AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Ronan Gouézec (44)


Quand il était entré l'autre soir au Cormoran borgne, un troquet à bourgeois assez prétentieux où tout est factice, de l'aviron suspendu au dessus du bar jusqu'aux hublots en laiton sur les murs, et où ils te servent de la Carlsberg tiède, une vraie pisse d'âne, avec autant de cérémonie que s'ils la tiraient du pot de chambre de la reine d'Angleterre, il était déjà bien chargé et dans une rogne noire, prêt à faire du petit bois avec le premier connard venu et à justifier le surnom qu'on lui donnait déjà au lycée avant qu'on le foute dehors une fois pour toutes, Mad Banneck ...
Commenter  J’apprécie          160
- Bon, la Bretagne donc ... Des plages désertes forcément tellement il gèle, des crabes et des cirés jaunes un peu partout, des bonnets, des crêpes, des coiffes, misère ...
Ils paraît qu'ils sont saouls toute la sainte journée ...
Commenter  J’apprécie          190
Les verres s’entrechoquent à nouveau et c’est reparti pour une tournée. René et Marc ne se le disent pas, mais chacun sait l’importance qu’il a pour son alter ego, qu’une vie sans lui ne serait pas la même vie, ne serait pas une vie, pas celle-là en tout cas. La prise de conscience d’avoir certainement frôlé l’autre soir la perte de son frère de cœur foudroie René. Il ne l’a pas encore vraiment montré, mais une rage contre Banneck monte en lui… et contre lui-même aussi. Ce n’est encore qu’une flammèche peut-être, mais continue, la veilleuse d’un brûleur qui ne demande qu’à changer l’eau en vapeur.
Commenter  J’apprécie          20
Le brouillard a fini par s’effilocher et se retirer complètement, déchiré aux quatre coins de la région sous l’entêtement des masses d’air océanique. La rade est magnifique, il y a une belle lune qui dispense une lumière assez douce, le clapot court et têtu s’est un peu assagi. À l’issue de la marée, ce sont quelque sept cents millions de mètres cubes d’eau qui sortent de la rade, s’engouffrent dans le goulet, et se dispersent dans la mer d’Iroise. Sept cents millions de mètres cubes d’eau qui poussent gentiment la voiture qui flotte toujours entre deux eaux et ses passagers à plus de trois nœuds. Trois nœuds. Cinq mille cinq cent cinquante-six mètres à l’heure. Quatre-vingt-douze mètres à la minute environ.
C’est assez rapide pour un objet inerte immergé sans moyen de propulsion.
Commenter  J’apprécie          40
C’est dans l’ombre portée dense et ténébreuse d’une masse énorme et écrasante de cumulus charbonneux, que le bateau des Banneck remonte les eaux envasées de l’aber, noires et désertes.
On croirait voir la barque de Charon remonter le Styx. (p. 185.)
Commenter  J’apprécie          00
Toujours...
Quel mot étrange et mensonger...
Porteur de promesses jamais tenues...
Commenter  J’apprécie          110
Depuis quelque temps, la conscience aiguë du temps qui lui file entre les doigts s'est imposée à lui.
Commenter  J’apprécie          110
Acheter du pain, des boissons et toutes sortes de nourriture imaginables, du carburant, des titres de transport, de stationnement, des timbres, et quoi d'autre encore, sans interactions humaines, était passé dans les habitudes du plus grand nombre. Il avait même vu des distributeurs de fleurs coupées à la gare, ce qui l'avait déprimé au plus haut point. Conjointement à cette automatisation des actions de base de la vie quotidienne, la population de cette ville semblait pour une bonne partie menacée par une sorte de paupérisation glaçante, humide et définitive. Technicité invasive et précarité rampante...
Commenter  J’apprécie          190
.
[...] cueilli par un vent glacial et les premières gouttes de pluie d'une nouvelle averse mortellement froide .
Il avait levé les yeux au ciel , désespéré , maudissant les gènes paternels qui parcouraient furieusement ses veines comme une horde de barbares et polluaient son esprit fragile ...
[...]
Et puis il avait réintégré sa tanière , rassemblant tant bien que mal les débris de son architecture mentale , tassé sur lui-même comme une explosion inversée , un Big Bang à l'envers .

p. 133
Commenter  J’apprécie          272
- ... Vous devez vraiment aider votre corps à prendre... moins d'espace... on a déjà parlé de tout ça...
Commenter  J’apprécie          40
René le scrute de haut en bas, en se massant le bras, sans vraiment l'écouter, enregistrant chaque détail du visage empourpré, le densité des sourcils formant comme une barre continue au-dessus des yeux étirés, les oreilles asymétriques, dont une semble avoir souffert d'une déchirure ancienne et qu'on a rafistolée au petit bonheur, le nez, court et pointu, les dents étonnamment régulières et blanches. Et puis il y a l'odeur, l'odeur de la rage qui bouillonne en lui, de sa transpiration, et celle, encore plus forte de poisson, de coquillages, d'algues et de mer. René se surprend à aimer ce parfum fort et brutal ainsi que cette rade dans son dos, et la lumière qui tombe sur le sombre de l'eau comme une colonne de marbre éblouissante, et le goéland impassible sur le muret qui s'apprêt peut-être à s'envoler.

