Entretien mené par Gérard Meudal
Dans le cadre du Festival Italissimo 2024
Comment saisir l'essence et les contradictions de notre époque ? Mario Desiati et Fabio Baca, deux des meilleurs écrivains de leur génération, s'y essayent avec bonheur. Les Irrésolus de Desiati, lauréat du prestigieux prix Strega, explore les questionnements et le désir de vivre de Claudia et Francesco, deux expatriés en quête d'appartenance, d'acceptation de soi et d'amitiés durables. En parallèle, Nova de Fabio Bacà, finaliste des Prix Strega et Campiello en 2022, suit Davide Ricci, neurochirurgien respecté, confronté à un événement inattendu qui dévoilera les pulsions latentes et le côté le plus sombre de chaque membre de sa famille. Deux oeuvres intimes et puissantes qui plongent le lecteur au coeur des questionnements existentiels, de la recherche de soi, et confrontent les aspects les plus complexes de la condition humaine.
À lire Fabio Bacà, Nova, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Gallimard, 2024
Mario Desiati, Les Irrésolus, trad. de l'italien par Romane Lafore, Grasset, 2024.
Son par Adrien Vicherat
Lumière par Patrick Clitus
Direction technique par Guillaume Parra
Captation par Marilyn Mugot
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Il croyait en un monde meilleur, or ce monde meilleur, il l'avait fondé ici, entre les quatre murs d'une librairie qui peinait chaque année à boucler son bilan.
En deux cent cinquante pages, un homme que je ne connaissais pas avait résumé de ma vie tout ce qui, pensais-je jusqu'alors, la rendait différente de celle des autres.
Combien me parut souple l’italien, une fois que j'appris à le glisser tout entier dans ma bouche comme un gros caramel mou, tantôt lourd et plein dans le fond de ma gorge, baignant mes amygdales de voyelles charnues que je n'avais plus peur de faire résonner depuis mes lèvres ouvertes jusqu'au fond de mes entrailles, tantôt taquin quand je le titillais du bout de la langue pour en faire tinter des "r" à peine frottés contre l'arrière de mes incisives, retournant et lustrant sous ma langue autrefois gourde ce bonbon qui en fondant libérait son sucre entre les parois de mes joues et imposait à mon souffle une cadence faite de longues déglutitions et de pics de glycémie, m’obligeant, moi, le fils du silence, à épouser de ma voix le rythme d'une vague marine, suspendu dans les syllabes atones, guettant le moment où, de toute la force de mes poumons, j'allais la projeter dans le fracas d'un accent tonique.
Elle est nue, il a encore la force de la prendre, il l'agrippe par les hanches, il la fait rebondir contre son ventre, puis il s'abat sur elle longtemps avant l'orgasme, pour se sentir ancré en elle, pour puiser au creux de son ventre la preuve physique que toute cette histoire a bel et bien existé.
On ne guérit pas d’une peau, d’un ventre, d’une frange de cils ourlés par le sel. /…/ On ne guérit pas du jour de la rencontre – aucune annonce dans les nuages ce matin-là, aucun soin particulier devant le miroir -, on ne guérit pas de s’être trouvé à un endroit, d’avoir lâché sans y penser des mots qui fonderaient un univers. On ne guérit pas d’avoir aimé.
Nous nous étions possédés à Rome, déchirés à Paris. Laura portait toutes les couleurs du Sud. Elle en était le bruit, la profondeur. Elle était impitoyable et versatile. Je l'avais perdue. Mais j'étais incapable de transformer ma douleur en livre. De l'amour, je refusais de guérir.
Nous nous étions possédés à Rome, déchirés à Paris. Laura portait toutes les couleurs du Sud. Elle en était le bruit, la profondeur. Elle était impitoyable et versatile. Je l'avais perdue. Mais j'étais incapable de transformer ma douleur en livre. De l'amour, je refusais de guérir.
En deux cent cinquante pages, un homme que je ne connaissais pas avait résumé de ma vie tout ce qui, pensais-je jusqu'alors, la rendait différente de celle des autres.
Laura s'était éteinte, comme une flamme soudain privée d'oxygène. L'histoire qu'elle vivait avec Agostino avait asphyxié la nôtre.
Comment faire le deuil d'un amour quand on ne connaît pas les raisons de sa mort ?