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Citations de Serge Quadruppani (105)


Ce qui se passa ensuite dans la chambre fut assez tumultueux, serein, bouleversant, brutal, suave, pour qu’à l’instant où il payait le taxi, en revenant du restaurant du Marais quitté en toute hâte, Francesco soit distrait par ses souvenirs au point de dire « merci madame » au quinquagénaire vietnamien qui se trouvait derrière le volant. Mais comme ce dernier suivait sur RTL une émission de rigolade, on resta sur le terrain rassurant de l’autisme généralisé et chacun s’en fut vers son destin, le taxi démarrant en souplesse pour aller prendre quelques mètres plus loin un monsieur bien mis qui agitait les bras sous la pluie obstinée, tandis que Francesco passait une main en forme de peigne dans ses cheveux humides de sorte que, pour la première fois depuis le début de cette histoire, il eut l’air coiffé avant d’entrer dans le consulat italien, où il serra la main du garde de permanence qu’il avait prévenu par téléphone.
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– Ça va te faire drôle que je te dise ça, avait attaqué Marco au moment où la serveuse repartait vers la table voisine avec le plat de semoule, mais je trouve que tu n’as peut-être pas choisi le meilleur moment pour démissionner… Ne me regarde pas comme ça, tu sais bien que je suis content que tu aies arrêté de travailler, et la haute police étant désormais ce que nous savons, ça fait un moment que je te pousse à prendre une retraite anticipée… mais ce qui se maintenant est très grave. Avec le gouvernement technique, les Siciliens sont en train de reprendre le pouvoir.
Et, pour donner plus de force à son propos, il s’apprêta à égrener des noms qu’elle connaissait, ceux de Siciliens récemment nommés à des postes clés du pouvoir judiciaire et policier italien, nominations qui, selon lui, prouvaient le retour massif dans l’appareil d’État d’une mafia disparue des écrans mais qui avait, confrontée à la répression, choisi la discrétion en se repliant sur le territoire d’un côté et en s’installant dans les circuits financiers internationaux de l’autre, cette mafia qui a donné son nom à toutes les autres, notre chose sicilienne. Mais sa démonstration fut empêchée par un cri d’horreur de la serveuse auquel succéda son évanouissement.
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– Oui ? articula Simona Tavianello dans le combiné tandis que son Napolitain dépité s’asseyait au bord du lit, lui tournant le dos. Ah, bonjour, monsieur le procureur, dit-elle en reconnaissant la voix. Un tout petit instant, je vous prie.
Elle posa la paume sur le récepteur et, à mi-voix, dit : « Bianchi ». De l’autre main, elle montrait le socle du téléphone sur la table de nuit. Marco appuya sur le bouton connectant le haut-parleur, et elle s’assit sur les genoux de son homme, ce qui ne manqua pas d’entraîner le frottement d’une joue mâle par un sein fort doux.
– Oui, je vous écoute, monsieur le procureur, articula-t-elle ensuite.
– Commissaire, attaqua d’une voix solennelle le juge Bianchi, grand amateur de cigares puants et procureur de district de la direction antimafia, ce que je dois avant tout à notre longue collaboration et à vos immenses mérites professionnels, ce que nous vous devons… hum… allô ?
– Oui, oui, je suis là, dit Simona qui venait d’émettre un son étrange, mi grognement de réprobation, mi gloussement de plaisir parce que Marco, n’y tenant plus, avait pris un sein de sa femme dans la coupe d’une main. Je vous écoute, insista-t-elle en lui donnant une tape sur les doigts et Bianchi reprit :
– Je disais… bon, oui… Soyons direct : je viens de discuter longuement de votre cas avec le dottore Prontino, et malheureusement, nous sommes parvenus à la même conclusion… – Vous me retirez l’enquête, dit Simona en tapant sur l’autre main de Marco, qui tentait une approche vers la deuxième sphère.
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Au moment où il s’était lancé dans des explications scientifiques, le portable de Simona avait sonné, elle avait vu que c’était Marco et s’était abstenue de prendre la communication en se promettant de le rappeler plus tard, mais ensuite, elle avait été trop distraite pour suivre la démonstration. Elle retenait seulement que, selon Marini, et il avait employé lui-même la métaphore, les abeilles étaient en train de mourir d’avoir trop bien essayé de s’adapter à l’évolution du monde, au lieu de lui résister, « offrant ainsi l’image parfaite de la trajectoire d’une certaine gauche ».