C'est comme si une incarnation de la mer d'Iroise à deux balles, dépenaillée, se tenait là, devant lui, furieuse et déterminée, un Poséidon d'opérette dans tous ses états, crachotant et battant la falaise de lames obstinées et apparemment vaines.
Commenter  J’apprécie          20
Le grondement énorme et phosphorescent qui enfle derrière eux dans la nuit presque totale annonce ce qui va suivre sans aucun doute possible. Pas le temps d’attraper la main courante, de tenter de rester à bord, c’est une tonne d’eau blanche et écumante qui s’empare d’eux et les emporte tête. Il est aspiré au cœur de la déferlante en furie, en perd son masque dans le mouvement. Il essaie de se faire le plus petit possible, de se protéger la tête, de retenir son souffle.
La collision est inévitable avec les roches qui minent le secteur. Elles vont lui ouvrir le crâne ou lui briser les os, il le sait. Un seul choc, énorme et étonnamment bref lui électrise une hanche, et puis plus rien. Reste la douleur sourde qui a ankylosé son bassin et ce goût âcre et écœurant dans la bouche et le nez. Le voilà qui remonte. Il a perdu sa ceinture de plomb et flotte à l’horizontale comme un bouchon, posé littéralement à la surface de l’eau, porté par les huit millimètres de Néoprène de sa combinaison. La vague vient de le cracher dans une zone bizarrement plus calme et douce, avant de repartir en rugissant finir son sale boulot là-bas. Il tourne lentement sur lui-même, surnage dans une eau mousseuse qui perd progressivement de sa vitesse. Il flotte maintenant sur le dos dans une masse de laminaires soyeuses qui le retiennent et forment une enveloppe protectrice, souple et épaisse. Le vacarme ambiant s’est un peu calmé. C’est une autre vague qui submerge le plongeur à présent. Le soulagement extraordinairement puissant de se savoir en vie, quasiment sauvé. Cela ne dure que trente secondes chaudes et réconfortantes, le temps pour lui de pisser dans sa deuxième peau, comme un nourrisson, sans même s’en rendre compte avant de revenir brusquement à la réalité froide dans un long frisson. Le reflux mental est dévastateur tant le désastre est total. Tout son corps lui fait mal. Il est nauséeux. Son frère a disparu. Le bateau est au fond. Le père… Et subitement quelque chose arrive dans son ventre comme un coup de poing, balayant cette envie de chialer qui venait d’éclore à peine. C’est de l’énergie pure, de l’adrénaline coulant à flots. Il sent sa rage revenir contre le vieux. Alors il se concentre dessus comme il attiserait un feu, s’en sert de mantra salvateur et furieux, y puise l’énergie qu’il lui faut retrouver maintenant s’il veut se sortir de là.
Il passe sur le ventre, bat des quatre membres, s’équilibre, distingue une ou deux lumières intermittentes quelque part plus haut, des véhicules peut-être sur la route côtière, qui passent sans se douter de rien. Il se dit qu’il va s’en tirer, pense à son frère, qu’il ne doit pas être loin, qu’il lui faut mettre la main dessus.
Quant au père… Le vieux saligaud a dû y laisser sa peau.
On verra. D’abord, se sortir de là. Retrouver le gamin. Alors il progresse, glisse et tombe, patauge, reprend pied en tremblant.
La nuit l’absorbe alors qu’il gravit lentement la pente chaotique qui mène au sentier.
Commenter  J’apprécie          10
Cette nuit-là, les Banneck, père et fils, se sont embarqués pour une pêche
interdite, comme ils en avaient l’habitude. Le père à la barre. Les deux fils
en plongée. Le vieux Banneck avait trop bu. Le bateau n’est pas rentré au
port. René Joffre, le restaurateur dont l’élégant établissement domine la
rade, a cru que s’en était fini de l’extorsion de fonds, du chantage que ces
trois-là, mais surtout le vieux, lui infligeaient depuis des mois. Et que la
vie allait se poursuivre en paix, avec Yvette, sa femme, et Marc, son ami
d’enfance, son alter ego, celui sur qui il avait toujours pu compter. Sans
imaginer que ce dernier compromettrait leur amitié, ni que les Banneck
reviendraient des abysses, plus vengeurs et dangereux que jamais.
Ronan Gouézec mène avec âpreté ce roman de colère et de fraternité où
rien n’unit davantage les hommes que l’adversité.
Commenter  J’apprécie          00
Pas besoin d’être un foutu devin pour y lire la promesse sombre et amère de ce qui l’attendait.
Commenter  J’apprécie          20
Ronan Gouézec
Chaque mot entendu était un coup de masse, une petite explosion au plus profond de ses entrailles, un effondrement, un coup de grâce.

