imagine pas que j'aime bien, moi-même. Mais je sais que je suis en train d'apprendre.
Je me tue parce que vous ne m'avez pas aimé, parce que je ne vous ai pas aimés. Je me tue parce que nos rapports furent lâches, pour resserrer nos rapports. Je laisserai sur vous une tache indélébile. Je sais bien qu'on vit mieux mort que vivant dans la mémoire de ses amis. Vous ne pensiez pas à moi, eh bien, vous ne m'oublierez jamais !
Enfin, pendant un été où il n'avait pu se baigner, ni demeurer longtemps au grand air, il avait vu en pleine lumière les caractères véritables de la vie des drogués : elle est rangée, casanière, pantouflarde. Une petite existence de rentiers qui, les rideaux tirés, fuient aventures et difficultés. Un train-train de vieilles filles, unies dans une commune dévotion, chastes, aigres, papoteuses, et qui se détournent avec scandale quand on dit du mal de leur religion.
L'extrême civilisation engendre l'extrême barbarie.
Nous marchâmes six heures de suite, dévorés de froid, rongés de solitude. Nous étions des milliers d'hommes qui cheminions et chacun de nous se sentait seul comme un petit enfant, au milieu de cette campagne aux jachères glaciales, en traversant ces villages abandonnés depuis mille ans.
Vous me faites rire avec vos critiques portant soit sur le style ancien ou lourd des écrivains d' antan , soit sur le côté macho facho irrrespectueux etc... mon message sera très court : Qe cherchez-vous en litterature ? Qu' avez-vous à proposer dans le cloaque littéraire indigent et prétentieux des écrivaillons d' aujourd' hui ? Franchement dans cette première moitié du xxè siecle , les gens savaient écrire . C' était parfois un peu long , certes , mais tout de même , ça voulait dire quelque chose !la lecture demande un minimum d' efforts . Passer au-delà même de ce qu' on aime .. Une oeuvre d' art ne plait pas forcement à tout le monde ! Vous n' avez tien compris au personnage de Gilles . C' est un dandy , un décadent , un disciple de Baudelaire , Montesquiou ou Barbey d' Aurevilly ... Donc , pas forcement sympathique . Si vous n' avez pas su voir celà vous êtes passés à coté ! alors les grandes phrases bien pensantes , les mots "dans l' air du temps " , tout celà n' a rien à voir avec la litterature . Ou alors lisez des romans de gare ! Marc Levy ou Mussot , tiens ... au hasard !
Ma vie, ce n'est que des moments perdus.
Alain regarda Dubourg une dernière fois. Il y avait quelque chose de positif sur ce visage. Incroyable. Il eut encore une velléité.
- Dubourg, sortons ensemble ce soir. Nous téléphonerons à une amie de Lydia qui est assez belle.
Dubourg le regarda, en riant tranquillement.
- Non, ce soir j'écrirai deux ou trois pages sur mes Egyptiens, et je ferai l'amour avec Fanny. Je descends dans son silence comme dans un puits et au fond de ce puits, il y a un énorme soleil qui chauffe la terre.
- Abêtissez-vous.
- Je suis heureux.
Nous saurons qui nous sommes quand nous verrons ce que nous avons fait.
Le Chef
C'est bon de lire, c'est un immense plaisir tranquille, la grande abolition de la peine.
Dès les premières balles, je connus encore mieux le paysage minuscule, à ras de mes yeux, qui bornait désormais mon destin d'homme. Je ne connaîtrais plus le monde qu'à l'échelle du pissenlit. A jamais, à jamais enfoui dans la terre. Mon corps plaqué cherchait sous lui la tranchée qui n'était pas encore. Les balles autour de moi comme des clous m'enfonçaient dans le sol.
Je suis fasciste parce que j'ai mesuré le progrès de la décadence en Europe. J'ai vu dans le fascisme le seul moyen de contenir et de réduire cette décadence.
Drieu La Rochelle - Février 1943
Les soldats d’outre-mer sombraient dans la bagarre
Où la femme assommait leurs incultes désirs
À la côte de France ils abordaient barbares
Mais ils mouraient le soir touchés par nos plaisirs.
(au sujet des sammies)