Robert Fossier avait une parfaite connaissance de l'historique et de la géographie des terres au Moyen Âge (on peut, pour s'en convaincre se reporter à ce dense et fort difficile ouvrage qui se nomme Enfance de l'Europe), et il en donne ici un brillant exemple dans ce livre intitulé : Villages et villageois au Moyen Âge. Le propos de l'auteur est ici fort clair et en apprend encore beaucoup à ceux qui ont envie d'en savoir davantage sur le sujet, autrement qu'en lisant Georges Duby.
D'entrée, il faut s'entendre sur les mots : Robert Fossier n'étend pas son étude à tout le Moyen Âge, son champ chronologique est restreint à une période qui va de 900 à 1250 environ, et qu'il considère comme celle de la naissance puis de la croissance du village médiéval, et très vite il définit les conditions démographiques pour que le terme de village soit appliqué à un regroupement de contructions et d'occupants qui peuvent rentrer dans cette catégorie. Le noyau du village est bien alors l'église paroissiale, son cimetière et les quelques maisons qui se regroupent autour, quand ce n'est pas le château seigneurial qui sert de coeur. Après cette description qui permet aussi de dire quels sont les lieux de vie et d'activité individuels et collectifs, familiaux, professionnels, communautaires, cultuels, féodaux, etc., on peut élargir le regard à la distinction entre ville et village dès que la croissance urbaine des XIIe et XIIIe siècles relègue nettement le village dans le monde rural.
Du rapport de Jacques Bonhomme avec son seigneur, il faut cesser de parler exclusivement en termes de mépris ou de méfiance réciproque, car le paysan produit pour l'aristocratie aussi bien bien que pour les populations citadines et campagnardes, et on ne peut totalement le considérer comme quantité négligeable. Inversement, la confiance et la fidélité des villageois à leur seigneur ne se dément pas ou peu tant que les aristocrates tiennent le rôle qui doit être le leur dans l'organisation sociale, notamment en ce qui concerne la protection des populations laborieuses et civiles, par définition moins belliqueuse que la caste chevaleresque.
Il est aussi question des relations et des partages de tâches entre hommes et femmes dans la vie domestique, de la nourriture des villageois, de leurs rites, de leurs fêtes, de la coupure entre vie active et temps de repos et de distraction, et bien des idées reçues sont battues en brèche, notamment en ce qui concerne l'âge que les habitants des milieux ruraux et villageois pouvaient atteindre ou sur la répartition qui pouvait être faite entre eux et leurs seigneurs et "maîtres" dans l'utilisation de la production paysanne.
C'est tout un univers qui s'anime devant nous et une économie qui nous livre ses vrais ressorts.
Sans doute l'un des ouvrages les plus synthétiques et les plus accessibles parmi ceux que nous laissa Robert Fossier (1927-2012).
François Sarindar
Commenter  J’apprécie         1009
Que Philippe Contamine et Robert Fossier, en faisant le point sur les sources disponibles et les évolutions du traitement de la question par des générations d'historiens, aient eu à se partager les parties introductives des nombreuses contributions qui ont donné ces très bonnes analyses du phénomène sur des plans locaux et de plus grands espaces territoriaux (je pense notamment à ce qu'a écrit Jean Richard à propos de la Terre Sainte et de Chypre où l'on voit se faire une implantation des traditions féodales occidentales en croisement ou en parallélisme avec les coutumes locales et les législations dominantes sur place), cela montre que le sujet serait à revisiter régulièrement, car il y aurait encore bien des aspects à traiter ou des points déjà abordés à réexaminer sous des angles différents.
De nouvelles recherches et des parutions plus récentes permettraient sans doute de faire un nouveau tour d'horizon.
Ce qui n'empêche pas de constater que les différentes interventions des spécialistes réunis ici n'ont rien perdu en qualité et peuvent toujours servir de points d'appui à de nouveaux chercheurs et historiens.
Reste que l'importance plus ou moins grande à donner à ce qu'a écrit chacun des participants en fonction du thème abordé donne des résultats assez inégaux, ce qui est sans doute inhérent aux travaux additionnés, mais chacun appréciera selon qu'il est plus sensible à tel ou tel aspect.
François Sarindar
Commenter  J’apprécie         797
Je dois dire que je m’attendais à autre chose, justement sans doute ce qu’il déclare dans la préface ne pas avoir voulu faire : une typologie par classe et métiers. Mais je ne suis pas du tout déçue.
Il passe en revue tous les aspects de la vie. Les âges de la vie, le travail, les loisirs, la nature, la vie sociale et religieuse, les connaissances…
Une des constantes de Robert Fossier dans ce livre, c’est de revenir sur des images toutes faites du Moyen-Age comme la place toute subalterne de la femme, quitte à contredire Georges Duby et son “mâle Moyen-Age”.
