Le début du livre est pourtant assez étrange, l’enfant qu’il était semblait assez inadapté. Toujours à faire des bêtises assez stupides, à réagir au quart de tour, à ne rien comprendre. Mais c’est normal, on ne lui expliquait rien, on ne lui enseignait rien, comment faire autrement que de réagir en réaction épidermique à ce monde qui l’agresse ? C’est donc d’abord assez difficile, d’une part, d’entrer dans le récit de ce garçon qui se bat contre un monde qu’il ne comprend pas, comme une bête sauvage. Mais c’est assez facile pourtant de se laisser porter par cette grande plume. Black Boy, ça se lit tout seul, d’une traite, je ne l’ai pas lâché jusqu’à l’avoir fini.
Et c’est justement parce que le livre commence par ce garçon qui ne comprend pas, qui ne connait pas le monde dans lequel il vit, dans quelle société de la honte il est tombé, que le livre nous ouvre les portes de son esprit et que nous comprenons les drames qui se jouent ici.
Pourquoi est-ce que ce petit garçon se fait battre ? Nous, on comprend, mais lui ne le sait pas. Pourquoi papa s’en va et disparait ? Qui est cette femme ? Nous, on comprend, mais ni sa mère ni son père ne lui disent rien. Pourquoi ne va-t-il pas à l’école ? Lui qui est si doué, sans le savoir, mais qui a du mal à se créer un cercle, à être accepté par les autres ? Bien sûr que sans clés de compréhension il ne peut deviner ce qu’on attend lui, on attend qu’il se range dans un rang énigmatique. En fait, il faisait preuve d’une intelligence folle, d’une imagination débordante, il était capable de créer, d’écrire, déjà très jeune, d’imaginer… Là où ça lui était interdit. On lui a dit des choses terriblement affreuses comme : « un nègre n’écrit pas. » Non, bien évidemment, dans les Etats-Unis de la prohibition, une personne noire ne pense même pas.
Envoyé chez des parents, dans cette famille dont la maison ressemble à un caveau, tous s’attendent à ce qu’il soit dévoué à Dieu, sans raison. Une famille qui s’attend à ce qu’il comprenne qu’il est noir et qu’il y a un « statut de noirs », un statut de presque esclave inhérent à sa condition dans ces Etats-Unis racistes. Mais c’est lui qui avait raison, comme on ne lui a rien expliqué, il a construit son monde, un monde qu’il sait possible, là-bas, plus au Nord, un monde d’égalité.
Et parce qu’on lit son roman, son autobiographie, qu’on connait son grand nom, on est heureux de savoir que c’est lui qui vaincra sur la vie. Il va d’ailleurs, pour s’en sortir, devoir faire semblant de rentrer dans le moule. Même s’il reste crédule, car, à nouveau, il doit tout comprendre, deviner, expérimenter par lui-même. Il va rencontrer d’autres noirs, qui se plient ou non, il va rencontrer des racistes, mais quelques blancs, trop rares, qui voudront l’aider mais dont les capacités, car eux-mêmes ne sont pas dans le moule raciste, sont limitées.
Dans tout ça, l’écriture est édifiante, ça coule, le sens de la formule est incroyable, les dialogues nous portent, grâce à sa mémoire sans faille, il les retrace, avec violence et vérité. Bon sang, on ne peut pas dire que c’est un beau bouquin, car il condense tout ce qu’il y a de moche ici-bas, mais alors, quel livre !
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