Citations de Scholastique Mukasonga (396)
Les missionnaires avaient traduit en kinyarwanda le texte saint. J’ai l’impression qu’il choisissait au hasard les extraits qu’il nous lisait car les histoires de la Bible n’avaient, me semblait-il, ni commencement ni fin. Pour moi, la Bible de papa, ce n’était pas tout à fait un livre, un vrai livre comme Matins d’Afrique où il y avait de belles images, de belles histoires, aussi belles que les contes de maman, même si, pour les lire, il fallait jouer des coudes et bousculer un peu sa voisine pour pouvoir se placer bien en face de la page.
Il y a des choses qu’une jeune fille ne doit pas dire à un homme, encore moins à un Blanc.
L’impureté ? je ne savais pas trop de quoi il s’agissait, je devinais bien un peu mais je ne voulais pas en savoir plus, je tenais encore à rester une petite fille. Les grandes, je savais bien qu’elles étaient déjà au courant : elles comparaient leurs toutes nouvelles poitrines et la proéminence arrogante de leurs derrières. Elles chuchotaient entre elles à propos de secrets que les petites ne devaient pas entendre
La colère, ce n’était pas pour les filles, non plus d’ailleurs que pour un Rwandais qui se respecte et tient avant tout à sa dignité. Il n’y avait que des petits bergers pour échanger des injures à distance (et encore, c’était un jeu) et quelques rares voyous pour se battre jusqu’à se rouler dans la poussière.
Cela arrive de commettre des péchés, tous les hommes sont pécheurs, surtout les femmes ! Le principal, c’est d’aller les dire au confesseur : ceux qui les cachent, ceux qui les oublient, regardez bien ce qui leur arrive, c’est l’enfer ! c’est l’enfer ! Ils brûlent pour toujours, c’est l’enfer !
Mais le vrai catéchisme, ce n’était pas le maître qui nous l’enseignait. Le vrai catéchisme, c’était pendant les après-midi où il n’y avait pas classe. On allait dans une sorte de grand hangar collé à l’église de la mission. Pas tous à la fois. Les uns allaient écouter la leçon de catéchisme dans le grand hangar, les autres allaient à l’église pour la confession. Quand la leçon de catéchisme était finie, on allait à l’église pour se confesser et ceux qui s’étaient confessés entraient dans le hangar pour le catéchisme.
La source du Nil elle-même est à portée de touristes. Un tour-opérateur en donne l’itinéraire d’accès. On part de l’usine de thé de Gisovu mais il est préférable de téléphoner vingt-quatre heures avant pour retenir un guide.
Le plus grand malheur qui soit arrivé aux Rwandais, c’est d’habiter aux sources du Nil, là où, depuis l’Antiquité, s’était déposé le mythe d’une contrée originelle, d’un paradis perdu et inaccessible. Chercher les sources du Nil, Caput Nili quaerere, était, paraît-il, chez les Romains une expression qui signifiait « chercher l’impossible ».
Et l’imagination se remet à fonctionner et redonne une nouvelle vie, dans cet endroit reculé d’Afrique, aux fanions des chevaliers et des pages comme surgis d’estampes ou de livres disparus.
La rivière en effet naissait au cœur de la forêt vierge, la grande forêt de Nyungwe à l’orée de laquelle était bâti notre enclos. Nyungwe, c’était le domaine des singes. Ma mère défendait âprement nos champs contre leurs razzias incessantes. « Inutile, disait-elle, de se battre contre eux, ils sont les plus forts, mais ils ont aussi leurs sages.
Le baptême le plus efficace, ce n’était pas celui que nous avions reçu des bons pères mais celui qu’elle nous avait administré en lavant nos corps nouveau-nés avec l’eau combien plus bénéfique de la Rukarara.
Nous autres les aînés qui étions nés au bord de la Rukarara, et j’en faisais partie de justesse, nous étions prémunis contre bien des maladies, contre la plupart des mauvais sorts qu’on ne manquerait pas de nous jeter et contre tous les poisons dont les jaloux assaisonneraient notre nourriture et peut-être même, espérait-elle, échapperions-nous ainsi à quelques-uns de ces malheurs inévitables qui tissent la trame de toute vie.
Les deux militaires ont épaulé lentement leur fusil. "Ce n'est pas le cœur qu'ils visaient, répétait maman, ce sont les seins, seulement les seins. Ils voulaient nous dire à nous les femmes tutsi : "Ne donnez plus la vie car c'est la mort que vous donnez en mettant au monde. Vous n'êtes plus des porteuses de vie, mais des porteuses de mort."
Et elle nous disait d'une voix que nous ne lui connaissions pas, comme venue d'un autre monde, et qui nous pénétrait d'angoisse : "quand je mourrai, quand vous me verrez morte, il faudra recouvrir mon corps, il ne faut pas laisser voir le corps d'une mère. C'est vous mes filles qui devez le recouvrir, c'est à vous seules que cela revient. Personne ne doit voir le cadavre d'une mère, sinon cela vous poursuivra... vous hantera jusqu'à votre propre mort, où il vous faudra aussi quelqu'un pour recouvrir votre corps"
Et je suis seule avec mes mots et mes phrases, sur la page du cahier, tissent et retissent le linceul de ton corps absent.