Citations de Sophie de Baere (268)
Paul écoute le chant surgissant du passé. Quelque chose d'indéfinissable l'atteint et écrase la lueur du moment. Il pense à ces jours vécus ensemble, ces jours uniques parce qu'ils ne reviendraient plus.
Paul croit bien qu’il lui en veut encore : avoir une mère sans jamais avoir été tout à fait un fils, quelle cruauté.
Un être à part. Voilà ce que ses problèmes d’élocution avaient peu à peu fait de lui. Personne ou presque ne voulait jouer avec le bègue. Ni le groupe qui s’amusait à poules-renard-vipères, ni le clan des billes, ni les filles des cordes à sauter. Les autres enfants n’étaient pas méchants avec lui, on ne pouvait pas dire ça. Ils refusaient simplement de l’intégrer à leurs jeux. Même avec les billes neuves et la corde à sauter fluorescente que lui avait achetées la mère.
Des parents heureux d’appartenir à des corps à la fois complices et dissemblables. Heureux d’être de simples et banals corps conjugaux.
Comme s'ils n'étaient plus que deux corps pour une seule bouche. Deux corps mués en un baiser long, intense. Outrancier. En cet instant, Paul saisit qu'il n'aurait besoin que de la bouche de ce garçon pour embrasser toutes les bouches. En cet instant, il avait déjà tout trouvé, tout éprouvé. Tout aimé.
La chair d'un ventre ne suffit pas à donner naissance.
En réalité, les souvenirs contiennent déjà l’avenir ; ils s’y diluent et, de leurs yeux rouges et mouillés, le colorent. L’avenir n’est pas une page blanche.
Désormais, Paul en est convaincu, n'importe qui peut se muer en criminel. C'est en chacun de nous. Bien souvent, l'envie de tuer reste un crépitement secret porté tel un germe empêché de croître par la morale, par l'éducation, par l'immobilité, par la société tout entière.
C'est une chose qu'il sait très bien faire. Paul a passé son existence à se tenir sur la nuque de l'oubli.
La petite sœur, elle se laissait guider par le flot de l'imagination fraternelle et Paul devait toujours se montrer fort, sûr de lui et de cet univers qu'il leur forgeait. Il y avait une forme de lourdeur dans toutes ces danses, ces chansons et jeux pourtant si enfantins que le grand frère lui inventait.
La jeunesse peut être une guerre silencieuse, un champ de bataille où des enfants d'à peine quinze ans sont capables de tuer à bout portant leurs camarades.
Et cela, sous les yeux des adultes qui sont censés les protéger.
Je saisis peu à peu que ma mère, en me privant du lycée et des livres, m'installe durablement dans l'éphémère artifice. Elle est en train de faire de moi l'une de ces jolies filles à moitié illettrées qu'on met dans son lit pour un soir ou deux et qu'au mieux on installera dans une jolie maison individuelle.
Une vie, ça se fait puis ça se défait mais ça ne se refait pas. C’est tout sauf de la magie, c’est une route tortueuse dont on ne peut changer l’itinéraire. Pas de retour en arrière possible.
On dit que c'est par le sommeil et la nourriture que l'amour commence. Cette plénitude lui venait forcément de quelque part.
Paul imaginait alors que la mère de Joseph devait avoir cette beauté qu'ont toutes les jeunes mères, la grâce des femmes qui viennent de donner la vie, le sacre de celles qui prolongent la chaîne. Nourrices qui tiennent le monde, supportant fatigue et angoisse sans jamais broncher.
Saintes mères.
Blanche, elle, n'avait jamais fait partie de cette
tribu de saintes, même
pas comme suppléante.
Depuis que la poche des eaux s'était rompue, son fils avait grandi avec le manque. Celui qui, dans le même mouvement, dénude et endurcit.
La chair d'un ventre ne suffit pas à donner nais-
sance.
On ne peut pas dire que mon existence soit un écrin de béatitudes , mais elle ne m'apparaît pas non plus comme un lourd fardeau. C'est plutôt un bain moussant qui tiédit et qu'on hésite à quitter car on s'y est trop alangui. Malgré la peau qui se fripe. Malgré la mousse qui s'étiole et nous signifie qu'il faut sortir .
Il n'a pas tellement changé , au fond . Il a toujours la beauté piquante du doute et de la distance, le charme de celui qu'on n'étreint jamais tout à fait. Ou seulement un court instant. A la dérobée. J'ai dilapidé mes plus belles années à l'attendre puis à l'évincer de ma mémoire, alors...je dois détaler. Vite.
Paul est en train de réaliser avec douleur qu'il est faux de dire que le passé, c'est le passé. En réalité, les souvenirs contiennent déjà l'avenir: ils s'y diluent et, de leurs yeux rouges et mouillés, le colorent. L'avenir n'est pas une page blanche.
Ce devait être ça les chagrins d'amour, une envie permanente de mourir qui ne vous tue pas.
En quelques jours, Paul apprit ce qu'est la cruauté. Celle qui dissout lentement l'être et lui instille l'envie de crevé.
Paul songea tristement à son enfance et à toutes ses histoires qu'il gardait en lui et qui finissaient toujours, tôt ou tard, par s'effacer. Tout ces mots qui n'étaient pour personne.