Citations de Roland Villeneuve (30)
Cette sublime extase [à l'image de celle de sainte Thérèse d'Avila] ne fut jamais l'apanage que de très rares âmes d'élite. Beaucoup d'efforcèrent de l'atteindre par la voie de l'ascétisme, de la prière, des mortifications. Parvinrent-ils à attirer sur eux la grâce divine ? Assurément, si l'on en juge par le nombre de gens béatifiés pour leur vertu, leur crasse ou leur misère.
Sujets à l'herpès, à la gale, aux affections dermoïdes, qui incitent à l'onanisme, les moines trouvaient quant à eux une sorte de passe temps dans la flagellation.
Pour venger leurs dieux insultés, ou tout simplement l'idée qu'ils s'en font, les pauvres sots s'étripent, s'embrochent, s'empalent, pour la plus grande gloire du Ciel et l'étonnement des philosophes.
Le garrot et la pendaison, procédés en somme assez voisins, n'exigent guère de préparatifs ardus ou compliqués. Monsieur, déclarait le bourreau John Ellis, à Charles Duff, auteur d'un ouvrage sur les supplices britanniques, "la pendaison est propre. C'est le moyen le plus propre de mettre à mort les gens. En vérité, elle est anglaise, comme le cricket, le plum-pudding ou la Worcester sauce." Et Duff ajoute que ce bourreau si fier de lui, n'avait que du mépris pour l'électrocution ; cruelle non seulement pour le condamné rôti comme un hareng, mais surtout pour les personnes présentes. Il faut bien admettre qu'il n'avait pas entièrement tort.
Les chevaux tiraient d'abord par saccades, puis tous en même temps, le corps auquel ils étaient reliés par des courroies. Lors de l'interminable exécution de Damiens, une jeune fille se plaignit que l'on fit tant de mal à ces pauvres bêtes, en les fouettant. Sa réflexion vaut bien celle du gamin qui remarquant un lion isolé dans un scène de martyre, s'écriait : "Voyez le pauvre lion qui n'a pas son Chrétien !"
C'est dans un grand plat rempli d'huile, de soufre, de poix et de résine, que l'on fit parfois frire les chrétiens, à la manière du poisson, leur emblème sacré.
Suivant l'intensité du traitement infligé et la fin qu'on lui assigne, la flagellation relève de domaines très différents. Appliquée avec douceur, elle vient châtier les incartades des bambins, les écoliers et les femmes turbulentes ; violente, elle constitue un apprêt du supplice capable de conduire au trépas. Dans son "Flagellum salutis", paru à Francfort en 1698, le médecin Paullini la recommande contre la mélancolie, la rage, la paralysie, les maux d'yeux, d'oreilles et de dents, le goitre et les avortements. Elle est une panacée véritable que l'on donne en Angleterre aux femmes ivres le dimanche, et en France, aux fous et aux vérolés.
Contemplons à présent la flagellation, de Holbein, aujourd'hui au Musée de Bâle. Elle s'offre à nous comme un microcosme, un compendium, une exposition d'aberrations érotiques. Le Christ, très androgyne, croisant les jambes ainsi qu'une jeune vierge effarouchée, est entouré par un bourreau sadique à la braguette équivoque et un spectateur masochiste qui voudrait bien qu'on le fouette aussi.
À la fin du Moyen Age la nudité n'effarouchait pas autant qu'on l'imagine. Les rois apparaissaient tout nus le jour du sacre. Leurs entrées dans les villes étaient saluées par des filles entièrement dépouillées. Leurs sujets se montraient in naturalibus, au lit, au bordel et aux étuves. Ou sur la scène des mystères, quand ils figuraient Adam et Eve avant le péché. L'Église, à qui l'on devait l'invention de la pudeur, laissait se fortifier ces mœurs gaillardes. Seule la transgression des tabous lui déplaisait vraiment. [...] Elle ne pouvait supporter le travestissement, qui rappelait les cultes païen, et, par extension, évoquait des pratiques que l'on qualifie d'antinaturelles.
Le lecteur concevra aisément qu'une société policée se doit épargner la morsure de ces monstres assoiffés d'un sang qui symbolise à la fois la fluidité de l'âme et la vigueur sexuelle.