Citations de Serge Bouchard (243)
À partir de 1906, il entreprend de desservir régulièrement les populations indiennes de chasseurs-trappeurs dans le Haut-Saint-Maurice. Il importe de souligner que, déjà à cette époque, le père Guinard était rompu à la discipline des missions éloignées, particulièrement des missions indiennes. Il rencontrait bien la définition d'un missionnaire oblat oeuvrant dans le Grand-Nord canadien. Car il ne faudrait pas oublier que, en 1900, le Grand-Nord, c'était aussi l'Abitibi et le Haut-Saint-Maurice. Ce missionnaire, comme tant d'autres, parlait couramment le cri. Il s'était adapté à la solitude et aux longs voyages en forêt. Contrairement à la plupart de ses contemporains, il appréciait vivement la compagnie des Indiens.
Or, il me semble bien que le père Guinard a toujours conservé ce penchant pour la parole. Il avait la répartie facile et ses talents de conteur furent souvent appréciés. On lui a toujours reconnu un esprit vif et une parole extrêmement vivante. L'auteur de la notice nécrologique du père Guinard, le père Eugène Nadeau, n'est cependant pas tendre à l'endroit de Guinard, l'écrivain, le rédacteur de ses mémoires: ils sont décousus, de valeur inégale, anecdotiques, souvent mal écrits. Décidément, cet homme n'est pas un homme de lettres. Mais le père Nadeau s'empresse d'ajouter que si le père Guinard écrivait mal, il parlait par contre avec aisance et racontait des histoires à la façon des meilleurs conteurs. Bien triste consolation, d'autant plus que l'image qui domine dans la présentation que fait le père Nadeau du père Guinard est celle d'un homme persévérant et obéissant dont la plus grande qualité fut d'avoir été le type même du «père-n'importe-qui», toujours disponible; l'éternel remplaçant, le père, finalement, qui est toujours là, utile, bien qu'on ne le remarque jamais.
Les derniers survivants furent simplement abatus, en cette Californie paradoxale qui se rangeait parmi les États anti-esclavagistes mais qui permit, jusqu'au début du xxe siècle, l'assassinat des Indiens contre une prime du gouvernement.
Souvenons-nous de Kintpuash, chef modoc, connu sous le nom de Captain Jack au lieu dit Lava Bed. En 1872, sa bande de rebelles fut encerclée, massacrée et finalement anéantie par l'armée américaine. Le Capitaine fut pendu, véritable lynchage de premier ordre. Souvenons-nous d'Ishi, le dernier des Yanas, trouvé errant en bordure d'Oroville en 1911 et qui vécut les cinq dernières années de sa vie au Musée d'anthropologie de la Californie, sous la loupe bienveillante de l'anthropologue Alfred Louis Kroeber. Il mourut de tuberculose en 1916. Il ne s'appelait même pas Ishi; ce nom lui avait été donné par le musée car, dans sa fierté traditionnelle, le dernier des Yanas demeura toujours muet sur son identité face à ce monde étranger qui venait d'exterminer son peuple.
Le fruit de la chasse est précieux. Le gaspiller est un acte grave.
Le fait de se décourager ou de se débarrasser de la viande était une faute grave. Il faut toujours se préparer pour éviter la famine.
Nous étions bien, nous étions bons. Nous avons senti votre mépris, mais nous avons tenu à notre dignité : la terre natale est sacrée. Elle était belle, nous étions beaux.
Dans la solitude de sa grande vieillesse, l'humain en vient à fixer le mur. On croirait qu'il ne pense plus, mais au contraire il pense, et il pense d'autant plus qu'il atteint finalement le coeur du sujet. Il regarde le mur, car il sait qu'il est définitivement rendu au pied. C'était cela la vérité: j'aurai vécu une longue vie pour en arriver à la limite ultime. Et je sais, en regardant ce mur, que je vais mourir sans avoir rien su, pire en sachant finalement qu'il n'y a rien à comprendre . Je regarde la vie, je regarde dans le vide, ce qui revient au même. Car je réalise que le pire des murs c'est le vide. Nous demandons à l'infini du vide ce que nous sommes venus faire dans cette noirceur. Et c'est le vide qui nous répond par un terrible silence. Comment dire mon non-être, ce temps immense qui s'est écoulé avant que je ne vienne au monde? Comment justifier ce bref éclair que fut ma vie dans toute sa finitude? Et puis, où serais-je dans ce vaste univers quand j'aurai franchi la cloison qui sépare le vivant de la mort?
