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Citations de Tchinguiz Aïtmatov (84)


J'étais un petit garçon très curieux et souvent j'importunais les gens de mes questions ; et interroger les soldats du front tournait chez moi à la passion.
Quand Danïiar avait surgi chez nous, pendant la fenaison, je me mis de mon mieux à chercher l'occasion propice pour tirer quelque chose de ce nouveau soldat du front.
Or, ce soir-là, nous étions assis après le travail, auprès d'un brasier. Nous avions mangé et nous reposions tranquillement.
- Daniké, raconte un peu la guerre avant qu'on aille se coucher ? - demandais-je.
Danïiar tout d'abord continua de se taire et eut même l'air de le prendre mal. Il regarda longuement le feu, puis leva la tête et jeta un œil sur nous.
- La guerre, tu dis ? - interrogea-t-il, et, comme répondant à sa propre pensée, il ajouta sourdement : - non ! Vaut mieux pour vous ne rien savoir de la guerre !
Puis il se détourna, saisit une brassée de mauvaises herbes séchées et, la jetant dans le brasier, se mit à souffler sur le feu sans regarder personne d'entre nous.
Danïiar n'en dit pas plus. Mais rien que de cette courte phrase prononcée il était devenu clair qu'on ne pouvait pas, tout simplement, comme ça, parler de la guerre, qu'on n'en tirerait pas un conte de fées pour s'endormir. La guerre s'était coagulée comme du sang dans le fond de ce cœur d'homme et en faire des récits n'est pas facile. J'avais honte devant moi-même. Et plus jamais je ne questionnais Danïiar sur la guerre.
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Le soir, tandis que chacun se préparait pour la nuit, je sortis de la yourte et me dirigeai vers la source. Quelque chose m'attirait là-bas, et j'avais besoin de solitude.
Le ciel n'était pas assez vaste pour contenir toutes les étoiles, aussi à l'horizon se glissaient-elles jusque sur la terre. Mais nombre d'entre elles, et peut-être même toutes celles qui étaient accrochées au-dessus de ma tête, s'inscrivaient merveilleusement dans l'eau ; elles se miraient dans la petite vasque ronde qui apparaissait à cet instant infiniment profonde. Elles se reflétaient et scintillaient à la surface de l'eau ; il semblait qu'on eût pu les puiser pour les déverser ensuite sur la rive en un éclaboussement de lumière. Là où le ruisseau serpentait, elles couraient avec lui et leurs éclats s'éparpillaient sur le fond de pierrailles. Mais là où l'onde s'était immobilisée, pensive et douce, elles étaient aussi rayonnantes qu'en plein firmament. Et je pensai alors que cette source des steppes était à l'image de l'homme au moment où son âme s'illuminait, pleine de rêves incommensurables, et qu'il lui semblait alors pouvoir contenir tout l'univers.
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La pluie s'arrêta brusquement, effacée, semblait-il par une main invisible. Et à l'instant même le ciel se déchira, étincelant comme une turquoise immense et transparente. Il semblait être le prolongement de cette merveilleuse splendeur qu'était la grande steppe, généreusement baignée par l'averse printanière. Les espaces infinis de l'Anarkhaï s'entrouvrirent encore plus largement, se firent encore plus immenses. Au-dessus de l'Arnakhai, en travers du ciel, se dessina un arc-en-ciel. Il enjamba la terre d'un bout à l'autre et s'immobilisa là-haut, en empruntant toutes les teintes douces de l'univers. Je regardais autour de moi avec ravissement. Bleu, infiniment bleu était le ciel impondérable ; l'arc-en-ciel palpitait en multiples couleurs et la steppe d'absinthe avait des teintes mouillées.
La terre séchait avec rapidité ; au-dessus, dans le firmament, tournoyait un aigle, les ailes puissantes déployées et immobiles. Et on eût dit que ce n'était ni de lui-même, ni grâce à ses ailes qu'il s'élevait ainsi, mais bien la forte haleine de la terre, ses courants chauds et ascendants qui le portaient vers ces hauteurs.
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Un petit garçon, un écolier décida de lui dire la vérité :
- Ce n'était pas ton père. Pourquoi cries-tu ? Ce n'était pas du tout ton père mais un acteur. Demande au projectionniste...
