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Citations de Raymond Jean (64)


Nous prenons nos billets pour entrer au Musée Juif. La guichetière, une jeune fille peut-être, tend vers nous une main osseuse, aux doigts fins, qu'elle retire prestement. Je demande à Hana ce qui est écrit, en tchèque, au-dessus de la porte. Musée Juif d'ETAT, dit-elle : ce n'est pas très joli, mais c'est important (elle ajoute en riant : ici, tu le sais bien, tout est d'ETAT). A droite du guichet, une sorte de vitrine grillagée un peu semblable à un vaste panneau d'affichage, montre des dessins d'enfants, comme réunis pour une exposition, mais usés, fanés, poussiéreux. J'interroge Hana. Oui, dit-elle de sa voix calme (et plus lente encore que tout à l'heure), ce sont des dessins d'enfants, mais d'un genre un peu particulier : ils ont été exécutés à Terezin où quinze mille enfants juifs et tchèques ont été mis à mort. Dessins, poèmes, ils racontent beaucoup de choses. Je m'approche. Je lis distinctement sous un des dessins - des hachures rouges et des traits verts, barrant un fond de neige, devenu gris, presque noir - la signature d'une petite fille qui s'est appelée : FELICITA SCHNEIDEROVA. Je regarde un autre dessin.
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Peut-être est-il temps que je me décrive. Je suis plutôt grande, mince du haut, un peu large du bas. J'ai des cheveux noirs traversés de reflets roux, arrondis en frange sur le front, attachés en banane sur la nuque. Des yeux verts. Un visage aigu, un peu coupant, que l'on disait ingrat quand j'étais petite fille. Je me souviens avoir pleuré longtemps un jour, parce qu'un cousin m'avait traitée d'"abominable perruche". Il m'en est resté le sentiment très vif que, pour certains, je peux ressembler à un oiseau. Pourtant, même si j'ai le nez légèrement arqué, j'ai les lèvres pleines et très pulpeuses, et mon teint, je pense, fait penser plus à la pêche qu'à la plume.
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...j'étais persuadé qu'on était en train de construire un monde nouveau, ce soleil levant de tout à l'heure, ou ces lendemains chantants que nous annoncions niaisement, et voilà que la première manifestation en était le spectacle de cette pauvre fille promenée toute nue, promenée non, poussée, trainée, exhibée, avec son crâne rasé ou ses bouts de cheveux taillés n'importe comment...Il fallait trouver cela très bien, parce qu'elle avait couché avec des soldats allemands...et beaucoup trouvaient cela très bien en effet...ils ricanaient, ils rigolaient autour d'elle en brandissant leurs mitraillettes...quand j'ai compris que ces hommes allaient devenir tout-puissants, je me suis dit que nous étions fichus...Mais ces hommes, c'étaient les nôtres, des amis, des copains...il y avait là quelque chose qui ne tournait pas, qui était complètement fou...depuis il y a eu tant de choses qui n'ont pas tourné et qui ont été complètement folles...mais c'était la grande fêlure...la première honte...
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-Tutoiement pédagogique-

Elle le tutoie à son tour, en lui disant bonjour, et cela fait un drôle d'effet. Pourquoi ? parce qu'elle est une femme et que la familiarité prend avec elle une nuance un peu plus transgressive. (p.94)
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Puis, au bout d'un moment, je pense au tutoiement de cette fillette. Normal à son âge. Elle doit avoir entre six et huit ans. Et moi, avec mes soixante-dix, je viens de l'entendre m'interpeller de sa petite voix musicale, sur le mode de la familiarité la plus directe. Elle voit sans doute en moi un grand-père. Mais plus probablement elle tutoie tout le monde. Elle ne sait pas que le -vous- existe. Elle va l'apprendre. Elle l'apprendra toujours assez tôt. Pour l'instant, elle ne sait que tutoyer, et me voilà tout à coup, à un moment de ma vie où cela sonne plutôt drôlement, enrobé dans ce tutoiement enfantin, désarmant de spontanéité. (p. 8, Arléa, 2000)
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- On leur demandait de "coopérer". Ce mot pudique voulait dire reconnaître toutes les calomnies qu'on leur imputait et qu'on leur demandait de prendre en charge, même si elles étaient inventées ou fabriquées de toutes pièces. Ceci dans l'intérêt du parti. De la classe ouvrière.
