Citations de Robert Pinget (78)
A un jeune romancier qui s'évertue à camper, comme il dit, des personnages, monsieur Songe conseille en termes gracieux de décamper d'abord du sien. Apprendre à écrire c'est se mettre à l'école de l'humilité. Tout le temps après de jouer à l'auteur.
J'ai dit naguère bien des sottises dit monsieur Songe. Mais si je ne les avais pas dites, ne serais-je pas moins sage aujourd'hui ? Reste à savoir si la sagesse ne vous fais plus dire de sottises.
L’optimisme est aussi incertain que le pessimisme mais il tient mieux compagnie.
Connaître l’heure de sa mort serait se priver de tout imaginaire.
Quelqu'un écoute.
D'une oreille si attentive qu'on l'entend écouter.
On n’analyse ses sentiments que lorsqu’ils perdent de leur force.
Une grande passion se vit sans retour sur soi-même. C’est son déclin qui prête à réfléchir.
Dire je n'ai plus d'illusions signifie il m'en reste d'inoubliables.
Il s'est levé, il a repris sa route qui ne mène nulle part, disant je serai le plus fort, rongeant son frein, rentrant ses larmes, me voici depuis toujours parmi les exilés, nous en ferons le bonheur, seules les absences soutiennent.
Il se dirige vers ce pré qui flambe et il dit des coquelicots pour les enfants, des bouquets qui se fanent, des années lointaines, douces et lointaines.
Pour passer la nuit il s'arrêta devant une grange abandonnée, y entra et dans le foin fit un trou où il s'endormit, sa musette sous la tête.
Mais quelqu'un l'avait vu dans la clarté lunaire, un promeneur attardé.
Il y a des temps de désespoir d'abord qui alternent avec d'autres où l'âme se libère mais peu à peu l'alternance ne se fait plus et c'est alors que la tête pourrit.
Est-ce qu'il y a pensé avant de s'endormir ou a-t-il seulement compté les poutres de la charpente.
Et cet autre attardé.
Cette ville qui fume encore.
Une maison qui était la nôtre dit-il et me voici parmi les exilés à croquer du pain sec et à pleurer sans cesse d'une halte à l'autre, d'une nuit à l'autre, jusqu'au jour où cette possession ne sera plus qu'une photo dans ma poche entre le passeport et une carte postale.
Et ne plus rien voir.
A peine entendre.
A peine une plainte sourde, inarticulée, en percevoir des bribes puis les perdre puis retrouver des harmoniques sur cette vieille corde d'instrument éventré par les barbares.
Le personnage est observé par quelqu'un d'innommé, ce qui prête à confusion mais le propos initial n'y semblerait pas contraire.
Que nous n’ayons pas encore trouvé une phrase, depuis le temps, pour nous en passer de la nature, une phrase qui retienne tout ensemble, on la dirait le matin 1’estomac plein jusqu’au soir où devant le coucher du soleil on la redirait la bouche pâteuse, plus besoin de sommeil ni de plaisir, phrase nourrissante, apaisante, la panacée, en désherbant le pré, en lavant le Z des autres, alimentaire, potable, éclairante, jusqu’au jour …
L’à peu près
Quand tu regardes avec des jumelles, tu tiens un instrument de précision et tu vois très nette une petite cabane qui serait floue sans jumelles. Aussitôt tu dis : « Tiens, elle ressemble à telle autre, elles sont à peu près pareilles », déjà tu ne la vois plus, dans ton esprit tu la compares à celle que tu crois être avant alors qu’elle est après l’autre cabane. C’est une manie. La vérité c’est les jumelles, la précision, la vraie chose d’avant c’est les jumelles. Il. faudrait dire : «Tiens, ces jumelles sont à peu près la cabane. » Mais tu n’es pas logique, tu sautes les jumelles et la chose d’avant devient la cabane que tu vois, et celle d’après la cabane imaginaire. Tu crois progresser de précision en précision alors que tu régresses, la seule précision c’est celle que tu as entre les mains. Toujours ce futur loufoque, à cause des comparaisons. Le faux futur, puisqu’en inversant les termes tu t’empêtres dans des vieilleries.Le mieux serait de ne jamais comparer. On serait sûr d’aimer comme il faut.
Mon cher fiston. Je recommence. La figure défaite, les lacets dénoués, le paletot flottant, la tignasse hirsute, l’oeil pleurard, la tête vide. Cette prison où je suis. Ça recommence. La main qui t’écrit. Perdu la trace. La trace de la trace du. La tête. L’entête. Se précipitent sur le mur, s’écrasent, taches sur le mur, trous. Trous de clous. Mur clouté de trous. S’éloignent, se rapprochent. Ma tête clouée, ces trous dans ma tête, le mur. Je ne voulais pas, je voulais. T’écrire. Comme si la nuit dans sa clémence réussissait à réussir à réunir sous le même toit dans sa clémence indéfinie réussissait à réunir sous le même toit. Torture. Trouée. Cette lettre n’arrivera pas à partir. Je l’aurais postée cette nuit. J’ai posé ma plume, j’allais recommencer.
Quelle misere d'avoir entrepris d'ecrire ca. Se replonger dans cette matinee a vomir, dans toutes les matinees a vomir, et les apres-midi, et les soirees et le reste. Mais je ne peux pas faire autrement. Je n'ai rien entrepris, ca s'est impose. Je ne peux pas continuer ce travail sans ce papier et je dois le dire. Qu'on me comprenne, qu'on se mette a ma place. Je me demande si quelqu'un voudrait. Quelqu'un.
Je me demande dit Monsieur Songe à son ami Mortin pourquoi nous avons tant de difficultés à être nous-même c'est-à-dire authentiques donc différents.
L'autre répond je me demande moi si être soi-même n'est pas, à force d'approfondissement, ressembler en tout point à quiconque. Cultiver sa différence me paraît s'obstiner à rester superficiel donc inauthentique.
Pourquoi planter ces jonquilles que vous n'aimez plus?
Pour me rappeler le temps où je les aimais.
Il note dans son cahier travailler pour se passer l'envie de ne plus travailler qui mène à regretter de ne plus en avoir envie.Sa phrase lui paraît ambiguë mais il la garde pour se donner l'illusion de la profondeur.
Monsieur Songe a toujours confondu parler avec écrire. Pour la bonne raison qu'étant fort insociable il se créait un auditeur avec sa plume. Il aurait pu parler tout seul c'est entendu mais que faire alors de cette plume ?