Citations de Romane Lafore (15)
Il croyait en un monde meilleur, or ce monde meilleur, il l'avait fondé ici, entre les quatre murs d'une librairie qui peinait chaque année à boucler son bilan.
En deux cent cinquante pages, un homme que je ne connaissais pas avait résumé de ma vie tout ce qui, pensais-je jusqu'alors, la rendait différente de celle des autres.
Elle est nue, il a encore la force de la prendre, il l'agrippe par les hanches, il la fait rebondir contre son ventre, puis il s'abat sur elle longtemps avant l'orgasme, pour se sentir ancré en elle, pour puiser au creux de son ventre la preuve physique que toute cette histoire a bel et bien existé.
Combien me parut souple l’italien, une fois que j'appris à le glisser tout entier dans ma bouche comme un gros caramel mou, tantôt lourd et plein dans le fond de ma gorge, baignant mes amygdales de voyelles charnues que je n'avais plus peur de faire résonner depuis mes lèvres ouvertes jusqu'au fond de mes entrailles, tantôt taquin quand je le titillais du bout de la langue pour en faire tinter des "r" à peine frottés contre l'arrière de mes incisives, retournant et lustrant sous ma langue autrefois gourde ce bonbon qui en fondant libérait son sucre entre les parois de mes joues et imposait à mon souffle une cadence faite de longues déglutitions et de pics de glycémie, m’obligeant, moi, le fils du silence, à épouser de ma voix le rythme d'une vague marine, suspendu dans les syllabes atones, guettant le moment où, de toute la force de mes poumons, j'allais la projeter dans le fracas d'un accent tonique.
On ne guérit pas d’une peau, d’un ventre, d’une frange de cils ourlés par le sel. /…/ On ne guérit pas du jour de la rencontre – aucune annonce dans les nuages ce matin-là, aucun soin particulier devant le miroir -, on ne guérit pas de s’être trouvé à un endroit, d’avoir lâché sans y penser des mots qui fonderaient un univers. On ne guérit pas d’avoir aimé.
Nous nous étions possédés à Rome, déchirés à Paris. Laura portait toutes les couleurs du Sud. Elle en était le bruit, la profondeur. Elle était impitoyable et versatile. Je l'avais perdue. Mais j'étais incapable de transformer ma douleur en livre. De l'amour, je refusais de guérir.
En deux cent cinquante pages, un homme que je ne connaissais pas avait résumé de ma vie tout ce qui, pensais-je jusqu'alors, la rendait différente de celle des autres.
Nous nous étions possédés à Rome, déchirés à Paris. Laura portait toutes les couleurs du Sud. Elle en était le bruit, la profondeur. Elle était impitoyable et versatile. Je l'avais perdue. Mais j'étais incapable de transformer ma douleur en livre. De l'amour, je refusais de guérir.
Laura s'était éteinte, comme une flamme soudain privée d'oxygène. L'histoire qu'elle vivait avec Agostino avait asphyxié la nôtre.
Chez Laura, le bonheur lui-même était une source de souffrance.
Comment faire le deuil d'un amour quand on ne connaît pas les raisons de sa mort ?
J'avais la sensation que ma vie, depuis trois ans, consistait à remonter un escalator descendant.
La réponse ne se fit pas attendre, précédée des points de suspension ondulants qui réussissent toujours, même pendant une fraction de seconde, à réactiver en moi la peur de l'abandon.
J'avais vécu cette irruption brutale et indiscutable, l'urgence d'une peau, l'éclat non négociable d'un regard.
La mort de ma mère avait été engloutie par le silence qui avait toujours accompagné, chez nous, les sensations fortes.