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De ses ancêtres slovènes, elle avait conservé les formes dodues, le caractère doux, la touffe dorée et une langue longue, apte à inlassablement lécher, sucer, aspirer, mais les hominidés mâles doivent ici interrompre leurs fantasmes répugnants, car elle était aussi munie de deux antennes coudées comportant douze articles poilus et surtout d’un dard convenablement chargé en venin. Son jabot était chargé de nectar à éclater, il était temps de rentrer et quand l’Apis Carnica s’envola, la pelote de pollen jaune orangé calée dans le panier de poil était si grosse que des grains tombèrent sur un pistil dont le destin de producteur d’un marron qui finirait glacé était maintenant signé. Comme elle était seule et venait de découvrir dans ce bois le premier châtaignier fleuri de l’année, la butineuse prit le chemin de la ruche. Malgré les frondaisons épaisses de la forêt de chênes, de hêtres et de châtaigniers, elle s’orientait au soleil, les scientifiques ne savent pas vraiment comment. A l’approche du rucher, un vague de phéromones de Nassanov vint à sa rencontre, mais, vieille butineuse – dix jours déjà, comme le temps passe – elle n’avait pas besoin de ces émanations de ses congénères pour se diriger droit vers sa ruche et commencer la danse frétillante en huit qui indiquait, par une savante angulation solaire, la direction du châtaignier en fleur dont, déjà, son abdomen chargé d’odeurs ventilées par les ailes faisait sentir les odeurs enivrantes à ses sœurs. Elle volait lentement, car l’arbre n’était pas tout près. Le ciel avait beau être nuageux, ses trois ocelles qui percevaient la lumière polarisée lui permirent de se caler dans la direction précise tandis que ses yeux latéraux aux quarante mille facettes voyaient autour d’elle le monde en bleu, ultraviolet, orange et vert bleuâtre.
C’est ainsi que lui apparut la silhouette de l’homme : orange et verte, quand il s’avança au milieu du rucher, en combinaison et cagoule. A grands pas, il marcha, hache brandie, vers la ruche où pondait sans discontinuer la reine de la butineuse du châtaignier. La lame tournoya, renversant à une vitesse sidérante le bel amas d’alvéoles aux formes parfaites, le miel, le couvain, les cadres, tout explosa, et une onde de désarroi vibrant, d’odeurs, de signaux d’alerte, de bourdonnements submergea l’abeille.
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– Qu’est-ce qu’il m’a fait de bon, mon petit mari ? lança-t-elle en direction d’une porte entrouverte d’où arrivaient des senteurs.
– Coda alla vacinara, dit le petit mari en surgissant sur le seuil. Et gnocchi à la romaine, ajouta-t-il en essuyant ses mains de pianiste sur le tablier protégeant sa chemise blanche et son pantalon de lin.
Il lui tendit les lèvres. Il n’était pas si petit, le mari, car elle dut se mettre sur la pointe des pieds pour caresser les cheveux blancs coupés court, la joue rugueuse et la grosse boucle d’or à l’oreille gauche.
– Spécialement pour toi, j’ai oublié le céleri et j’ai mis double ration d’ail, ajouta-t-il en lui prenant les fesses à pleines mains. Et le bœuf m’a cédé un bout de joue, en plus de sa queue.
– Tu veux vraiment me transformer en grosse vache imbaisable, protesta Simona en s’écartant pour lui sourire.
– Tu vas voir tout à l’heure si t’es imbaisable… attends, faut que je baisse le feu.
Il lui tourna le dos pour saisir une cuillère en bois et s’affairer au-dessus d’une marmite de cuivre. La cuisinière, vaste meuble aux parois carrelées, au plateau combinant la cuisson au gaz et la vitrocéramique, occupait le centre d’une pièce aussi grande que le salon.
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Le procureur général de la DNA, qui était revenu après s’être fait photographier au début de la conférence de presse du ministre, se leva en flattant sa cravate bleu pétrole :
– Bianchi a raison. Pour l’instant, je lui laisse le soin de superviser l’enquête de la dottoressa Tavianello, dont nous connaissons les qualités professionnelles. Tous les services, y compris le lieutenant Licata et ses hommes, seront à sa disposition. Comme l’a dit le ministre, nous comptons sur votre collaboration à tous, carabiniers et services d’information compris. Demain à 14 heures, nous ferons un premier bilan. Inutile de vous dire qu’on attend des résultats.
Le lieutenant Licata tarda un peu à se mettre debout. La commissaire lui adressa un sourire qu’elle voulait amical, mais, craignant qu’il y voie de la moquerie pour le rôle secondaire auquel on l’assignait, elle reprit aussitôt une expression neutre. Celle du patron des services d’information était toujours aussi peu déchiffrable.
On échangea des poignées de main.
