Tant de beaux livres qu'on dirait faits pour les mourants.
Et elle continuait, elle continuait sur sa soeur morte à l'asile où ils feraient mieux de dépenser pour les soins et la nourriture au lieu de planter des fleurs partout qu'on dirait un jardin zoologique, une agonie qui n'en finissait plus, j'en pleure encore quand j'y pense, et ma cousine a été si bonne pour moi à mon veuvage, elle me faisait la vaisselle le soir et nous jouions aux cartes jusqu'à des minuit une heure, et de ses neveux qui ont tous réussi dans la vie, l'éducation ça paie, sauf un qui a attrapé une méningite farineuse comment ça s'appelle, pauvre enfant s'il pouvait mourir ce serait une bénédiction mais on s'y attache quand même, quel âge peut-il avoir, quarante, quarante-cinq, il irait droit au ciel faire une bel ange de Dieu.
In paradisum.
Toc toc toc.
C'est ce matin-là qu'il l'aurait trouvé mort dans son lit, un beau jour de printemps, du soleil à travers les persiennes, grand désordre dans la chambre, toutes les paperasses répandues par terre.
Le neveu est arrivé tout de suite sur un coup de téléphone, il a fait venir le docteur qui a constaté le décès, le domestique était dans un état, nous faire ça à nous, il se remettait de son mal, reprenait de l'appétit, tout fonctionnait à nouveau. Eh oui mon pauvre, la vie. Et puis le triste branlebas des allées et venues, des visites, les voisins, les amis, il en connaissait du monde vous n'auriez pas cru, lui si simple, si modeste, si seul.
In paradisum.
Quand on pense au travail qu'il aurait fallu pour rassembler tous ces papiers, les classer, numéroter, puis triturer et récrire de fond en comble ce discours bouleversant d'incohérence, cris de détresse, visions de maniaque, angoisses, prémonitions...
Cette vieillesse qui n'en finit plus alors que renaissent les jours, on a beau marquer la page elle n'est plus de saison, livre impossible à lire sans subir le désastre.
Ou cette lettre adressée on ne sait plus à qui...
Il attendait la nuit comme un baume, d'abord sans le savoir et puis conscient de cette plaie, ne souffrait plus les longues après-midi de soleil et se réfugiait dans sa chambre, tirait les rideaux, respirait mieux dans la pénombre, pour ressortir l'obscurité venue et ressasser dans le jardinet l'horreur des joies enfuies.
Dix pas, cinq pas.
Nuit profondément composée.
Ce trouble à surmonter.
Le personnage est observé par quelqu'un d'innommé, ce qui prête à confusion mais le propos initial n'y semblerait pas contraire.
Mathieu Lindon Une archive - éditions P.O.L où Mathieu Lindon tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Une archive", et où il est notamment question de son père Jérôme Lindon et des éditions de Minuit, des relations entre un père et un fils et entre un fils et un père, de Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Marguerite Duras et de Robert Pinget, de vie familiale et de vie professionnelle, de l'engagement de Jérôme Lindon et de ses combats, de la Résistance, de la guerre d'Algérie et des Palestiniens, du Prix Unique du livre, des éditeurs et des libraires, d'être seul contre tous parfois, du Nouveau Roman et de Nathalie Sarraute, d'Hervé Guibert et d'Eugène Savitzkaya, de Jean Echenoz et de Jean-Phillipe Toussaint, de Pierre-Sébastien Heudaux et de la revue Minuit, d'Irène Lindon et de André Lindon, d'écrire et de publier, de Paul Otchakovsky-Laurens et des éditions P.O.L, à l'occasion de la parution de "Une archive", de Mathieu Lindon aux éditions P.O.L, à Paris le 12 janvier 2023.
"Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça ? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été ?"
+ Lire la suite