Les spectateurs rirent malgré eux. Et lui restait là, comme s'il avait été tué, et il ne riait pas. Un silence gêné s'installa de nouveau...
Et tous virent la mère se diriger vers son fils, triste et sévère, des larmes dans les yeux. Elle releva l'enfant :
- Viens, mon fils, partons. Oui, c'était ton père, dit-elle doucement et elle le conduisit hors de la bergerie.
La lune était déjà haute. Dans le lointain couleur nuit bleu sombre, on distinguait les sommets blancs des montagnes et, en bas, la steppe reposait, immense et noire, comme un gouffre.
Et seulement à cet instant, pour la première fois de sa vie, il connut le chagrin amer de la perte. Tout à coup, il fut envahi jusqu'à l'impossible par un sentiment d'injustice, de douleur et de malheur pour son père tué au combat. Il eut soudain envie d'étreindre sa mère, d'éclater en sanglots, et qu'elle pleure avec lui. Mais elle se taisait. Lui aussi restait silencieux, les poings serrés, ravalant ses larmes. Il ignorait qu'à cet instant même, son père, depuis longtemps mort à la guerre, commençait à vivre en lui.
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Djamilia était vraiment belle. Élancée, bien faite, avec des cheveux raides tombant droit, de lourdes nattes drues, elle tortillait habilement son foulard blanc, le faisant descendre sur le front un rien de biais, et cela lui allait fort bien et mettait joliment en valeur la peau bronzée de son visage lisse.
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La mer d'Aral existe depuis que la terre est terre et si elle-même vient à tarir, que dire de la vie humaine.
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Nous partons pour l'inconnu, poussés par la soif de savoir et par le rêve que l'homme a toujours caressé de découvrir dans d'autres mondes des êtres doués comme lui de raison, afin que la raison s'unisse à la raison.
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L'âme d'Édigueï avait tressailli et pris son envol en gémissant, tandis que s'ouvraient brusquement devant lui toutes les portes de l'univers, celles de la joie et de la peine, celles de l'hésitation et des désirs secrets, celle du doute...
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Érlepess jouait merveilleusement, faisant revivre sur les cordes les chagrins des gens du temps jadis ; et comme le feu qui court dans le bois sec, jaillissait et crépitait sous ses doigts la flamme des émotions et des sentiments.
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Edigueï se disait encore qu'indépendamment de l'existence ou de la non-existence de Dieu, aussi indigne que soit cette façon de faire l'homme n'y pense le plus souvent que lorsqu'il est dans le malheur. Et c'est sans doute que cela que, comme le dit le proverbe, le mécréant ne songe pas à Dieu tant qu'il n'a pas mal à la tête. Quoi qu'il en soit, il est important que chacun sache les prières.
Et se retournant sur ses jeunes compagnons qui le suivaient sur leurs machines, Edigueï avait eu le cœur sincèrement affligé à l'idée que ce n'était le cas d'aucun d'entre eux ne les connaissait. Comment feraient-ils pour s'enterrer les uns les autres ? Quels mots trouveraient-ils pour embrasser l'existence de l'origine à la mort et accompagner le défunt aux portes du néant ? "Adieu camarade, nous ne t'oublierons pas", ou quelque autre bêtise du même genre ?
Un jour, s'étant trouvé à des obsèques en ville, il avait eu la stupéfaction de constater qu'au cimetière tout se passait comme à une réunion. Des orateurs avaient pris la parole devant le cercueil pour lire des discours rédigés et pour parler tous de la même chose : de la profession du défunt, des fonctions qu'il avait occupées, de l'emploi qui avait été le sien et de la façon dont il s'en était acquitté. Puis il y avait eu de la musique et on avait couvert la tombe de fleurs. Personne n'avait jugé bon de parler de la mort comme le font les prières qui, depuis la nuit des temps, sont l'incarnation des connaissances que les hommes ont accumulées sur la vie et le néant. On aurait dit qu'il n'y avait jamais eu de mort avant celui-ci et que personne n'allait le suivre. Les malheureux, se croyaient immortels ! Et niant I'évidence, ils avaient l'air de déclarer : « Untel est entré dans l'immortalité! »...
