Citations de Serge Quadruppani (104)
-Tu sais que la panique , ça vient de Pan, la divinité qui incarne les forces invisibles et mystérieuses de la nature?
Le sentiment que l’humanité est au bord du gouffre est désormais largement partagé. La colère contre ce qui l’y a menée l’est beaucoup moins.
Je crois au besoin de croire. Je crois à la poésie qui exprime ce besoin. Je crois au besoin de règle. Mais je crois aussi à la règle du besoin. Et j'ai besoin de toi.
Je sais que vous pensez que je suis fou et vous n'avez pas tort mais je suis un fou assez commun finalement , le genre de fou que sa folie n’empêche pas d'accomplir les taches qu'on lui a assignées.
C'est ainsi, mijotant à petits bouillons dans la culpabilité, que je m'endormis.
les farines animales, c'est de la poudre aux yeux. C'est pas la vache qui est folle, c'est notre civilisation.
De toute manière, conclut-il, il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde.
En quelques secondes, tout le monde fut debout, tout le monde cria, car tout le monde fixait ce qui reposait dans la semoule : une main tranchée. De la coupure, où se voyaient les veines et les tendons émergeant des chairs, du sang avait coulé sur le grain beurré avant que la chaleur de celui-ci ne cuise les tissus. Quand elle provenait du dépeçage d’autres mammifères qu’eux, la présence de matière organique sur une garniture d’origine végétale déclenchait fréquemment chez les humains la salivation mais, là, il y eut presque aussitôt plusieurs vomissements. Une jolie femme se répandit la première aux dépens de sa robe printanière à 2000 euros, aussitôt imitée par un voisin à tête de notaire.
Il m'a expliqué qu'il était partisan des théories du "décèlement précoce", c'est-à-dire une politique de prévention du crime. Il s'agit de repérer la dangerosité des organisations avant même qu'elles ne deviennent vraiment dangereues et d'intervenir contre les personnes non pas en fonction de ce qu'elles ont fait mais de ce qu'elles pourraient faire. Je lui ai répondu alors qu'il devrait m'interpeller tout de suite, parce que j'ai souvent envie d'étrangler ma femme... Il a ri l'idiot, il croyait que je plaisantais.
Big Brother incarne un moment unificateur de l’empire, la figure qu’il prend quand les diverses puissances qui le composent s’entendent pour désigner le terroriste, cet ennemi qui est la justification ultime à leur propre existence, à leurs propres exactions. Big Brother, c’est Bush mettant à prix la tête d’un Ben Laden que son pays a peu ou prou créé, c’est Poutine dénonçant les islamistes tchétchènes, seuls survivants de la guerre d’extermination menée par le président russe contre les indépendantistes démocrates, guerre lancée grâce à des attentats en Russie très vraisemblablement réalisés par ses propres services, c’est Ben Ali dont le clan met la Tunisie en coupe réglée au nom de la lutte contre l’islamisme ; Big Brother, c’est Berlusconi en intendant du G8, à Gênes, en 2001, quand sa police matraquait jusqu’au coma à l’école Diaz, torturait à la caserne Bolzaneto et tuait sur la place Alimonda : c’est l’alliance de tous les pouvoirs exerçant la terreur au nom de la lutte antiterroriste.
La Commune libre du Plateau
— Lionel, ça vous dérangerait de débloquer les vitres ? Je voudrais baisser la mienne…
— Vous voulez que j’augmente la clim ?
— Non, il y a une guêpe, là, à l’arrière, et je voudrais bien qu’elle sorte.
Le capitaine de gendarmerie Lionel Gaufre retira la main droite du volant pour faire ce que Sylvie Mercure lui demandait, en même temps qu’il jetait un coup d’œil au rétroviseur intérieur.
— C’est pas une guêpe, assura le lieutenant de police Francesco Maronne, le passager à droite du chauffeur.
— C’est quoi ? demanda la jeune femme blonde à l’arrière en suivant du regard l’insecte qui, malgré la glace baissée, n’avait pas du tout l’air intéressé par le grand air du plateau de Millevasques et s’obstinait dans des zigzags aux alentours du nez féminin.
— Un frelon asiatique… assura Maronne.
Ce matin-là, il faisait en plus très chaud dans la cuisine. Depuis l’aube, sa mère s’affairait autour du four avec deux autres habitantes d’Ayguière.