C’est ainsi qu’il revient sur l’idée qu’à cette période on ne vit pas vieux. Certes il y a de grands risques pour les premières années, mais passé ce cap, on peut espérer être sexagénaire voire, plus rarement, septuagénaire. Mais à la fin du Moyen-Age est célébrée la jeunesse, tous les héros sont dits jeunes et beaux. Il y a vraiment des ressemblances entre leur monde et le nôtre.
Il y a de longs passages sur les animaux, leur place dans la vie et l’imaginaire des gens.
Robert Fossier prend souvent du recul pour parler de l’homme en général. C’est assez étonnant chez un historien. Je me suis parfois demandé comment le prendre. Je dois dire aussi que si j’ai été passionnée à certains moments, à d’autres je me suis un peu ennuyée.
Ces gens du Moyen-Age, ce sont les humbles, les laboratores , non les bellatores et les oratores. Il veut faire revivre dans leur quotidien, leurs soucis, leurs joies, leurs interrogations, le peuple des villes et des campagnes.
Commenter  J’apprécie         260
La "fin" de vieux conflits intra-européens (guerre de Cent ans entre France et Angleterre, guerre des Deux Roses en Angleterre, guerre contre le royaume de Grenade et conquête des dernières possessions des Maures en Espagne) amène tout naturellement des États occidentaux comme l'Angleterre, l'Espagne, le Portugal et les Pays-Bas, ainsi que la France, dans une moindre mesure, à partir à la découverte du reste du monde : on se sent trop à l'étroit chez soi, les cadres anciens ne suffisent plus, il y a un trop-plein d'énergie que nos sociétés passées par une longue crise à la fin du Moyen Âge refoulent ou poussent vers l'exterieur, vers ces univers encore mal connus : l'Occident s'ouvre au reste du monde en entrant en confrontation avec lui, aussi bien dans le Nouveau-Monde, qu'en Asie et en Afrique dont l'exploration commence. Il y aussi, au sein de la chrétienté un mouvement de scission avec la Réforme protestante qui s'insurge contre l'ordre établi de (et par) l'Eglise catholique. Mais les deux familles chrétiennes, les Catholiques et les sectes protestantes, si elles rivalisent, croient aussi avoir une mission à remplir, celle d'une évangélisation censée implanter la vraie foi là où elle était ignorée. Imaginons le choc pour des civilisations autres que les nôtres de se voir imposer les modèles importés par les conquérants occidentaux, venus dans ces pays de l'autre " bout du monde" avec toutes leurs trouvailles techniques et bouleversant le mode vie de nombreuses populations qui ne pensaient pas connaître un jour une telle invasion, réalisée par vagues continues.
Tous les peuples ou presque, désormais, se connaissaient. Mais ils n'allaient pas coexister pacifiquement. Il y eut un prédateur dominant et ce fut l'Occident. L'Histoire marchait alors dans ce sens.
Robert Fossier ne le cache pas, mais sans doute pense-t-il qu'il ne sortit pas que du mal de ces confrontations. Mais il fallut du temps, d'un côté comme de l'autre, pour s'en rendre compte. Peut-être ce mal était-il nécessaire dans l'enfantement progressif d'un monde plus uni que l'on espère un jour n'être plus qu'un grand village enfin pacifié et une grande famille enfin réconciliée avec elle-même ? A l'heure qu'il est, cela n'est encore qu'un vague espoir.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
Commenter  J’apprécie         220
L'Occident et Byzance deviennent des "phares de civilisation", et cependant le Moyen Âge ne se vit pas que dans l'aire géographique de l'Europe occidentale et orientale ou qu'au Moyen-Orient et en Asie. Nous avons développé dans nos contrées une pensée, une culture, une stratification sociale, un moule religieux et économique communs à tous les pays de la région et la progressive formation de blocs territoriaux constitués par les royaumes, duchés et comtés ne sont cependant qu'un phénomène réduit à l'Europe. Résumer le Moyen Âge à cela, c'est regarder par le petit bout de la lorgnette, car ailleurs, même si l'on ne voit pas ces sociétés briller autant que les nôtres, il y a bien une histoire africaine et une histoire amerindienne qui peuvent se raconter et nous être révélées, en regardant mieux. Lecture enrichissante.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
Commenter  J’apprécie         221
Ce travail couronne une œuvre de médiéviste. Fossier semble indépassable avec ce regard panoramique qu'il porte sur le Moyen Âge. Un grand angle qui élargit le champ d'analyse à tous les continents et nous prouve que le Moyen Âge ne fut pas qu'un phénomène occidental ou oriental.
Où l'on prend conscience que le Premier Moyen Âge ne se résume pas à la pénétration en Europe occidentale des peuplades dites barbares qui vivaient aux franges de l'Empire romain et qui s'étaient en fait profondement romanisées ou qu'au phénomène de morcellement des terres et d'émergence de la féodalité sur les ruines des Empires romain puis carolingien.
