J'admirais Amanda parce qu'elle avait des vêtements de marque, des produits de beauté de marque et des goûters de marque.
La rue était sombre et déserte, les lumières des réverbères léchaient leurs parcelles de trottoir, les fils électriques tanguaient, les gouttières gouttaient, j’entendais quelquefois l’écho lointain d’une moto ou d’une sirène d’alarme : les bruits d’une ville morte. Même les tourterelles dormaient.
Et la moquette dans les chambres à coucher. Chez moi, j’avais du lino gris chiné. C’est plus facile à nettoyer, disait ma mère. Tu m’étonnes : même quand c’est propre, c’est sale.
J’ai planté un eucalyptus sur le tapis roulant des rêves de ma vie. J’ai appliqué les techniques que Chanelle m’avait enseignées pour pratiquer les gorges profondes. J’ai respiré par le nez. Calmement. Plusieurs fois. J’ai descendu la main plus bas, j’étais sèche comme le Sahara. J’ai respiré un peu plus fort, j’ai eu un premier haut-le-cœur, j’ai vu le costume Bouygues de Lionel. J’ai chassé les visions de Magritte en pensant à René, ses mains gantées de cuir sur la boîte à pizza. Avec l’odeur du fromage j’ai eu un second haut-le-cœur. Diane m’avait raconté qu’elle avait rencontré l’orgasme en écoutant la voix de Moos, Au nom de la rose, Mon amie la femme, Prête-moi ton corps, Pour écrire des choses. J’ai dessiné tout l’alphabet entre mes jambes. La nausée continuait. Sur le poster, on devinait la culotte de la ballerine sous le tulle blanc de son tutu. J’ai fixé l’affiche : les lettres de Casse-Noisette dansaient sous le ciel étoilé. J’ai abandonné ma séance.
Renaud a dû s’en rendre compte parce qu’il a dit En tout bien tout honneur, t’inquiète je suis pas ce genre de type. Je me suis demandé s’il parlait du genre zguègue, s’il connaissait le groupe Magritte, s’il fallait dire que j’étais vierge, en tout cas du trou de devant.
J’ai nagé jusqu’à ce que le chlore récure la colère sur mon corps.
Si je faisais comme je voulais, je ne serais pas obligée de subvenir à mes besoins en travaillant sur un parking. J’aurais la vie de Sarah Michelle Gellar, je combattrais les forces du mal à Sunnydale un jour, et le suivant je traînerais avec Ryan Phillipe sapée comme la marquise de Merteuil, même si la prof de français avait l’air de dire que dans le passé « libertines » c’est comme ça qu’on appelait les putes.
Elle ouvrait à peine la bouche pour parler. Son haleine sentait le bigoût à cause des Malabar et des Mentos qu'elle mâchait toute la journée. Kat linh n'achetait pas ses bonbons en comptant ses centimes sur le comptoir de le boulangerie. Sa mère prenait des sachets maxi à Auchan. Elles les mangeaient ensemble devant Julien Lepers. Je les avais vues faire. Ma mère n'allait pas à Auchan parce que c'était trop cher. Elle allait chez Leclerc. Quand on lui réclamait des Haribo, ne serait-ce qu'une imitation, elle invoquait la gélatine de porc, la cacherout et son grand-père six pieds sous terre. Mais rien à voir ! hurlait Rachel en claquant toutes les portes de la maison.
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Ma mère devait préparer le dîner, je l'ai suivie à la cuisine. je lui ai récité les grands principes de la démocratie, elle avait l'air d'accord et satisfaite, j'ai saisi l'occasion pour lui faire part de mes projets professionnels, le tailleur Air France et les talons carrés. Elle est restée bouche bée, sa patate à la main, l'économe en suspens. Elle portait le même jean tous les jours : elle l'avait en trois exemplaires plus ou moins délavée selon leur ancienneté. un mouton de poussière s'était pris dans sa frange. ses racines grises pointaient sous la coloration que ma soeur lui posait à genoux dans la baignoire. Elle m'a toisée.
- Tu vas vraiment te choisir un métier en fonction d'une tenue ?
j'ai dit Bah oui, et je n'y voyais pas d'inconvénient. Elle n'a pas eu la force de me répondre. Je l'ai vu à ce mouvement de tête qu'elle a quand elle choisit de regarder au loin, de fixer un ailleurs imaginaire où elle n'est pas mère de famille nombreuse accablée par le poids des enfants. Elle a fini sa pomme de terre, en a repris une autre, j'ai observé ses mains blanchies par l'amidon et j'ai pensé qu'il n'y aurait jamais de tarmac ni d'épingle à chignon parce que je finirais ma vie cul nu sur un parking handicapés, regrettant dans ma solitude les jeans élimés de ma mère et l'odeur du tofu soyeux.
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"J'adorais les langues étrangères, surtout l'anglais : j'avais une correspondante à Belfast et un boyfriend imaginaire avec lequel je m'entrainais dans le miroir en courant mon reflet de bave."