Ensemble de textes de quelques pages, mélange d'anecdotes vécues et de réflexions personnelles ou philosophiques.
L'auteur reprend ici les sujets qui lui sont chers comme la nature et le traitement des peuples autochtones, mais il parle aussi des camions et des plaisirs de la route, du sport, le baseball qu'il écoute à la radio ou le football américain qu'il suit à la télé.
Plusieurs textes touchent aussi l'âge, comment faire face à l'inéluctable déclin du vieillissement et à l'abandon dans la mort.
Si on a lu d'autres livres de cet auteur, on croit qu'il se répète, que c'est un peu la même chose, jusqu'à ce qu'au détour d'un paragraphe une phrase nous touche au coeur ou nous remue l'esprit. On se dit alors qu'on a bien fait de prendre ce livre et de repenser à ces choses.
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Serge Bouchard raconte magnifiquement l'histoire du Canada et des premières nations d'ici et des USA. On ressent son indignation et sa douleur, sa passion pour ces histoires tues. On a envie de tout connaître sur notre passé sombre, et de tenter de ne pas faire les mêmes erreurs.
J'ai moins apprécié ses récits sur ses road trips et l'histoire des grandes villes des USA, mais il faut dire que les USA ne m'intéresse pas du tout en général.
Je ne sais pas si j'aurais mis tous ces textes dans un même livre, je n'ai pas trouvé de fil conducteur, mais j'ai toutefois trouvé plusieurs textes magnifiques.
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Ces 28 récits sont autant de moments de grâce qui interpellent notre mémoire et notre sens des responsabilités. Un coup de cœur assuré.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Les derniers survivants furent simplement abattus, dans cette Californie paradoxale qui se rangeait parmi les États anti-esclavagistes mais qui permit, jusqu’au début du XXe siècle, l’assassinat des Indiens contre une prime du gouvernement.
(Boréal, p.158)
La poésie de la vie quotidienne est la plus forte, elle demande une prouesse peu commune : animer l'ordinaire et le répétitif, donner une âme au désamour du monde, faire honneur aux décors de sa propre vie.
(...)
La poésie est un impensable raccourci qui donne accès au coeur multiple des choses. Une société amputée du pouvoir de sacraliser le moindre détail de son être est une société pauvre, constamment en crise de sens.
(...)
Car la poésie, je le dis encore, est un acte de liberté. Nous sommes libres de créer le monde qui nous entoure, l'humain est essentiellement un créateur de mondes. La conscience vient avec cette qualité : l'imagination créatrice. Tu donneras vie aux barreaux de ta prison, tu t'évaderas par la fenêtre ouverte de ton imaginaire, rien ne peut t'empêcher de te recueillir devant une pierre humide, devant une clôture de broche, rien ne t'interdit de résister jusqu'au dernier coup d'oeil.
L'humain, au temps où il avait les yeux ouverts, a toujours vu les mille facettes d'une chose, les mille sens d'un mot, les mille visages des bêtes, les mille couleurs d'une plante, ainsi que les liens mystérieux qui unissent le fer à l'étoile, le brouillard à l'arbrisseau, la montagne à la mort, la mort au corbeau et le mélèze à l'enfantement. L'anthropologie nous enseigne que les chiffres anciens étaient magiques, qu'il y avait un tableau des correspondances poétiques entre tous les éléments de la nature, que les arbres avaient charge symbolique, que les animaux et les étoiles se rejoignaient dans des assemblées nocturnes et que chaque geste s'inscrivait dans la démarche sacrée d'une âme en train de suivre une voie.
Nous avons raconté des mythes et des légendes autour d'un feu commun, nous avons ensemble mimé notre vie et fixé les règles du vivre-ensemble. Ce premier droit coutumier ne faisait pas de distinction entre la poésie et le monde. La communauté, son histoire, ses outils, ses courses, ses maisons, ses naissances et ses morts, tout existait dans l'ordre d'une poétique qui donnait vie à l'épée, un visage à la gargouille, une fonction protectrice à la branche de sapin, un sens à la mort de l'oiseau, un pouvoir à la pierre noire et une raison à l'antre de marbre dans les montagnes blanches du royaume des caribous magiques. La pensée originale a le penchant du beau, elle appréhende une totalité, là où l'ourse est ma mère, où les bouleaux sont des jeunes filles mortes enveloppées d'une écorce blanche, où les canots volent dans les nuages de la nuit, où des larmes de fantômes fuient les esprits malins, et ce sera le brouillard qui court à la surface des lacs, aux aurores d'octobre.
La mort frappe comme une roche sur un museau de camion. Il n'est de beauté qui résiste au choc de sa propre fin. Le temps file jusqu'à ce qu'il ne file plus, certains obstacles ne se contournent pas. Voilà autant de sentences appartenant au livre non écrit de la sagesse des chauffeurs.
Les derniers survivants furent simplement abatus, en cette Californie paradoxale qui se rangeait parmi les États anti-esclavagistes mais qui permit, jusqu'au début du xxe siècle, l'assassinat des Indiens contre une prime du gouvernement.
Souvenons-nous de Kintpuash, chef modoc, connu sous le nom de Captain Jack au lieu dit Lava Bed. En 1872, sa bande de rebelles fut encerclée, massacrée et finalement anéantie par l'armée américaine. Le Capitaine fut pendu, véritable lynchage de premier ordre. Souvenons-nous d'Ishi, le dernier des Yanas, trouvé errant en bordure d'Oroville en 1911 et qui vécut les cinq dernières années de sa vie au Musée d'anthropologie de la Californie, sous la loupe bienveillante de l'anthropologue Alfred Louis Kroeber. Il mourut de tuberculose en 1916. Il ne s'appelait même pas Ishi; ce nom lui avait été donné par le musée car, dans sa fierté traditionnelle, le dernier des Yanas demeura toujours muet sur son identité face à ce monde étranger qui venait d'exterminer son peuple.
Conférence de Serge Bouchard 4/4