De nombreuses pages nous fournissent la preuve qu'il faut savoir regarder ailleurs, qu'il a existé d'autres peuples qui vivaient différemment et parfois semblablement, sous certains aspects, sur d'autres continents. Nous avons bien là un tableau d'ensemble qui nous permet de penser aussi une histoire du Moyen Âge diversifiée selon les climats et les latitudes. Ce premier volume comme les suivants ouvre les horizons à l'échelle planétaire.
Francois Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
Commenter  J’apprécie         220
ces gens du moyen Age de Robert Fossier
❤️ 📜𝕸𝖔𝖓 𝖗𝖊𝖘𝖘𝖊𝖓𝖙𝖎📜 ❤️
L'auteur dans ce livre, Ces gens du Moyen-Âge, remet au clair les idées que l'on se fait sur les sociétés médiévales.
Oui ! en fait quand on dit "Le moyen âge " à quoi pensons nous avant tout ?
Sachant qu'il débute au VIème siècle jusqu'au XXVIème siècle , pour ma part je pense à tout ce qui s'est passé en 1000 ans environ ?
Il y a de quoi réfléchir !.
J'énumère de ce que ma mémoire me dit, mais succinctement
le système féodal avec toutes ses activités humaines , seigneurs , chevaliers , combats, joutes ,
les tournois (très important )sera utilisé pour qualifier toute forme de jeu chevaleresque.
Je pense aussi que c'est le temps de la construction des grandes cathédrales , évolution de l'art sur ces constructions (art roman et gothique ).
Les moines et les monastères qui eurent un impact considérable sur la vie politique et religieuse.
La construction des châteaux forts remplaçants les fabrications en bois ,
Les développements philosophiques et théologiques qui entraînèrent une grande activité intellectuelle
Les troubadours et les ménestrels. Les écritures magnifiquement enluminées
Les futures croisades et les nombreux pèlerinages ........voila !
Prenez de bons livres d'histoire c'est mieux !
Alors vous croyez que Robert Fossier parle de tout cela ? et bien non !!
Il nous parle de la vie quotidienne des hommes.
Le quatrième de couverture décrit bien ce qu'il en est !
il nous parle de ceux qui sont des pauvres gens ,des gens ordinaires ,ceux qui pensent plus au temps qu'il va faire demain , de ce qu'ils vont manger , de ce que raconte le voisin , enfin de ceux que l'on ne parle jamais parce qu'ils ne parlent pas ;
Mais dont les joies et les peines sont toujours encore des nôtres de nos jours ..
Voila mes amis un livre ou Fossier aborde les domaines du commun des mortels, qui sont ils ?
Et bien ces gens sont Nous en 2023 dans la grande majorité : le peuple .
Commenter  J’apprécie         201
Je n'ai jamais réussi à m'intéresser à la histoire par le passé, je trouvais assez rébarbatif ces histoires de roi, d'empereur, de conquêtes, de guerres. Je me souviens très bien qu'en étudiant l'histoire politique, économique à l'école puis à l'université ensuite, je me posais sans cesse cette question: "Certes, tout ceci est intéressant mais qu'en est-il de Monsieur et Madame tout le monde ? Comment vivaient-ils au quotidien ? Que pensaient-ils ? Quels étaient leurs opinions sur le monde qui les entourait ?". Ce livre m'a apporté des éléments de réponse. Il m'a surtout permis de comprendre que la parole du paysan, de l'artisan, du commerçant ne nous parviendra jamais qu'indirectement, au travers d'écrits dont ils ne sont pas (ou très rarement) les auteurs, de vestiges, de fouilles, de textes juridiques ou administratifs. Dès lors, c'est un travail de longue haleine qui ne se contentera pas de transcrire les récits des gens de la haute société mais d'en lire les éléments entre les lignes, car ces écrits sont truffés de mensonges, d'exagérations, de raccourcis qui ont façonnés les fausses idées de notre époque. J'espère vraiment que les écoles, les films, les romans, les séries se baseront dorénavant sur ce genre de livres pour construire leur scénario. Mais bon, je rêve tout éveillé là!
Commenter  J’apprécie         80
Naissance des corporations et corps de métiers, nouveaux statuts des uns et des autres afin de se protéger de ces seigneurs trop entreprenants sur la richesse de ses sujets.
Rites initiatiques, règles de l'art, solidarité corporatiste et professionnelle s'installent dans de nouvelles castes sociales.
A découvrir dans un style parfaitement abordable invitant le lecteur à suivre ces évolutions sociales qui ont été les bases des combats que les ouvriers puis les syndicats livreront par la suite pour la protection des salariés.
Commenter  J’apprécie         40
Une référence en la matiere
Commenter  J’apprécie         30