Et seul un narrateur omniscient, mal venu dans une époque postmoderne, aurait pu nous faire savoir qu’en serrant dans sa grande main énergique et manucurée les cinq doigts dodus de la commissaire, Febbraro pensa « Sale pouffiasse rouge, on va te niquer la gueule », tandis que Simona songeait « Fasciste de merde, tu crois que je ne te vois pas venir ? ».
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Autour de la table où se tenaient d’ordinaire les réunions du conseil d’administration des thermes de Saturnia, il y avait une douzaine d’hommes et trois femmes. Une seule, la commissaire, était assise.
– C’est qui, la petite grosse à cheveux blancs ? s’enquit Febbraro à l’oreille du patron de l’Agence d’information et de sécurité intérieure. On me l’a présentée, mais j’ai déjà oublié.
– Commissaire principale Simona Tavianello, elle est cul et chemise avec le proc Bianchi. Une chieuse de première.
– C’est elle qui va mener l’enquête ?
– Je le crains.
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les farines animales, c'est de la poudre aux yeux. C'est pas la vache qui est folle, c'est notre civilisation.
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Je sais que vous pensez que je suis fou et vous n'avez pas tort mais je suis un fou assez commun finalement , le genre de fou que sa folie n’empêche pas d'accomplir les taches qu'on lui a assignées.
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Il se laissa faire, montrant par là qu'il appartenait à cette population d'animaux de plus en plus nombreux qui, de guerre lasse sans doute, ont concédé aux humains le droit de les traiter en peluches vivantes.
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...et elle prononça le nom d'une actrice italienne connue, abonnée aux rôles de moyenne bourgeoise névrosée.
-Ah, fit Domenico, celle-là ? Celle qui a des lèvres tellement gonflées au collagène qu'on dirait des hémorroïdes ?
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En quelques secondes, tout le monde fut debout, tout le monde cria, car tout le monde fixait ce qui reposait dans la semoule : une main tranchée. De la coupure, où se voyaient les veines et les tendons émergeant des chairs, du sang avait coulé sur le grain beurré avant que la chaleur de celui-ci ne cuise les tissus. Quand elle provenait du dépeçage d’autres mammifères qu’eux, la présence de matière organique sur une garniture d’origine végétale déclenchait fréquemment chez les humains la salivation mais, là, il y eut presque aussitôt plusieurs vomissements. Une jolie femme se répandit la première aux dépens de sa robe printanière à 2000 euros, aussitôt imitée par un voisin à tête de notaire.
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- La tombe de Jim Morrison, s'il vous plaît ?
Le gardien me regarde d'un air légèrement dégoûté.
Le teint couperosé, la trogne vultueuse, il cuve son vin en arpentant les allées du Père-Lachaise.
Je lis dans ses yeux une exaspération que je comprends mal.
- Suivez les chevelus, fait-il d'un voix rogue.
Son menton désigne vaguement une bande de types efflanqués dont les cheveux sont effectivement plus longs que ceux de la moyenne des visiteurs.
- Ils y vont ?
- Où voulez-vous qu'ils aillent ?
- J'en sais rien, moi. J'ai lu dans un bouquin que 835 278 personnes avaient inhumées là entre le 21 mai 1804 et le 1er janvier 1936....
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...le projet de dire, en se gardant de tout moralisme comme de tout cynisme , la part noire de l'humain...
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Il m'a expliqué qu'il était partisan des théories du "décèlement précoce", c'est-à-dire une politique de prévention du crime. Il s'agit de repérer la dangerosité des organisations avant même qu'elles ne deviennent vraiment dangereues et d'intervenir contre les personnes non pas en fonction de ce qu'elles ont fait mais de ce qu'elles pourraient faire. Je lui ai répondu alors qu'il devrait m'interpeller tout de suite, parce que j'ai souvent envie d'étrangler ma femme... Il a ri l'idiot, il croyait que je plaisantais.
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- Je veux dire, avança Gérard, qu’une affaire comme l’assassinat de ce Gutteriez, c’est sûr qu’il y a un tas de trafics dessous, on le sait bien. Ils vont sûrement arrêter des types, y ‘aura peut-être deux ou trois politiciens ripoux qui vont tomber. Mais ceux qui tirent les ficelles, on les arrête jamais. Le dessous des cartes, toi et moi, et les gens comme nous, on pourra jamais le connaître. On est nés dans le panier des cons, je te dis.
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On détruit un processus naturel gratuit et on le remplace par une prothèse artificielle payante.
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Les abeilles effectuaient un travail qui restait encore largement dans la sphère de la gratuité : comment savoir combien d’abeilles de tel rucher ont fécondé telle plante sauvage ? C’était impossible.
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Même les paranoïaques ont des ennemis.
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