Citations de Stéphanie Coste (43)
Je rejette en bloc le sentiment de fierté qui me vient en le voyant soucieux d être à la hauteur, et l élan d affection qui me prend de court. Je tousse pour évacuer les deux. Je crois qu'il n'a rien vu.
Ibrahim court au-devant de moi, les deux bras prêts à rassembler les membres épars de ma carcasse. S'il savait que c'est juste mon coeur qu'il faut chercher.
Qu'est-ce qui va nous noyer en premier ? La colère du ciel ou celle des lames de fond ?
J'évite le miroir en face de moi. Je sens que l'angoisse rapplique, cette saleté qui me crève à petit feu traînasse partout où je suis. Elle m'aura.
Je ne serre pas la main qu’il me tend. Je gerbe son insignifiance et les bassesses qui l’ont construit. Ce mec sera toujours le larbin de sa hiérarchie et de ses clients. Il continuera à faire ses coups en douce pour grimper l’escabeau bancal de sa vie. Dans le meilleur des cas il crèvera en taule. Je l’imagine plutôt se faire tabasser à mort dans un bouge du port et se faire bouffer par les rats
Le passeur, chargé de nous mettre sur la bonne trajectoire, est reparti sur son petit zodiac, deux heures avant que le moteur du nôtre ne lâche. Ce sale type s’en est sans doute bien tiré, lui. Le destin aide trop souvent ceux qu’il devrait laisser crever.
(Page 131).
Oui, depuis combien de temps les Somaliens ont-ils attaqué notre convoi ? J’avais entendu parler à Asmara de ces trafiquants qui pouvaient attaquer dans le désert pour racketter les proches des victimes. Mais on croit toujours avoir atteint son quota de malheur, son quota de souffrances. On se dit Dieu va me donner du répit, des forces, du sursis. Puis on se demande à quel moment Dieu a enfilé les habits du diable, et ses chaussures pour nous piétiner avec ?
(Page 120).
J'ai fait de l'espoir mon fond de commerce. tant qu'il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux œufs d'or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d'en face.
L’asphyxie ne fait que commencer, et avec elle, une fois en mer, viendront la panique, les piétinements, les affrontements, la loi du plus fort, les premiers morts balancés par-dessus bord. A ce stade, la notion d’être humain aura aussi été balancée dans les tréfonds marins.
On se dit Dieu va me donner du répit, des forces, du sursis. Puis on se demande à quel moment Dieu a enfilé les habits du Diable, et ses chaussures pour nous piétiner avec?
Mais on croit toujours avoir atteint son quota de malheur, son quota de souffrances. On se dit Dieu va me donner du répit, des forces, du sursis. Puis on se demande à quel moment Dieu a enfilé les habits du diable, et ses chaussures pour nous piétiner avec ?
Zouara, Lybie, 15 octobre 2015
J’ai fait de l’espoir mon fonds de commerce. Tant qu’il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux œufs d’or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d’en face.
Le nombre d’arrivées de Khartoum et Mogadiscio la semaine dernière m’a surpris. Je n’avais pas prévu qu’ils seraient tant à résister au Sahara.
la résilience finit par capituler sous le poids des chagrins
« Mes tongs s’enfoncent dans le sable. Je les garde pour éviter de me niquer les pieds avec toutes les ordures rejetées vers la mer.
Bris de verre, seringues , canettes oxydées , groles défoncées, planches pourries aux clous rouillés , les pires » ..
« J’ai fait de l’espoir mon fonds de commerce .Tant qu’il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux œufs d’or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d’en face »
Seul l’éclat vert de ses yeux a survécu au naufrage de son corps. Mais cet éclat a la dureté d’une émeraude.
Quarante-cinq zombies luisants me fixent du même regard suppliant. J’y vois passer les ombres d’épreuves inracontables. Leurs fringues en lambeaux sont maculées de déjections. Des mouches s’y vautrent sans qu’ils en soient conscients. Ils ont lourdé leur dignité quelque part dans le Sahara. Les abominations subies n’ont pas entamé le brasier au fond de leurs pupilles, ce putain d’espoir.
Je démarre et suis l’artère principale goudronnée. Je double un pick-up transportant deux dromadaires jaune pisseux à l’air blasé. J’ai l’impression qu’ils se foutent de moi. Je klaxonne histoire de. On croise plusieurs camions militaires pointant leurs mitraillettes comme des queues rutilantes. Puis un énorme poids lourd débordant de matelas éventrés et de canapés bariolés. Sur le bas-côté un groupe de bonnes femmes en abayas noires m’évoque des cafards en déroute.
J’ai fait de l’espoir mon fonds de commerce. Tant qu’il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux œufs d’or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d’en face.
(incipit)
La résilience finit par capituler sous le poids des chagrins.