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Dans ces contrées, les trains circulaient d'est en ouest et d'ouest en est... Dans ces contrées, de part et d'autre de la voie ferrée couraient d'immenses étendues désertiques : les steppes du Sara-Ozek et les terres jaunes du Pays Continental. Dans ces contrées, on évaluait les distances exclusivement à partir de la voie ferrée, comme à partir du méridien de Greenwich. Les trains, eux, circulaient d'est en ouest et d'ouest en est...
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Telle était la nouvelle qu'avait apprise Edigueï en franchissant le seuil de sa demeure et il en était resté comme pétrifié, écrasé par le chagrin. Jamais il n'aurait imaginé éprouver une peine aussi violente pour ce premier enfant mort si jeune et dont il n'avait même pas eu le temps de s'occuper. Ce dernier fait lui rendait d'ailleurs plus douloureuse encore la perte qu'il venait de subir et il ne pouvait chasser de son esprit le sourire clair et confiant du bébé qui n'avait pas encore une seule dent et dont le souvenir allait longtemps lui serrer le cœur.
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Encore un mot. Nous vous disons adieu. Par nos hublots, nous voyons la Terre briller dans la mer noire de I'espace telle un diamant radieux. Elle est belle, d'un bleu azur fabuleux, merveilleux et semble fragile comme la tête d'un nouveau-né. D'ici nous avons l'impression que tous les humains sont nos frères et nous n'osons imaginer notre vie sans eux; nous savons pourtant que sur Terre il est loin d'en être ainsi...
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Il faut avoir du courage pour vivre dans cette région de Sara-Ozek. La steppe est immense, et l'homme, lui, est tout petit. Elle est aussi indifférente, ça lui est bien égal que vous alliez bien ou mal et il faut la prendre telle qu'elle est. L'homme, au contraire, n'est pas indifférent à ce qui lui arrive et il se tourmente, en proie à des désirs divers. Il a l'impression qu'ailleurs, parmi d'autres gens, la chance aurait pu lui sourire et qu'il n'est ici que par quelque erreur du destin... Alors, face à la steppe immense et insensible, l'homme se décharge de son être comme les accus de la motocyclette de Chaïrmerden. Chaïrmerden ménage sa motocyclette, il ne s'en sert pas et ne la prête à personne, et son engin reste là, inutile, mais quand on a besoin il ne démarre pas, car sa force mécanique est tarie.
Tel est le destin du cheminot des gares d'évitement de Sara-Ozek: s'il ne s'attache pas à son travail, s'il ne s'enracine pas dans la steppe, il a du mal à résister. Parfois ceux qui regardent par les fenêtres des wagons se prennent la tête entre les mains et s'écrient: "Mon Dieu, comment peut-on vivre ici ? Avec pour seul voisinage la steppe et les chameaux !"
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Tu dois te souvenir que nul n'a le pouvoir t'interdire à un homme de penser,de vouloir ou de rêver.
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..mais à cette époque, je me suis conduit comme un mauvais cavalier; je n'ai pas su me maintenir en selle. La bride de ma vie m'a échappé…
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La nuit tombait vite. Les nuages voilèrent le ciel et descendirent très bas au-dessus de l'eau. Le lac devint lisse et sombre. On eût dit qu'un soudeur travaillait dans les montagnes. Il y jaillissait des étincelles aveuglantes qui s'éteignaient aussitôt. L'orage arrivait.
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Il n'y a pas d'autre solution. Je vous fais avancer sur des terres tantôt meubles tantôt dures, cela vous est pénible, mais impossible de faire pousser le blé autrement. Le vieux Tchékich dit que cela a été et sera toujours dans les siècles des siècles. Il dit que le blé, que chaque morceau de pain est inondé de sueur; seulement tout le monde ne le sait pas et n'y pense pas, quand il mange. Nous avons grand besoin de pain. Grand besoin.
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Maintenant, ils pleuraient ensemble, seuls avec le temps dans lequel ils avaient vécu et grandi.
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- L'agriculteur risque constamment, mais il espère toujours, voilà ce que dit Tynaliev.
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