Festivaletteratura 2013 - Intervista a Terry Brooks
En allant au fond des choses, ce qui comptait n'était pas tant le bon sens de sa démarche ou le futur dans lequel il choisissait d'entrer. Ce qui comptait vraiment, c'était sa décision délibérée de changer le cours de sa vie et de retrouver ainsi le goût de l'existence. Ceux qui campent sur leurs positions n'avancent plus. Et tout leur passe sous le nez.

Il tenta de parler, mais s'aperçut qu'il en était incapable. Des visages se pressaient autour de lui, fins et nets, dont les traits étaient légèrement atténués par la pénombre. C'étaient les visages qu'il avait déjà vus en arrivant à Landover. C'étaient les fées.
- Rien ne se perd si nous ne le jugeons perdu, Noble Seigneur. Croyez qu'une chose est retrouvée, et elle l'est. Les visions nées de la peur engendrent nos échecs. Les visions nées de l'espoir engendrent notre réussite.
- Le possible vit en nous, et il n'appartient qu'à nous de le découvrir. Pouvez-vous donner naissance aux rêves qui vous habitent, Noble Seigneur ?
(…)
- Vous êtes un enfant parmi les anciens, Noble Seigneur, mais un enfant prometteur. Vous avez su voir la vérité qui se cachait derrière les mensonges, et vous savez qu'elle n'appartient qu'à vous. Vous avez gagné le droit d'en découvrir davantage.
(…)
- Vous avez démasqué la peur qui vous aurait détruit, Noble Seigneur. Vous avez fait preuve de présence. Mais la peur revêt bien des costumes et prend bien des formes. Vous devez apprendre à les reconnaître. Vous devrez vous souvenir de ce qu'elles cachent lorsqu'elles seront près de vous.
Soudain, il se retrouva loin de tout ce qui avait été sa vie avant son voyage vers ces étranges contrées. Partis, les grands immeubles de bureaux, les avocats, le système judiciaire des États-Unis d'Amérique, les villes, les gouvernements, les codes, les lois. Seul restait ce qui n'existait pas : les dragons, les sorcières et les créatures de toutes sortes, les châteaux forts et les enchanteurs, les damoiselles et les mages, les sortilèges et l'enchantement. Il commençait une nouvelle vie dont toutes les règles étaient nouvelles. Il avait sauté dans le gouffre de l'inconnu et n'en avait toujours pas touché le fond.
Fillip et Sott ne semblaient pas gênés par l'illusion. C'était probablement à cause de leur vue, si basse qu'ils n'avaient rien remarqué. Parfois, l'ignorance est un avantage.

- Les couronnements sont chose si fréquente de nos jours qu'il est difficile d'assister à tous, dit-il d'un ton plein de sous-entendus.
- Je crois que leur fréquence va décliner désormais, répliqua Ben. Le mien sera le dernier avant longtemps.
- Ah, vous croyez ? reprit Kallendbor avec sarcasme. Cette décision sera peut-être difficile à appliquer.
- C'est possible, mais j'entends tenir parole. Comprenez-moi, messire Kallendbor. Je ne suis pas comme les autres, ceux qui sont venus à Landover pour repartir au premier coup de vent. Je suis ici pour régner, et je régnerai.
- Le fait d'acheter une couronne ne suffit pas à devenir roi, murmura une voix derrière Kallendbor.
- Et le fait d'être né dans une famille de barons ne suffit pas à devenir noble, repartit Ben. Ni l'achat d'un domaine, ni le mariage, ni le vol par tromperie, ni la conquête par les armes, ni aucun autre moyen ou artifice. Rien de tout cela ne fait de personne un noble ni un roi. Ce sont les lois qui fabriquent les rois et les nobles. Or vos lois, seigneurs de Vertemotte, ont fait de moi le roi de Landover.

- Oh non, encore un... soupira-t-il.
- Un quoi ? demanda Ben.
- Un de ces humains qui croient que les dragons sont des bêtes illettrées et stupides qui passent leur temps à harceler de pauvres paysans travailleurs jusqu'à ce qu'un champion vienne les pourfendre. Vous n'êtes pas de ceux-là, hein ?
- Euh... je crois que si.
- Vous lisez trop de contes de fées, Ben Holiday. Qui répand ces racontars sur les dragons ? Pas les dragons eux-mêmes, vous pouvez en être sûr. Non, ce sont les humains qui racontent ces mensonges, et ils ne vont pas se donner le rôle du méchant tandis que le dragon sera la victime, vous comprenez ? Il faut remonter à la source, comme on dit. Il est bien plus facile de mettre le dragon dans la peau du méchant, de celui qui brûle les récoltes, dévore le bétail et les paysans, capture les belles princesses et met au défi les chevaliers en armure. Tout ça, ça fait de beaux livres, mais ce n'est pas la vérité.
Le trône et les lois qu'il promulgue vous appartiennent, ainsi qu'à tous les peuples de la vallée. Vous avez perdu les deux et vous devez les reprendre avant que Landover ne tombe en miettes sous vos yeux comme une planche pourrie. Je puis accomplir cela. J'en suis capable parce que je ne viens pas de Landover, mais d'un autre monde. Je n'ai pas de préjugés pour me retenir, pas d'obligations postérieures à honorer, pas de favoris à soigner. Je peux être honnête et juste. J'ai tout abandonné pour venir, et vous pouvez donc être certains de la fermeté de mes intentions. J'ai été formé aux lois de mon pays, ce qui me permettra d'interpréter les vôtres avec équité.
(Ben essayant de se faire des alliés de certains seigneurs puissants de Landover).
À quoi pensait-il donc ? Un acheteur ? Mais personne ne voudrait jamais... Voilà pourtant qu'il se posait des questions. Lui-même y réfléchissait. Il était là, à boire son whisky en se disant qu'il n'avait pas sa place dans la société, lorsqu'il avait ouvert le catalogue et immédiatement remarqué la page concernant Landover. Lui qui s'était toujours senti étranger dans son propre monde, qui cherchait sans cesse un moyen d'échapper à ce qu'il était, il tenait enfin sa chance.
Son sourire s'élargit. Quelle bêtise ! Il en était réellement à étudier une possibilité à laquelle tout homme sain d'esprit n'accorderait pas dix secondes d'attention !
Il se mit à raisonner avec méthodes. Il n'était allé nulle part. Il était toujours au pays des fées, dans les brumes. Il ne s'était écoulé ni un, ni dix ans, c'était impossible. Les changements de temps et d'époque n'étaient que des illusions créées par ce monde étrange ou par sa réaction à cet environnement. Ce qu'il devait faire, c'était découvrir quelle en était la cause. Il devait comprendre pourquoi.
La blessure ouvre la porte à l'amertume, et l'amertume à la colère.