Ce jour-là, Tom avait le nez bouché. Et quand ça lui arrivait, Tom paniquait. Il savait bien qu’il pouvait respirer par la bouche, mais il détestait ça. Quand on lui demandait pourquoi, il répondait qu’il trouvait qu’il avait l’air nouille, les lèvres entrouvertes (à 10 ans, Tom se regardait volontiers dans les vitrines et les miroirs). Ou alors, il disait qu’il n’aimait pas « la sensation de sécheresse dans sa cavité buccale » (il connaissait beaucoup de mots pour son âge). Mais la vérité, c’est qu’il avait peur d’oublier d’inspirer et d’expirer : car d’après lui, dès qu’elle passait par sa bouche, la respiration cessait d’être automatique. Donc, quand il avait le nez bouché, il se surveillait en permanence, inquiet à l’idée d’étouffer, et son inquiétude lui donnait l’impression d’étouffer. Le lecteur qui observera que cela fait bien des complications et des tourments pour un enfant de 10 ans va devoir se rendre à l’évidence : il a oublié ce que c’est d’avoir 10 ans.
Le mouvement No TAV a déjà remporté une victoire : la formation d’un sujet collectif opposé au monde tel qu’il va.
Il était ressorti de prison avec l'idée qu'il ne serait jamais accepté par ce pays, et qu'il fallait affirmer son identité.
- L'identité, l'identité ! dit Djemila. Il a plus que ce mot à la bouche. Pour moi, jusque-là, l'identité, c'était juste un truc à faire contrôler par la police. Maintenant, il faudrait que je la fasse aussi contrôler par mon frère et les cons de barbus qu'il fréquente. "T'es musulmane, il dit. Il faut que tu sois fière d'être musulmane !" Il dit ça pour faire chier notre père qui dit qu'on doit être fiers d'être kurdes ! A l'école, on me dit que j'ai l'identité française, puisque je suis née en France. Mais moi, j'en ai rien à cirer de tout ça. Moi, je suis Djemila. Je suis Djemila et je les emmerde tous !
Poings serrés, tête baissée, elle luttait pour ravaler un sanglot.
Il n’y a que les fanatiques de la guerre des civilisations et autres « résistants à la montée du fascisme vert » pour croire que l’ordre mondial serait menacé par la fantasmagorie djihadiste. Le fait que le principal foyer d’intégrisme, l’Arabie saoudite, demeure sous l’inébranlable protection étatsunienne devrait suffire à les en convaincre. Comme le fait remarquer Mondher Kilani, « outre l’Amérique latine et l’Europe, l’espace d’influence américain s’étend aujourd’hui à la quasi-majorité du monde musulman ».
– Oui ? articula Simona Tavianello dans le combiné tandis que son Napolitain dépité s’asseyait au bord du lit, lui tournant le dos. Ah, bonjour, monsieur le procureur, dit-elle en reconnaissant la voix. Un tout petit instant, je vous prie.
Elle posa la paume sur le récepteur et, à mi-voix, dit : « Bianchi ». De l’autre main, elle montrait le socle du téléphone sur la table de nuit. Marco appuya sur le bouton connectant le haut-parleur, et elle s’assit sur les genoux de son homme, ce qui ne manqua pas d’entraîner le frottement d’une joue mâle par un sein fort doux.
– Oui, je vous écoute, monsieur le procureur, articula-t-elle ensuite.
– Commissaire, attaqua d’une voix solennelle le juge Bianchi, grand amateur de cigares puants et procureur de district de la direction antimafia, ce que je dois avant tout à notre longue collaboration et à vos immenses mérites professionnels, ce que nous vous devons… hum… allô ?
– Oui, oui, je suis là, dit Simona qui venait d’émettre un son étrange, mi grognement de réprobation, mi gloussement de plaisir parce que Marco, n’y tenant plus, avait pris un sein de sa femme dans la coupe d’une main. Je vous écoute, insista-t-elle en lui donnant une tape sur les doigts et Bianchi reprit :
– Je disais… bon, oui… Soyons direct : je viens de discuter longuement de votre cas avec le dottore Prontino, et malheureusement, nous sommes parvenus à la même conclusion… – Vous me retirez l’enquête, dit Simona en tapant sur l’autre main de Marco, qui tentait une approche vers la deuxième sphère.
...et elle prononça le nom d'une actrice italienne connue, abonnée aux rôles de moyenne bourgeoise névrosée.
-Ah, fit Domenico, celle-là ? Celle qui a des lèvres tellement gonflées au collagène qu'on dirait des hémorroïdes ?
- La tombe de Jim Morrison, s'il vous plaît ?
Le gardien me regarde d'un air légèrement dégoûté.
Le teint couperosé, la trogne vultueuse, il cuve son vin en arpentant les allées du Père-Lachaise.
Je lis dans ses yeux une exaspération que je comprends mal.
- Suivez les chevelus, fait-il d'un voix rogue.
Son menton désigne vaguement une bande de types efflanqués dont les cheveux sont effectivement plus longs que ceux de la moyenne des visiteurs.
- Ils y vont ?
- Où voulez-vous qu'ils aillent ?
- J'en sais rien, moi. J'ai lu dans un bouquin que 835 278 personnes avaient inhumées là entre le 21 mai 1804 et le 1er janvier 1936....
On détruit un processus naturel gratuit et on le remplace par une prothèse artificielle payante.