Dès que Sartre ramène sa loucherie, directement ou indirectement, ça devient imbuvable. Pourtant, ce bouquin est écrit par Laing et Cooper, de joyeux chantres de l'antipsychiatrie qui écrivent par ailleurs que ça peut être cool de maculer des murs de merde avec les fous. Il est vrai que de cette activité à la lecture de Sartre, il n'y a qu'un pas que franchissent aisément les torturés de la ciboulette.
Laing et Cooper reprennent ici trois textes écrits par Sartre entre 1950-60 : « Saint Genet », « Questions de méthode » et « Critique de la raison dialectique ». Leurs commentaires reprennent les principaux concepts et les envoient se mélanger honteusement avec la linguistique, la sociologie, la psychanalyse et le marxisme. D'ailleurs, tout le bouquin est entaché de ce fameux marxisme qui ne parle qu'à ceux qui approchent aujourd'hui de la retraite. Dire qu'un temps on pouvait se battre pour ça, et construire son identité autour de ce puits désormais asséché. Ça laisse songeur
Comme Laing et Cooper ne sont pas cons, et qu'ils sont même relativement intéressants, ils réussissent à rendre ce marasme presque appétissant (oui, bon, j'exagère un peu). C'est que leur conception de la dialectique dans les champs de la sociologie et de la politique s'inspire (sans le dire) de la Trinité chrétienne, ou en tout cas ça y ressemblerait s'ils osaient :
« le mouvement de la compréhension est simultanément progressif (vers le résultat objectif) et régressif (remontant vers la condition originelle). La compréhension n'est rien de plus que ma vie réelle, c'est-à-dire, le mouvement totalisant qui ramasse à la fois moi-même, l'autre personne et l'environnement dans l'unité synthétique d'une objectivation en cours. »
Ça ne renie pas non plus les apports de la psychanalyse pour mieux comprendre l'aliénation. le stade du miroir est ici d'une grande aide pratique :
« La totalisation de mon champ de praxis se trouve […] détotalisée en devenant le champ de la totalisation de la praxis d'un autre dans lequel je ne suis rien de plus qu'une partie de sa totalisation. »
La démarche de Sartre pour saisir le concret à travers son mouvement de dialectique en spirale, synthèse après synthèse, apparaît alors éminemment spirituelle (mais comme Jourdain qui pérorait sa prose, sans doute l'ignorait-il sciemment pour ne pas ruiner sa réputation de petit matérialiste).
Enfin, tout ceci n'est pas abordé dans le livre. le point de vue se veut concret et les développements aspirent à une effectivité pratique dans le domaine de la lutte des classes. Originalité : si le marxisme élimine l'individu, les thèses ici développées éliminent aussi le groupe pour une troisième forme d'entité : le groupe saisi par l'individu (en dehors ou dans le groupe), entendu que cette saisie se meut sans cesse dans la direction de l'insaisissable. En plus de ça, cette saisie est conditionnée par la classe d'extraction du type, ce qui limite vachement l'intelligence de la saisie. Mais ce n'est pas inexorable et c'est pourquoi on parle un peu de Genet qui aurait décidé d'accepter son destin comme moment subjectif de sa conscience dans sa structure intentionnelle –ce que Lacan appellerait le sinthome.
On l'aura remarqué : ce bouquin ne se lit pas en jouant au volley en même temps (quoique ça ne changerait peut-être pas grand-chose finalement). Si vous avez lu le « Capital » de Marx et « L'être et le néant » de Sartre, il se peut cependant que ça vous semble facile. Ce n'est pas mon cas. Voici quelques exemples de titres de chapitres pour vous donner une idée de la bouse à s'encaisser : « Dans l'intériorité du groupe, le mouvement de la réciprocité médiée constitue l'être-un de la communauté pratique comme une détotalisation perpétuelle engendrée par le mouvement totalisant » ; « LE GROUPE. L'EQUIVALENCE DE LA LIBERTE COMME NECESSITE ET DE LA NECESSITE COMME LIBERTE. LIMITES ET PORTEE DE TOUTE DIALECTIQUE REALISTE ». Etc.
Le miracle qui s'opère toutefois dans ce livre par l'intermédiaire des commentaires de Laing et de Cooper, c'est de nous faire apparaître Sartre comme quelqu'un d'humain et de sensible, parce qu'il aurait compris qu'on ne peut pas remplacer la pratique de l'homme faisant l'Histoire par la nécessité de la nature. Comme si la nouvelle nécessité qu'il invoquait pour justifier quand même l'aliénation de l'homme était plus joyeuse. Bref, tout ça pour pas s'avouer vaincu, c'est beau, c'est grand, c'est con.
Lien :
http://colimasson.blogspot.f..