La tempête s’apaisa. Une minute passa. Le visage pincé, tendu en avant et plissé de colère qui lui faisait face se détendit autour des lèvres, du nez, des yeux, puis un nouveau sourire se déroula, large et lisse, s’ouvrit comme une fermeture Éclair, froide et métallique.
Commenter  J’apprécie          40
Brieuc était sur le point d’entrer. La pluie furieuse s’interrompit brutalement, on aurait dit la reprise de souffle d’une sorcière hystérique entre deux incantations. Il profita de ce répit inattendu, descendit les deux marches et poussa fortement la porte avant de subir la suite du déluge en suspens. Une courte pause sur le seuil, dégoulinant. Bien que lourde et massive, il sentait la pièce de chêne derrière lui, vibrante et craquante à chaque rafale rageuse arrivée tout droit sans escale depuis l’autre côté de l’océan.
Commenter  J’apprécie          20
L’homme qui a balancé le paquet s’échine à prendre pied dans le bateau. Cette vieille carne se refuse à lui ? Elle se dérobe. Il parvient quand même à franchir le dernier barreau de l’échelle de coupée posée à flanc de coque, se cogne durement plusieurs fois sous les embardées vicieuses de l’embarcation, dérape, trébuche, arrache ses palmes, déboucle son baudrier et laisse son bloc d’air comprimé et le gilet glisser sur le pont. Le plongeur relève son masque. Il gueule quelque chose en direction de la timonerie, insiste en pure perte, manque tomber en arrière, revient à quatre pattes vers le bordé. A peine stabilisé, il s’agrippe à la lisse d’une main et se penche.
Commenter  J’apprécie          20
Le filet s’écrase sur le plancher poisseux. Il glisse aussitôt hors de portée, tant le roulis est fort. Les paquets de mer arrivent, entasses en grand désordre de verts ténébreux, de gris charbonneux. De temps à autre un explosion mousseuse vient ranger les voûtes de ces cathédrales romanes en folle procession. C’est une dentelle délicate et éphémère. Les lames se précipitent. Elles s’empilent, s’assemblent en blocs quasi solides. Un monticule liquide est en train de naître. C’est le rejeton boursouflé et gueulard d’une mer furibonde. Il n’en finit pas de s’édifier, de s’écrouler sur lui-même avant de rouler et de se reconstituer un peu plus loin, crachant et grondant.
Commenter  J’apprécie          20
Les particules de mica insérées comme autant de gemmes dans la gangue de granite brut irisent le plancher rocheux au bon vouloir de la lune qui s’est levée. Il n’est rien d’humain ici. Pourtant des murs de pierres sèches arc-boutés au terrain segmentent l’espace, tentent assez vainement de le domestiquer, de lui donner une structure et de l’arracher à la sauvagerie qui règne partout. Pauvres espoirs. Fougères, mousses et lichens y ont seulement trouvé leur appui nécessaire, l’abri précieux retenant eau douce et nutriments permettant la survie. Les empilements précaires ont contre toute attente progressivement trouvé équilibre et stabilité, s’épaulant les uns les autres dans une solidarité minérale obligée, détournant les flux d’air, supportant les ruissellements du ciel, finissant par perdre la mémoire lointaine de leurs bâtisseurs disparus. Non, il n’est plus rien d’humain ici.
Commenter  J’apprécie          100
La rue était encore sous domination liquide. De tous les côtés la percussion lourde de millions de perles d'argent sur la tôle des véhicules en stationnement résonnait en une vibration sans cesse renouvelée, roulant, s'éloignant et revenant, au gré des bourrasques d'un vent imprévisible, s'anémiant soudainement. Parenthèse verticale. Dans la lumière crue d'un lampadaire, il baissa les yeux vers le caniveau noyé, suivant attentivement la génération spontanée d'un affluent inconnu, d'un Amazone encore au berceau, d'un Nil en devenir, d'un Mississippi prometteur. Et cela clapotait, glougloutait, coulait, roucoulait, enflait aussi.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Ronan Gouézec (123)Voir plus

Quiz Voir plus

Quiz sur l'écume des jours de Boris Vian

Comment s'appelle le philosophe du roman

Jean Sol Partre
Jean Pol Sartre
Sean Pol Jartre
Pean Sol Jartre

8 questions
2809 lecteurs ont répondu
Thème : L'écume des jours de Boris VianCréer un quiz sur cet auteur

{* *}