Rose Mia

Aimer rend vulnérable, je le sais. Ouvrir son cœur, c'est tendre un poignard à l'autre et lui proposer de frapper où il veut.

Si j'ai bien compris une chose ces dernières années, c'est qu'en gardant une distance de sécurité avec les autres, on limite le danger.

Il n'y a rien de plus beau que l'océan.

— Je veux que tu vives ta vie comme si chaque instant était le dernier. Fais de chaque minute un diamant, et chéris-le avec les gens que tu aimes.

— Chaque personne dispose de 1 440 minutes chaque jour. Une fois passés, aucun de ces instants ne reviendra jamais. Un jour, le compteur s’arrête, souvent sans prévenir. On ne peut pas économiser, garder du temps pour plus tard. Quoi qu’on fasse, il s’égrène, nous file entre les doigts. Il faut vivre tout de suite, tirer le meilleur parti de chaque moment.

Je tiens tellement à lui, mais je nage dans le même temps dans un océan constitué uniquement de mes peurs les plus profondes.

C’est plus simple de se jeter à l’eau quand on tient la main de quelqu’un, tu ne crois pas ?

- Il est plus simple de se jeter à l'eau quand on tient la main de quelqu'un, tu ne crois pas?

— De toute façon, je ne sais pas ce que je ferais avec quelqu’un comme Tom. Je suis trop inexpérimentée et trop… moyenne, pour lui. Avec sa carrière, la maison qu’il rénove à Los Angeles, tous ses voyages autour du monde, ses vagues de la taille d’un immeuble de huit étages, ses petites nages à la cool en bas des rochers à l’aube... Même s’il était hétéro, je n’aurais aucune chance avec un mec pareil.
— Oh là là, c’est pas possible d’avoir une estime de soi aussi pourrie ! Je n’ai qu’une hâte : qu’il te fasse une déclaration enflammée, pour que je puisse ensuite m’écrier « je te l’avais bien dit ! ».
— Je sais, soupiré-je en essayant de retenir un sourire. Kitty est folle, je ne dois pas l’écouter.
— Bon, et Kyle, il est comment ? poursuit-elle.
— Je te l’ai dit l’autre jour. Parfait.
— Entre un peu plus dans les détails, que je me fasse une idée.
— Il est… drôle, touchant, sexy comme un Dieu. Pas étonnant qu’ils soient ensemble depuis si longtemps.
— Tu n’aurais pas une photo ?
— Hmm, je pense que si.
Je fouille dans mon portable et retrouve une photo crève-coeur prise la semaine dernière, en plein entraînement. Je tends mon portable à Kitty, qui bloque complètement.
— Tu ne trouves pas qu’ils ont les mêmes yeux ?
— Mais non, m’agacé-je en lui arrachant presque mon téléphone des mains.
— En tout cas il est hyper canon, lui aussi. Pfouh, franchement, je ne sais pas lequel je choisirais, personnellement ! S’ils étaient d’accord, je ne choisirais pas, je prendrais les deux !
— Euh, je te rappelle que tu es avec Matt depuis le lycée ? Et que vous parlez de vous fiancer ?
— Oui, ouiii, rit-elle. Justement, c’est pour ça que ça me fait du bien de rêver ! Bonsoir, menthe chocolat pour moi et fraise coco pour elle.

— Tu as eu un accident, c’est ça ? demande-t-elle timidement. Je l’ai évoqué rapidement l’autre jour, et je n’ai pas de mal à en parler. En fait, j’ai moins de problèmes avec ce qui s’est passé ce jour-là qu’avec la manière pathétique dont je me traîne sur le sable depuis.
— Oui, pendant une compétition. J’ai eu les yeux plus gros que le ventre et j’ai payé le prix fort. Une belle manière de résumer le jour où je me suis conduit comme le roi des abrutis, avec des gens que j’aimais, comme avec l’océan. Un léger frisson me parcourt l’échine alors que je revois la vague se refermer sur moi comme une mâchoire géante, prête à me projeter sur des rochers pointus. Les poils se hérissent sur mes bras à ce simple souvenir.
— Tu ne peux plus aller dans l’eau, alors ? Son regard est si intense, si empreint d’intérêt et de compassion, que je ne parviens pas à le soutenir. Je baisse les yeux sur mon bracelet en tissu et hausse légèrement les épaules.
— Pas vraiment. Je peux nager, j’ai simplement une peur panique d’entrer dans l’eau avec cette foutue planche. Comme si j’avais… perdu le droit de surfer, tu vois ?

