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EAN : 9782264009685
254 pages
10-18 (30/11/-1)
4/5   2 notes
Résumé :
Dans une introduction inédite intitulée «Paris-Prague», Raymond Jean considère son roman Les deux printemps – mai 68 et le «printemps de Prague» – dix ans après, et revient sur les événements de Tchécoslovaquie à la lumière du débat, à ses yeux fondamental, qui s'est ouvert dans le P.C.F. en avril 1978.
Le roman lui-même fait entendre la voix d'un homme – le narrateur de ce livre – qui séjourne à Prague pendant une semaine, un an après 1968. Il regarde la vil... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
"Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours,
Et tu recules aussi dans ta vie lentement"
(G. Apollinaire)

L'ordre inversé des signes sur le cadran hébreu, qui domine l'ancienne mairie juive à Prague, a dû jouer un curieux tour à Guillaume Apollinaire.
Il en va de même pour Raymond Jean dans "Les deux printemps", une agréable et surprenante découverte babéliote (merci Moravia !).
C'est un roman qui mélange les réminiscences de mai 68 à Paris et du "printemps de Prague"; des épisodes qui ont apporté leur lot de changements dans les deux pays respectifs.
Mais, tout d'abord, peut-on seulement parler d'un "roman" ? Ou plutôt d'une autofiction ? D'un témoignage ?

Dans la préface, Jean parle du scepticisme de son entourage qui laissait entendre que cette sorte de livre manque de cohérence : "Si l'une des intentions de l'auteur était de traiter un sujet historique, ou plutôt trois : éclairer le drame du printemps de Prague, expliquer le sens du printemps de Paris et comparer dans leurs convergences et leurs différences ces deux événements [...]", il lui serait fort conseillé de "préférer le stylo aux ciseaux et au pot de colle comme instrument de [son] art". de plus, en tant que militant du PCF, l'auteur a dû surprendre par sa réaction embarrassée sur les événements en Tchécoslovaquie, qu'il a visité un an après l'invasion soviétique, et comme il dit lui même, il était à peine surpris lors des séances de dédicace organisées dans les librairies du Parti, que son livre soit toujours "mystérieusement absent de la sélection".
En ce qui me concerne, je trouve qu'avec ce "collage" l'auteur a choisi la meilleure façon possible pour nous faire revivre l'obscure atmosphère pragoise de 1969 : son journal objectif glisse très souvent vers les rêveries feutrées, les chapitres sont entrecoupés par les poèmes qui lui passent par la tête à tel ou tel moment précis, par des extraits de livres qui parlent de Prague et des écrivains pragois, ou encore par des extraits de journaux.
Tout cela possède un pouvoir incroyable pour évoquer le genius loci tant du vieux cimetière juif de Prague, de la cathédrale Saint-Guy, mais aussi des hôtels communistes, des logements d'étudiants et des espaces universitaires tchèques... puis des barricades parisiennes avec leur sensation de chaos et d'ivresse.
Est-ce un sacrilège si je compare les procédés littéraires de Raymond Jean à la façon dont Daniel Mendelsohn a construit "Les Disparus" ? Probablement oui. Mais on y retrouve pratiquement le même sens aigu d'"arrêt sur image" - une intonation de voix, un geste de main ornée d'un bracelet, un sourire résigné - tout est important, intrigant, et dépasse une simple description, en la transformant en sensation insaisissable qui va au-delà des apparences.

Rien que le portrait de l'hôtel Flora où le narrateur passe sa semaine pragoise nous plonge d'emblée dans l'atmosphère : une sorte de luxe miteux destiné aux Occidentaux, avec ses vitrines de cristal de Bohême en vente dans le hall, et la vue sur la ville qui ne laisse rien deviner sur la "normalisation" en cours. Une ville qu'il découvrira de trois façons différentes : à travers les yeux d'un communiste zélé, avec qui il va arpenter les meetings, les couloirs de l'Université Charles et les lieux mondains, de son amie Hana, une intellectuelle d'origine juive, qui lui fait visiter la ville présente et son passé, et enfin Zdenka, une étudiante rencontrée un an auparavant en France. Trois regards étrangement dichotomiques... tout ceci encore souligné par les souvenirs de mai 68 à Paris.
"Plusieurs figures féminines se croisent sur son chemin", nous informe pudiquement la quatrième de couverture, sans évoquer explicitement les fantasmes sur la liftière de l'hôtel Flora qui hantent les nuits de ce professeur de littérature vieillissant, sa romance avec l'une de ses propres étudiantes, ni la nuit en compagnie de la "plus belle femme de Prague". le périple pragois n'apporte pas seulement la sensation que quelque chose est un train de changer extérieurement, mais aussi les émotions liées au changement qui s'opère en nous, le moment donné... en plein milieu d'une soirée estudiantine et des discussions animées politico-culturelles, un quadragénaire éreinté est en train de se demander où est vraiment sa place, et ce qui arrive à ses propres idéaux.