Le plus fort, c'était qu'ils marchaient. Ils reconnaissaient. Ils avouaient, ils finissaient par se convaincre eux-mêmes. Ils disaient que oui, en effet, c'était tout à fait sûr, ils étaient des espions, des traitres, des policiers, et mêmes des ANTICOMMUNISTES. Ça, il fallait le trouver !
Avérés et endurcis. On ne s'en était pas aperçu, parce qu'ils cachaient bien leur jeu. Mais c'était ainsi. Cela éclatait maintenant au grand jour.
- Mais c'était crédible ?
- On feignait la stupéfaction. Qui aurait dit ? Qui aurait cru ? La chose avait beau être énorme, on l'avalait. Il fallait coller à la raison dévoyée.Obéir à ses lois. Nous savions tous le faire. Perinde ac cadaver. Vous connaissez la formule des Jésuites. Nous avions une grande aptitude à cela.
Nous étions des cadavres de la raison.
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- Les photos, c'est très important. Ce sont les choses comme elles ont été vraiment. Les faits à l'état brut. Elles nous dispensent de commentaires, donc d'interprétations, donc d'erreurs. Sauf quand on les a truquées, comme dans certains pays. Elles ont en tout cas l'incomparable avantage d'être silencieuses. Et, avec les années, croyez-moi, j'ai appris les vertus du silence...
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(...)mais que le plus beau tutoiement de tous les domaines reste celui de Marguerite Duras dans -Hiroshima mon amour-:
Tu me tues, tu me fais du bien. (p.122)
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...Ces étranges acteurs-bateleurs que l'on appelait -les transparents- qui, allant de village en village, animaient des rencontres conviviales avec les habitants. Ils semblent avoir impressionné la jeunesse de Char. Il en parle ainsi dans un texte des Matinaux "Les transparents ou vagabonds luni-solaires ont de nos jours à peu près complètement disparu des bourgs et des forêts où on avait coutume de les apercevoir. Affables et déliés, ils dialoguaient en vers avec l'habitude, le temps de déposer leur besace et de la reprendre. (p.17)
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- Voilà. C'est ce que je voulais retrouver. AVENIR RADIEUX !
Nous n'avions que ce mot à la bouche. Lui comme les autres, et pourtant il n'était pas communiste.
Il y a de quoi tellement pouffer de rire aujourd'hui qu'il faudrait écrire ces mots en grosses lettres, là, sur nos murs, et les encadrer.
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Svejk se rend à sa provierka, où il vient d'être convoqué. Là il s'entend dire par la secrétaire de cellule : Ecoute, Svejk, nous avons décidé de passer l'éponge et de donner leur chance à tous les camarades qui nous paraissent politiquement récupérable, à condition qu'ils fassent preuve de bonne volonté. Alors, écoute bien ceci : Nous te pardonnons d'avoir dit, le jour des funérailles du camarade Gottwald, qu'avec les dépenses occasionnées par une cérémonie aussi somptueuse, on aurait pu enterrer le Comité Central tout entier ; nous te pardonnons d'avoir mis chez toi la photo de Sophia Loren à côté de celle de Brejnev et, comme on te disait : enlève la photo de cette p..., d'avoir enlevé celle de Brejnev ; mais il y a une chose que nous ne pouvons pas te pardonner et sur laquelle tu dois t'expliquer : c'est de n'être pas venu à la dernière réunion du Parti. Ici, Svejk soupire et se gratte la tête : Mais, dit-il, si j'avais su que c'était la DERNIÈRE réunion du Parti, je serais venu en courant, et avec toute ma famille...