Je suis passionnée de science-fiction. C’est ce que j’aime le plus dans la vie, la seule chose qui me donne la chair de poule et me plonge dans un état d’euphorie. J’ai lu tous les grands classiques, vu des centaines de films du genre ou presque, et si j’en avais les moyens, je collectionnerais toutes les plus belles bandes-dessinées.

— Salut, je suis Mei, je viens d’emménager. Elle a les joues roses. Son air adorable est irrésistible. Kyle lui fait de l’effet apparemment. Plutôt classique comme réaction.
— Salut Mei, s’exclame mon dragueur de frère. Bienvenue dans la résidence.
— Merci. Elle jette des coups d’oeil tout autour d’elle, j’ai l’impression qu’elle cherche une issue. Kyle, laisse-la partir, tu vois bien que tu l’étouffes, pensé-je en me retenant de lever les yeux au ciel. Elle est vraiment jolie, avec ses longs cheveux aux pointes bleues et son air confus. Elle a l’air un peu plus jeune que nous. Je ne sais plus quoi faire de moi-même, je me sens même un peu crétin, à un mètre de mon frère. De son côté, Kyle sort l’artillerie lourde et pose son bras contre le mur, se prenant apparemment pour un mannequin. Elle jette un oeil sur la sonnette.
— Vous êtes les Harper, c’est ça ?
— Kyle et Tom, précise mon frère fièrement.

Au même moment, la porte d’à côté s’ouvre sur une pile de cartons vides, pourvue de jambes. Ils pivotent sur eux-mêmes et laissent apparaître une jolie asiatique en short et en tongs. J’ai un temps d’arrêt. Elle lève les yeux vers moi et son regard me transperce. En une fraction de seconde, tout disparaît autour de nous. Juste le temps de me dire que je n’ai jamais vu une fille aussi jolie, et qu’il y a quelque chose de tendre, de mutin, et de fragile chez elle. Sa vue déclenche immédiatement chez moi une chaleur étonnante. Comme si je la connaissais déjà très bien et qu’on se retrouvait enfin, après des années de séparation. Mon souffle reste suspendu, et les battements de mon coeur résonnent à mes oreilles. Appuyé contre le chambranle de ma porte, je la dévisage plusieurs secondes, avant de me rendre compte de mon air stupéfait. J’essaie aussitôt de reprendre une attitude détachée, et croise les bras pour l’observer.

- Si je déménage sans cesse, c'est parce que je n'ai jamais eu le courage de rester au même endroit très longtemps. Je suis toujours en mouvement parce que s'installer demande plus de courage que partir. Changer de ville, changer de vie, tout mettre à la poubelle quand on en a assez, c'est un peu comme...
- Fuir.
Il se tend de manière quasi imperceptible.
- J'allais dire tourner la page, mais fuir convient aussi bien.
Prendre la fuite pour ne jamais penser au passé. Le laisser derrière soi, avancer coûte que coûte sans se retourner.

Elle a le don de me mettre les nerfs à vif lorsqu'elle veut régenter ma vie, mais c'est ma maman, c'est d'elle que j'ai besoin quand tout prends l'eau.

Mon quotidien a été froissé comme on se débarrasse d'un brouillon. Je n'ai pour l'instant aucune idée de ce que je vais écrire sur la page suivante.

Elle a aussi le don de me ramener sur Terre en quelques mots.

« Tu es l’unique faille de ce plan qui devait être parfait »

« - Émilie m’a raconté ce qui s’est passé avec le dernier partenariat. Mais je ne suis pas Julien, murmure-t-il. Je n’ai aucune envie que tu sacrifies tes rêves pour rester avec moi. Tu as de grandes choses à réaliser, et je ne serai pas celui qui t’en empêchera. »

« - Je ne vois vraiment pas le rapport. Les femmes aiment toutes qu’on leur offre des fleurs ! Moi, j’en achète tout le temps à Adèle, par exemple.
- Avec le résultat qu’on connaît.
Thomas s’arrête immédiatement de rire.
- Ne mêle pas Adèle à tout ça.
- Mais c’est toi qui parles d’elle !
- Pas du tout. »