Si le livre a été conçu à coup de ciseaux et d'un pot de colle, c'est alors un collage admirablement réussi avec un fort potentiel de faire voyager son lecteur dans le temps et de l'enrichir par ce voyage. Il ne lui reste qu'à observer, constater, essayer de comprendre et même juger, s'il le souhaite... mais c'est comme ça que Jean l'a vécu, et on le lit d'une traite. 4/5

"Tandis que Prague s'éloigne, disparaît, s'amenuise derrière moi jusqu'à n'être plus que le petit cercle noir tracé au-dessus d'un nom de ville sur une carte de géographie, je pense que beaucoup de temps sera nécessaire pour que revienne ce qui, depuis un an, m'a réveillé à la vie et à l'espérance. Mais cela peut-il revenir, m'être rendu ? le mot de Céline me remonte à l'esprit, presque aux lèvres : "Toute la jeunesse est allée mourir au bout du monde dans le silence et la vérité." Je le murmure pour moi seul, à voix très basse. A côté de moi, la petite fille dort."
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Nous prenons nos billets pour entrer au Musée Juif. La guichetière, une jeune fille peut-être, tend vers nous une main osseuse, aux doigts fins, qu'elle retire prestement. Je demande à Hana ce qui est écrit, en tchèque, au-dessus de la porte. Musée Juif d'ETAT, dit-elle : ce n'est pas très joli, mais c'est important (elle ajoute en riant : ici, tu le sais bien, tout est d'ETAT). A droite du guichet, une sorte de vitrine grillagée un peu semblable à un vaste panneau d'affichage, montre des dessins d'enfants, comme réunis pour une exposition, mais usés, fanés, poussiéreux. J'interroge Hana. Oui, dit-elle de sa voix calme (et plus lente encore que tout à l'heure), ce sont des dessins d'enfants, mais d'un genre un peu particulier : ils ont été exécutés à Terezin où quinze mille enfants juifs et tchèques ont été mis à mort. Dessins, poèmes, ils racontent beaucoup de choses. Je m'approche. Je lis distinctement sous un des dessins - des hachures rouges et des traits verts, barrant un fond de neige, devenu gris, presque noir - la signature d'une petite fille qui s'est appelée : FELICITA SCHNEIDEROVA. Je regarde un autre dessin.
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Svejk se rend à sa provierka, où il vient d'être convoqué. Là il s'entend dire par la secrétaire de cellule : Ecoute, Svejk, nous avons décidé de passer l'éponge et de donner leur chance à tous les camarades qui nous paraissent politiquement récupérable, à condition qu'ils fassent preuve de bonne volonté. Alors, écoute bien ceci : Nous te pardonnons d'avoir dit, le jour des funérailles du camarade Gottwald, qu'avec les dépenses occasionnées par une cérémonie aussi somptueuse, on aurait pu enterrer le Comité Central tout entier ; nous te pardonnons d'avoir mis chez toi la photo de Sophia Loren à côté de celle de Brejnev et, comme on te disait : enlève la photo de cette p..., d'avoir enlevé celle de Brejnev ; mais il y a une chose que nous ne pouvons pas te pardonner et sur laquelle tu dois t'expliquer : c'est de n'être pas venu à la dernière réunion du Parti. Ici, Svejk soupire et se gratte la tête : Mais, dit-il, si j'avais su que c'était la DERNIÈRE réunion du Parti, je serais venu en courant, et avec toute ma famille...
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Ecrire le nom de Prague est déjà extraordinaire en soi. Autrefois quand je disais Pragois, Pragoise, je voyais quelque chose qui tournait, s'enroulait, se déroulait devant mes yeux sur un mouvement de valse (musique d'un vieil orchestre de brasserie), dans un décor baroque d'Europe centrale. Aujourd'hui, écrivant ce nom de ville, je sens d'abord la plume griffer, mordre étrangement le papier, comme si les deux premières lettres, attaquant la feuille, traçaient un signe capable d'en éveiller d'autres, de faire naître d'autres sons,d'autres mots, comme proie, prédateur (instinct prédateur), provocation, prison, déprédation peut-être, ou simplement prendre. J'entends aussi quelque chose qui gronde, adjectif ou verbe, comme rogue ou rager, un bruit de colère. Il y a encore dague dans ce nom, dague, poignard,et, par analogie visuelle, ce mot anglais, plague, qui veut dire la plaie et la peste...
(incipit).
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Je suis à Prague. Nous sommes le 21 avril 1969. Demain ce sera le 99e anniversaire de la naissance de Lénine. Il y a quelques jours à peine Alexandre Dubcek a abandonné son poste de premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque pour laisser la place à Gustave Husak. Quand je suis arrivé tout à l'heure à l'aérodrome, il faisait froid, mais soleil. Pourtant, quelques instant avant, du hublot de l'avion je voyais de la neige sur les monts et les forêts des alentours de Prague, de la neige sur les sapins de Bohême, d'abord brillante, lumineuse, puis grise, diluée, de plus en plus pâle, pauvre, tandis qu'apparaissait la courbe de la rivière et se dessinait la ville.
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Goûtez ceci, me dit Eva de sa voix allemande, ce sont des petites tartines grillées frottées d'ail, nous les appelons Topinky, tout simplement, c'est facile à dire, même pour un Français : To-pin-ky. Elle fait passer ensuite du saumon, des petits poissons frits, verse encore de la vodka dans mon verre.
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