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Je me laisse porter par la lecture. Mais redressant la tête, je constate que M. Dautrand a les yeux fermés non plus par l'"intensité" de sa propre concentration, mais bel et bien par le sommeil. Il a toujours les mains sous la nuque, mais ses coudes ont nettement fléchi. De sa bouche sort un léger ronflement qui ne trompe pas. Pas seulement un ronflement d'ailleurs : une ou deux petites bulles irisées, comme celles que l'on fait en jouant avec de l'eau savonneuse, et un minuscule filet de bave. Homme affairé et puissant, le voici réduit à son expression la plus simple et la moins masquée. Pourquoi pas d'ailleurs? Je compatis, en un sens. Sa vie doit être réellement harassante, accaparante et épuisante. Et peut-être sans joie. Il faut bien qu'il y ait des moments de grande relâche. Et là, justement, le "masque" cède. Sans rien perdre, en fait de sa beauté. Car je le constate encore : cet homme est beau. Je ne sais pas ce qui a pu lui arriver dans la vie, mais sa séduction n'est pas en cause. C'est vraiment son agitation qui a dû tout gâcher, l'excès d'importance qu'il se donne. Mais là, Dieu merci, dans le sommeil, avec les bulles, tout cède, se défait. Il ne reste plus que cette beauté affaissée et enfantine.
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Le mardi de Barbara

Barbara pensait en elle-même que décidément on n'en finissait jamais de jouer avec les mots. C'était partout pareil. Le langage et les phonèmes avaient plus de poids qu'on pouvait le croire. Dans toutes les cervelles. (p. 112)
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Je me présente : Marie-Constance G., trente-quatre ans, un mari, pas d'enfants, pas de profession.
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...son idée de retenir tel ou tel livre qui se prêterait mieux que les autres à la lecture orale ne tient pas debout, avec tout le respect et l'affection que je luis dois. Tous les livres sont bons, à partir du moment où ils passent par ma bouche. Et avec chacun d'eux, tout peut arriver.
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Ecrire le nom de Prague est déjà extraordinaire en soi. Autrefois quand je disais Pragois, Pragoise, je voyais quelque chose qui tournait, s'enroulait, se déroulait devant mes yeux sur un mouvement de valse (musique d'un vieil orchestre de brasserie), dans un décor baroque d'Europe centrale. Aujourd'hui, écrivant ce nom de ville, je sens d'abord la plume griffer, mordre étrangement le papier, comme si les deux premières lettres, attaquant la feuille, traçaient un signe capable d'en éveiller d'autres, de faire naître d'autres sons,d'autres mots, comme proie, prédateur (instinct prédateur), provocation, prison, déprédation peut-être, ou simplement prendre. J'entends aussi quelque chose qui gronde, adjectif ou verbe, comme rogue ou rager, un bruit de colère. Il y a encore dague dans ce nom, dague, poignard,et, par analogie visuelle, ce mot anglais, plague, qui veut dire la plaie et la peste...
(incipit).
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Je me présente : Marie-Constance G., trente-quatre ans, un mari, pas d'enfants, pas de profession. Hier, j'écoutais le son de ma voix. C'était dans la petite chambre bleue de notre appartement qu'on appelle la "chambre sonore". Je me récitais des vers de Baudelaire qui me revenaient. Il me semble que ma voix est plutôt agréable. Mais s'entend-on soit-même?
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Je suis à Prague. Nous sommes le 21 avril 1969. Demain ce sera le 99e anniversaire de la naissance de Lénine. Il y a quelques jours à peine Alexandre Dubcek a abandonné son poste de premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque pour laisser la place à Gustave Husak. Quand je suis arrivé tout à l'heure à l'aérodrome, il faisait froid, mais soleil. Pourtant, quelques instant avant, du hublot de l'avion je voyais de la neige sur les monts et les forêts des alentours de Prague, de la neige sur les sapins de Bohême, d'abord brillante, lumineuse, puis grise, diluée, de plus en plus pâle, pauvre, tandis qu'apparaissait la courbe de la rivière et se dessinait la ville.
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" Il y a dans toute femme quelque chose d’égaré… et dans tout homme quelque chose de ridicule. "
Jacques Lacan
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Goûtez ceci, me dit Eva de sa voix allemande, ce sont des petites tartines grillées frottées d'ail, nous les appelons Topinky, tout simplement, c'est facile à dire, même pour un Français : To-pin-ky. Elle fait passer ensuite du saumon, des petits poissons frits, verse encore de la vodka dans mon verre.
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