Entre 1912 et 1920, il y eut au Québec une campagne pour éliminer les noms indiens donnés aux lacs et aux rivières. C’est Eugène Rouillard (1851-1926) qui avait lancé cette campagne de francisation des noms de lieux géographiques lors d’une réunion de « La Société du parler français au Canada », en 1908. Rouillard était le secrétaire de la Société de géographie du Québec. Il fut fortement appuyé dans sa campagne par l’abbé Lionel Groulx.
(Note de bas de page, p.78)
La cruauté, l’indiscipline, l’immoralité, la perfidie furent toutes les composantes du portrait de l’Indien que les Canadiens français se faisaient à travers leurs historiens catholiques. Dans tous les ouvrages du temps qui traitent de l’histoire, le sauvage n’est pas encore réhabilité; il reste cet être capricieux, imprévisible comme un démon, bourreau des Jésuites. Plus que jamais, c’est un mythe qui stigmatisera l’Iroquois et qui fera de lui l’archétype du « sauvage cruel ».
(p.21, préface de Bouchard)
Le langage nous cache les uns aux autres, il est une ruse. Blaise Pascal allait plus loin. Il disait que ce qui réunit les humains, ce sont les malentendus sur lesquels ils s'accordent. Dès lors, la clarté et la précision n'ont pas la valeur qu'on leur donne. Nous ne voulons pas nous faire entendre. Nous voulons plutôt ajouter aux mystères de notre communication symbolique. L'être humain n'est ni un émetteur ni un récepteur, c'est un « malentendeur ».
C'est fou comme la société nous rappelle à tout bout de champ le paradoxe de la liberté. S'agit-il seulement de dire ce que l'on veut, de faire ce que l'on veut, de se donner tous les droits, y compris celui de ne rien respecter? Ou ne s'agirait-il pas plutôt d'autre chose? La pensée libre fait de nous des humains en conscience. La solidarité fait de nous des humains en puissance. Le savoir et l'intelligence faisant le reste, nous pourrions être aussi beaux que des loups sauvages, si seulement nous nous y mettions.
Le hurlement du loup donne à penser tandis que l'aboiement hystérique du chien agace.
Ne dites jamais « capitalisme sauvage », car cela est une insulte pour le sauvage. Sachons que le capitalisme est démesurément civilisé.
Nous avons de ces codes sonores qui trompent énormément, mais qui semblent nécessaires pour maintenir la vie en société. Tout est filtré, car la lumière crue de la vérité risquerait de brûler nos sensibilités. D'ailleurs Gorki était d'avis que le mensonge explique mieux que la vérité ce qui se passe dans l'âme de l'humain.
À force d'étudier le danger, l'animal apprend. Sa prudence confirme que le doute est de la famille de l'intelligence, tandis que la certitude appartient à une forme plus ou moins grave de bêtise.
La pensée est dans un piètre état depuis que plus personne ne doute de son point de vue.
Nous savons comment faire l'amour, mais savons-nous vraiment comment l'amour se fait et quels sont les tours et détours qu'il peut emprunter pour s'exprimer pleinement?
Le bonheur est lié à la sagesse, à l'équilibre, à la paix et à l'élévation de l'âme, certes, mais il est aussi lié à la volonté de le reconnaître, de le saisir, de l'attraper dans les interstices de cette ligne du temps remplie de blessures et de diverses misères. Il en faut, du vouloir, pour absorber tous ces coups, pour apprivoiser ses douleurs, pour rebondir et se déclarer heureux quand même.
Lorsque l'imaginaire surgit, la moindre image embrouillée parle plus qu'une pie.
Une conscience s'allume, une autre, mais aucune ne dure, aucune n'a jamais duré. Et je me dis : des milliards d'années sans que je sois. Et autant où je ne serai pas. Entre les deux, un passage éclair. C'est à n'y rien comprendre.