Un livre de Marie-Andrée Fallu et Kaven Daigle
En librairie le 7 novembre / en précommande ici : https://bit.ly/2OXAG02
" Bien que chaque soldat ait une histoire qui lui est propre, tous partagent de fortes expériences collectives. Ces récits intimes, courageusement racontés tels qu'ils ont été vécus, ouvrent une perspective unique sur le parcours de chacun, ainsi que sur l'engagement du Canada envers la sécurité mondiale depuis plus d'un siècle." L'honorable Roméo Dallaire, lieutenant-général (retraité)
Au service de la sécurité nationale et de la paix mondiale, les militaires des Forces armées canadiennes déployés en mission sont témoins de drames horribles, quand ils ne sont pas carrément pris pour cibles. Ils reviennent souvent au pays meurtris, ayant laissé une partie de leur âme en zone de guerre. Pourquoi se sont-ils enrôlés? Comment leur mission s'est-elle déroulée? de quelle façon ont-ils vécu le retour au bercail? Pourquoi un si grand nombre d'entre eux ont-ils de la difficulté à réintégrer la vie civile?
Ce livre réunit les histoires de 30 soldats et vétérans, dont plusieurs se racontent pour la première fois. Il jette un pont entre la communauté des militaires, méconnue, et la population civile, qui ne comprend pas toujours les sacrifices faits pour elle.
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LeRwanda croulait sous les armes: on pouvait acheter des grenades dans tous les marchés pour trois dollars U.S. Au début janvier, on entendait des séries d'explosions de grenades une nuit sur deux à Kigali. Au milieu du mois, toutes les nuits, et, vers la fin janvier, plusieurs fois par nuit.
Les pages qui suivent sont ma version des faits survenus au Rwanda en 1994. J'y raconte la trahison, l'échec, la naïveté, l'indifférence, la haine, le génocide, la guerre, l'inhumanité, le mal. En l'espace de cent jours seulement, 800 000 femmes et enfants rwandais ont été massacrés brutalement tandis que le monde, impassible, imperturbable, regardait au petit écran l'apocalypse qui se déroulait sous leurs yeux ou, tout simplement changeait de chaîne.
Dans son livre, il écrit:" Jamais dans l'histoire contemproraine, de telles brutalités ne furent infligées gratuitement par des humains à leurs semblables [...]même les champs de la mort du Cambodge et en Bosnie deviennent en quelque sorte banals en comparaison de la démesure et de la monstrueuse dépravation des massacres du Rwanda".
Dans mon troisième rapport, j'indiquais comment nous allions partir à la recherche des armes et les saisir, c'est-à-dire avec transparence et en coordonnant une campagne de relations publiques pour informer la population locale de nos intentions. ..........La réponse signée de la main d'Annan est arrivée le 3 février. Ce fut un coup dur. Une fois de plus il a préconisé une position passive pour la mission . ...... " il doit être bien compris que si la MINUAR est en mesure d'offrir de l'aide ou de l'assistance
dans de telles opérations, elle ne peut pas, je le répète ,elle ne peut pas jouer un rôle actif dans leur exécution. Le rôle de la MINUAR est strictement un rôle de surveillance "
Mes mains étaient liées.
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La vie est ainsi faite: le génocide au Rwanda avait du mal à battre les élections en Afrique du Sud et les tripotages criminels de la patineuse artistique Tonya Harding pour occuper la première page des journaux.
Répéter l’histoire du génocide et le rôle que j’y avais joué était devenu une véritable obsession. À la moindre occasion, je me replongeais dans les mille collines du Rwanda en me promettant que jamais le souvenir de ce drame ne serait effacé de la mémoire collective. Je savais que les Rwandais eux-mêmes ne disposeraient jamais des ressources que la communauté juive, par exemple, a su mobiliser pour garder les leçons de l’Holocauste présentes à l’esprit de tous.
Quand nous entrions dans un village où un massacre avait été perpétré, même les oiseaux se taisaient. Le silence était proprement assourdissant. Doucement, nous faisions le tour des cadavres dans le vain espoir de trouver des survivants, nous arrêtant parfois pour baisser une jupe tachée de sang ou tourner un petit corps brisé vers celui de sa mère.
Éclairer les autres en narrant notre histoire nous soulage, provisoirement, de nos souffrances. Bien sûr, on ne se remet jamais complètement d’un tel traumatisme; la sérénité durable nous sera à jamais refusée. Le vieux marin et moi avons survécu, alors que tant de magnifiques innocents sont morts. Comme la douleur liée à cette perte ne disparaîtra jamais, nous devons tous deux employer notre vie à raconter notre récit, afin que nos semblables comprennent et apprennent. Nous nous efforçons ainsi de laisser un héritage d’ordre éthique et de créer des êtres humains plus tristes, mais plus sages.
Autrefois, le vieillard commandait l’équipage d’un navire parti explorer des contrées inconnues. Le temps s’est gâté, le bateau a sombré, et seul le capitaine, impuissant à sauver ses hommes, a survécu. «De l’eau, de l’eau partout, / Mais nulle goutte à boire.» Depuis, le vieux marin se sent coupable d’avoir échappé à la mort, alors que tant d’autres ont péri, d’avoir manqué à son devoir de commandant, de ne pas avoir su assurer la sécurité de ceux dont il avait la charge, d’avoir échoué dans sa mission et d’être en partie responsable d’une tragédie dont il portera à jamais le blâme.
Par nature, les êtres humains cherchent à comprendre, à lier les causes et les effets; c’est ainsi que le vieux marin revit sans cesse les moments qui ont précédé l’horreur, s’évertue à comprendre ce qu’il aurait pu faire pour la prévenir. À tort ou à raison, il est convaincu de l’avoir provoquée en abattant un albatros.
Le vieux marin croule sous le poids de la culpabilité et de la responsabilité. Sa culpabilité, représentée par l’albatros accroché à son cou, est atténuée, du moins en partie, quand, dans son esprit, la beauté remplace la répulsion. En revanche, le fardeau de la responsabilité, incarné par un personnage appelé «Vie-dans-la-Mort», ne l’abandonne jamais: à titre de commandant et de seul survivant, il a, pour l’éternité, le devoir de raconter l’histoire.