Citations de Rosella Postorino (303)
On peut cesser d'exister alors qu'on vit encore.
Ça arrive à l'école ou au travail, là où l'on passe par obligation de longues heures de son existence. On devient amies dans les contraintes.
J'avais honte devant mon père, alors qu'il était mort, parce que la honte a besoin d'un censeur pour se manifester.
La peur entre trois fois par jour, toujours sans frapper, elle s'assied à côté de moi, si je me lève, elle me suit, désormais, elle me tient compagnie
Tu peux en chanter une autre. Ou bien non, si tu n?en as pas envie. Nous pouvons nous taire et nous regarder dans le noir : nous savons faire.
Enfermées dans la caserne, nous étions des soldats sans armes, des esclaves de rang supérieur, nous étions quelque chose qui n'existe pas et en effet, hors de Rastenburg, personne n'a jamais su que nous existions.
Agacé, mon père éteignait la radio, lui qui avait considéré le national-socialisme comme un phénomène transitoire, une forme de déviance pour mineurs indisciplinés, un virus venu d'Italie, jusqu'au jour où on lui avait préféré ses collègues inscrits au parti nazi.
Que nous arrivait-il ? Nous étions deux étrangers qui se racontaient. L intimité physique peut-elle engendrer la bienveillance ? J éprouvais pour son corps un incompréhensible élan protecteur.
Moi je pensais que c’était le désir qui engendrait l’intimité, de façon immédiate, comme une déchirure ; mais le contraire était peut-être possible, partir de l’intimité, se la réapproprier jusqu’à rattraper le désir comme on essaie au réveil de rattraper un rêve qu’on vient de faire et qui s’évanouit déjà : vous vous souvenez de l’atmosphère, mais il ne vous en reste aucune image.
On l appelait Wolfsschanze, la Tannière du Loup. Le Loup était son surnom. Aussi ingénue que le Petit Chaperon rouge, j avais atterri dans son ventre. Une armée de chasseurs le traquait. Pour le réduire à leur merci, il n hésiteraient pas à m éliminer.
Il n'y a aucune raison pour qu'un amour s'interrompe, un amour comme celui-là, sans passé, sans promesses, sans devoirs. Il s'éteint par indolence, le corps devient paresseux, il préfère l'inertie à la tension du désir.
Ça durait depuis des mois. Un déphasage entre mes actes et moi : je n’arrivais pas à percevoir ma présence.
Des groupes s’étaient formés spontanément. Certes pas dans l’espoir d’y trouver de l’affection. Simplement, des fractures et des rapprochements avaient eu lieu, aussi inexorables que la dérive des continents.
Les choses ne sont presque jamais comme elles semblent, déclara-t-elle. Ça vaut aussi pour les gens.
Nous étions des femmes sans hommes. Les hommes se battaient pour la patrie - D'abord mon peuple, puis tous les autres ! D'abord ma patrie, puis le monde ! - et parfois ils revenaient en permission, parfois ils mouraient. Ou étaient portés disparus.
Si Dieu avait été attentif, ou en tout cas curieux, il les aurait regardés depuis sa contrée reculée : deux corps suspendus, muscles solides et cœur alerte ; il les aurait vus se mouvoir dans la pénombre, éclairés par une seule bougie, avec la même confiance que deux artistes de cirque, les bras déployés comme des ailes d'oiseaux ou comme ceux de son fils en croix ; il les aurait entendus crier de peur et d'excitation. Si Dieu avait été ici-bas plutôt qu'à l'abri bien au chaud, face à ces deux silhouettes chancelantes dont les cris résonnaient entre les voûtes immenses ; s'il avait vu l'éclat soudain des bombes les révéler d'un coup tels qu'ils étaient, deux enfants, il aurait été attendri comme n'importe quel petit vieux, et il aurait peut-être pris en main leur destin. Mais Dieu était en exil, il l'a toujours été - et Nada ne pensait même pas à lui.
page 43.
Tout ce que j’ai appris dans la vie, c’est à survivre.
Sa survie m'importait autant que la mienne, parce qu'on partageait le même sort.
On l'appelait Wolfsschanze, la Tanière du Loup. Le Loup était son surnom. Aussi ingénue que le Petit Chaperon rouge, j'avais atterri dans son ventre.
Une armée de chasseurs le traquait. Pour le réduire à leur merci, ils n'hésiteraient pas à m'éliminer.
Mais au fond toute vie est une contrainte et le risque de se cogner aux murs, permanent.