Citations de S. J. Watson (270)
Il me raconte que nous n'avons jamais eu d'enfant, non seulement pour que je n'aie pas à savoir que mon seul fils est mort, mais pour m'épargner la douleur de sa perte chaque jour de ma vie.
"Ben?" ai-je dit, lorsqu'il est arrivé à la maison. Il était assis dans le fauteuil du salon, en train de lire le journal. Il avait l'air fatigué, comme s'il avait mal dormi. "As-tu confiance en moi?"
Il a levé les yeux. Une nouvelle étincelle est apparue dans son regard, c'était bien sûr de l'amour, mais aussi autre chose. Quelque chose qui ressemblait un peu à de la peur. Pas surprenant, je suppose, la question précède généralement une confession qui révèle que cette confiance est mal placée.
- Nous sommes nous disputées?" (avec Claire, sa meilleure amie)
Ben a hésité, et à nouveau j'ai senti comme un calcul, un ajustement. J'ai compris bien sûr: Ben savait ce qui allait me blesser. Il a eu des années pour apprendre à anticiper mes réactions, savoir ce que j'allais trouver acceptable et ce qui représentait un terrain dangereux pour nous. Après tout, ce n'est pas la première fois qu'il a cette conversation avec moi. Il a eu l'occasion de s'exercer, d'apprendre comment trouver des chemins qui ne vont pas lacérer le paysage de ma vie et m'envoyer rouler dans un autre inconnu.
J'ai regardé Ben se lever pour aller me chercher un verre d'eau, l'ai regardé refermer la boîte de photos. Je sanglotais. Je voyais bien qu'il était triste lui aussi, mais son expression paraissait déjà nuancée d'autre chose. C'était peut-être de la résignation ou de l'acceptation, mais pas un choc.
Dans un frisson, j'ai compris qu'il avait déjà fait tout cela auparavant. Son chagrin n'est pas nouveau. Il a eu le temps de se déposer au fond de lui, de devenir partie intégrante de son vécu, il n'est plus un séisme qui l'ébranle.
Seul mon chagrin est nouveau, chaque jour.
Elle ne comprend pas, me suis-je dit. elle ne peut pas comprendre. Je me suis rappelé Ben jeune homme. Et moi, jeune. Nous deux ensemble. Je sais que nous étions amoureux. J e n'ai plus besoin de le croire sur parole. C'est important. Beaucoup plus important qu'elle ne pourra jamais le soupçonner.
Sur le chemin du retour, j'étais tout excitée. Animée par une énergie fébrile. Je regardais le monde, au dehors - ce monde étrange, mystérieux, inconnu -, et je n'y voyais plus de menace, mais des possibilités.
Il est parfaitement possible d'exister en entretenant simultanément deux points de vue opposés, en oscillant de l'un à l'autre. ( p 262 )
Je recule d'un pas, jusqu'à ce que je sente les carreaux de céramique froids contre mon dos. C'est alors que j'aperçois la lueur de ce que j'associe à la mémoire. Lorsque mon esprit essaie de s'y fixer, elle s'éloigne en voletant, comme des cendres emportées par la brise, et je comprends que dans ma vie, il y a un après, un avant, même si je ne sais pas de quoi est fait l'avant, qu'il y a un maintenant, et qu'entre les deux il n'y a rien qu'un immense vide de silence qui m'a menée ici, à ce couple que nous formons, lui et moi, dans cette maison.
Et pourquoi Ben ne me l'avait-il pas dit ? Pourquoi n'avait-il pas gardé un exemplaire de mon roman? Je l'ai vu, caché quelque part dans une boîte dans le grenier ou la cave. Pourquoi ?
"Ca, c'est Canary Wharf, m'a-t-il dit, en me montrant un édifice qui, même à cette distance, paraissait incroyablement haut. Il a été construit au début des années 1990, je crois. Ce sont les bureaux, ce genre de choses."
Les années 1990. C'était bizarre d'entendre une décennie que je ne me rappelais pas avoir vécue ainsi résumée en deux mots. Je dois avoir manqué tant de choses, tant de films et de livres, tant d'événements. Des catastrophes, des tragédies, des guerres. Des pays tout entiers se sont peut-être démantelés tandis que j'errais, inconsciente, d'un jour à l'autre.
Je m'apprête à saisir le savon mais quelque chose ne va pas. Au début je n'arrive pas à comprendre ce que c'est, finalement, si. La main posée sur le savon ne ressemble pas à la mienne. Sa peau est fripée et les doigts sont boudinés. Les ongles ne sont pas faits, ils sont complètement rongés, et, comme celle de l'homme couché dans le lit que je viens de quitter, elle porte aussi une alliance en or, toute simple.