Citations de Serge Hefez (53)
On a souvent l'idée que le couple se compose de deux adultes constitués qui se mettent ensemble, comme s'il n'y avait en eux plus aucune trace de l'enfance, et ce quel que soit leur âge. En réalité, c'est l'inverse. Un homme et une femme ne sont jamais achevés, développés et totalement acteurs de leur destin. On peut être relativement "fini" dans ses rapports sociaux ou professionnels, on ne l'est jamais tout à fait dans les rapports amoureux.
S'il n'est pas facile de passer de l'illusion à a désillusion, il est impossible de rester sur un mode complètement fusionnel.
Dans nos contes de fées modernes, acteurs bronzés, insouciantes princesses et autres "beautiful" people échappent à la tiédeur du quotidien en convolant au gré des fugaces et intenses passions. C'est la politique du tout ou rien qui mène la danse conjugale : plutôt multiplier les essais, dans l'espérance de réaliser la parfaite unité, qu'accepter les compromis propres à la longévité. La passion, sinon rien. L'idéal ne se négocie pas. (...) A la fois moyen d'être soi et d'échapper à soi-même, la quête de la passion amoureuse devient la clé unique de l'épanouissement personnel tout en enfermant l'individu dans une solitude et un individualisme de plus en plus forcenés.
La durée moyenne d'une passion est de deux ans environ. Il faut ensuite à peu près un an pour la transformer ou s'en débarrasser. Ceux qui décident de privilégier la passion changent de partenaire tous les deux ou trois ans parce qu'ils ne peuvent supporter cette transformation qui leur paraît plus tiède que les moments brûlants qu'ils ont partagés.
Dans ce moment de passion, qui est également un moment de fusion où, comme l'écrit joliment Elisabeth Badinter, "l'un est l'autre", chacun projette dans l'autre tout ce qu'il (elle) a de meilleur en soi. L'autre est tellement idéalisé, tellement parfait et le couple que l'on constitue si merveilleux que, au moment où il faut que chacun reprenne un peu ses billes et récupère tout ce qu'il a mis de soi en l'autre - c'est-à-dire au moment où l'on passe de la passion à l'amour -, peu de couples résistent à ce travail particulièrement difficile.
Certains vivent ainsi de passion en passion.
"La passion est le ciment du couple." Ce credo s'est sournoisement installé dans notre culture. Nous en sommes empreints. Rendons-nous tout de même à l'évidence : si la passion amoureuse permet sans aucun doute de sceller une relation intense entre un homme et une femme (ou entre deux hommes ou deux femmes), elle ne facilite pas pour autant son évolution. Tous ceux qui l'ont vécue savent bien que la passion amoureuse est tout, sauf un facteur de stabilité...
Chacun lutte constamment pour maintenir son équilibre interne et conserver ce qu'il pense être sa véritable identité. Chacun espère trouver un partenaire qui l'aide dans cet effort permanent, mais la demande est paradoxale. Comme l'enfant à qui l'on enjoint : "Sois spontané !", on demande à notre partenaire "Aide-moi à changer notre relation, en ne changeant rien de moi"... (...) Ce qui est bon pour l'un ne l'est pas forcément pour l'autre.
L'estime de soi se construit sur deux besoins fondamentaux : le sentiment d'être aimé et celui d'être compétent. Elle permet de se relier aux autres. Sans elle, nous devenons hypersensibles à toute critique ou désapprobation, nous nous heurtons à une image de nous-mêmes tantôt grandiose, tantôt insignifiante, incapables de trouver notre juste mesure.
Dans cette quête émotionnelle propre à la relation amoureuse, nous demandons à l'autre de valider nos propres sensations afin d'authentifier notre sentiment d'exister.
On cherche l'identique, en miroir, mais on trouve toujours des "petites différences" qui permettent de s'en différencier. L'insatisfaction (et donc le désir) naît de la perception de ces différences qui fonde l'altérité.
En optant pour une thérapie de couple, en réfléchissant ensemble à leurs difficultés, ils vont pouvoir évoluer ensemble et créer un modèle de couple pertinent pour les deux, peut-être plus sain et garant de stabilité pour l'avenir.
La crise du couple intervient au moment où les contrats implicites ne concordent plus et entrent en confit.
A ceux qui considèrent que tout ce que l'on fait en dehors du couple constitue une attaque personnelle ("Tout ce que tu fais en dehors de moi, c'est contre le couple"), j'aurais tendance à dire que c'est exactement l'inverse. Tout ce que l'on fait en dehors du couple enrichit la relation.
Qu'est-ce qui est à toi, à moi, à nous dans ce flot d'émotions, bonnes ou moins bonnes, que charrie quotidiennement notre couple ?
Les crises naissent de cette nécessité de redéfinir en permanence cette distance. Un pas en avant, un pas en arrière, un pas sur le côté, les couples ne cessent de danser une espèce de tango pour réguler ce qu'ils mettent dans le pot commun et ce qu'ils gardent pour eux dans leur vie personnelle : leurs investissements professionnels, sportifs, ou amicaux, par exemple.
Si l'on considère le couple comme une sorte de creuset, un "pot commun" dans lequel chacun dépose ses attentes, ses désirs et sa représentation du couple, on comprend pourquoi les règles implicites sont les plus importantes dans la dynamique relationnelle. En effet, elles mettent en place la bonne distance autorisée entre les deux partenaires, celle qui contient l'intimité. Dans ce pot commun, il y aura ce dont on se parle et ce dont on ne se parle pas. Il y aura aussi ce que l'on partage et ce que l'on souhaite garder pour soi.
C'est bien sûr la négociation qui permet de ne pas se sentir en permanence désigné par l'autre comme responsable du fait qu'il ne peut pas comprendre notre désir. Et vice versa. (...)
Ne pas fuir la négociation, mais l'accepter ou la devancer. On ne peut pas accéder autrement à la reconnaissance de ses propres besoins. (...)
Le plus souvent, on refuse la négociation parce que chacun préfère rester avec sa vision du monde. Au fond, même si cela paraît douloureux, il est plus confortable de désigner l'autre comme responsable de son infortune.
La pensée linéaire donne une vision partielle du monde qui ramène tout à l'autre ou à soi. C'est en grande partie à cause de cette manière de penser que les couples se disputent. Aucun n'essaie de se mettre à la place de l'autre parce qu'il ne peut pas prendre en compte à la fois sa vision du monde et celle de son partenaire. Chacun (ou chacune) se situe au centre du monde et considère le reste des éléments qui le constituent comme étant dirigés vers lui (ou elle).
La mise en place de règles de vie harmonieuses soulève tous les niveaux de l'échange et de la communication, des plus simples aux plus complexes. La partie visible de l'iceberg, disputes et négociations, relève de la nature même de la communication, volontiers empreinte, comme nous allons le voir, de linéarité et de symétrie. Mais ce sont la conception de l'intimité, le poids des demandes inconscientes, la force de la projection qui tourbillonnent en profondeur et qui bouleversent la surface.
La relation de couple n'est pas un état mais un processus de développement continu qui évolue par crises successives. Ces crises sont absolument normales et c'est le fait de les surmonter qui maintiendra la relation vivante.
Marie finit par se jeter dans les bras d'un collègue de travail pour retrouver une jouissance, mais surtout pour induire la première crise dans sa relation avec Jean-Paul.