Sonia David - David Bowie n'est pas mort
Notre père est alors au bloc opératoire. Elle [ma soeur] me dit « Je ne devrais pas évoquer ça, je ne peux le confier qu'à toi, mais parfois je me demande s'il ne vaudrait pas mieux qu'il ne se réveille pas ». Je me colle à elle, au plus près, parce que je suis d'accord. Et ce qui me désespère n'est pas que nous le pensions mais le fait que, sûrement, papa le pense aussi. Comment console-t-on quelqu'un de l'inconsolable, témoin de sa propre déchéance physique, humilié de ce manque d'autonomie qui n'en finit pas de l'empêcher d'être homme, et père ? Comment réconforter un mourant qui ne veut pas mourir ?
(p. 99)
[...] son GPS indique la route en anglais (son mari américain est celui qui utilise généralement la voiture), et les villages bretons égrenés avec cet accent-là, c'est cocasse, tout de même.
(p. 75)
Je suis mon propre computer et je stocke en mémoire ce que je vois. J'ai des références par milliers.
De nous-mêmes, nous avons compris le bénéfice de ces douleurs, pouce, on fait une pause, on sort de la compétition, nous voilà lovées dans une parenthèse de faiblesse, protégées des jugements, des tribunaux, de la conditionnelle, le temps de réclamer un supplément d'attention, de l'indulgence et, bien sûr, un peu de préférence. (p163)
Il prend en exemple Amnesty International dont il fut longtemps un membre actif Amnesty dont chaque groupe se préoccupe d'une seule et unique injustice, jusqu'à ce qu'elle soit réparée. Petit à petit l'humanité fait son lit.
( p 93)
« À quoi est-on certain qu’une personne est morte ? À ce qu’elle n’aura jamais, absolument jamais, l’occasion de lire le troisième tome de la trilogie d’Amitav Ghosh. » (p. 57)
" Le docteur Bigleut va t'opérer, c'est un super chirurgien", et alors papa remue ses paupières, et marmonne : " Se faire opérer par un docteur Bigleut, ce n'est quand même pas très raisonnable." Tous nous éclatons de rire. Un rire d'histoire drôle Carambar, c'est crétin et ça fait du bien.
( p 96)
J'allais écrire sur l'amitié pour confirmer, comme j l'avais affirmé à Vincent, que ce n'était pas grave. Et rendre grâce aux parenthèses - les bistrots, les bandes, le verre de trop, la dernière cigarette-, ces merveilleux moments sans conséquence qui font le présent et peut-être, aussi, les meilleurs souvenirs.
Mais enfin les amis, d'où vous vous rappelez tout ça ? Combien sont-ils qui pourraient écrire notre biographie, ces adeptes de notre mère ? ça me fait rigoler, cette mémoire extérieure. Et je les crois aussi, ce que je trouve plus troublant. Racontée par eux, elle a l'air extra, cette femme.
( p 70 )
Une femme croisée un jour m’avait dit « J’ai compris très jeune que je n’avais pas de conversation ». Je me souvenais toujours de cette phrase lorsque je retournais en pensées au Papillon. Nous avions des conversations, mais nous aurions tout aussi bien pu ne pas en avoir. Ce n’était pas l’important. Nos rendez-vous quotidiens – qui, précisément, ne nécessitaient jamais de prendre rendez-vous, on y allait, ou pas – constituaient surtout notre manière d’appartenir à une histoire.
La plupart d’entre nous travaillait en free lance, pigiste, intermittent, nous avions plusieurs employeurs et pas de vie de bureau. Sans doute était-ce la raison pour laquelle nous nous autoproclamions collègues d’apéritif, nous créant une vie de bistrot, avec ses propres règles et parfois ses contraintes.