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Citations de Théodore de Banville (161)


Elle fit une tragédie, elle en fit deux, elle allait en faire d'autres ; nous allions la perdre à la fois cette verve, cet esprit, ces vives historiettes, ces anecdotes sorties de la meilleure veine française, tout ce qui faisait la grâce, le charme, la séduction irrésistible de cette poétesse extra-parisienne, et tout cela allait se noyer dans le vague océan des alexandrins récités par des acteurs affublés de barbes coupant la joue en deux, et tenues par des crochets qui reposent sur les oreilles.
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Théodore de Banville
Soleil

Lorsque Juin fait même sourire
Le noir cachot,
Je n’aime pas entendre dire
Qu’il fait trop chaud.

Non. Pas assez chaud. Que notre âme
Au jour vermeil
Renaisse, prenne un bain de flamme
Et de soleil!

O Zéphyr, tandis que tu bouges
Dans le ciel bleu,
Que toutes les lèvres soient rouges
Comme du feu!

Que hors du corsage, sans honte
Les jeunes seins
Tressaillent, sans rendre nul compte
De leurs desseins!

Je veux dans les apothéoses
Entendre, autour
Du jardin, les bouches des roses
Crier d’amour!

Oublions les matins livides,
Flore aux abois,
La malignité des avides
Marchands de bois,

Et voulant que l’azur nous voie
Contents, ayons
Les prunelles pleines de joie
Et de rayons!
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Théodore de Banville
Les Tourterelles

Et voy ces deux colombelles,
Qui font naturellement,
Doucement,
L’amour du bec et des ailes.
Ronsard.

Cependant qu’étrangère à la nature en fête,
Elle rêvait sans but sur sa couche défaite,
Le soleil frissonnait sur l’or et les damas ;
Le doux air de l’été, qui chasse les frimas,
Chargé de la couleur et du parfum des roses,
Entrait, et redonnait la vie à mille choses.
Le vin était de pourpre, et les cristaux de feu.
Alors, comme, en jouant, deux cygnes d’un lac bleu,
Comme deux lys jumeaux que leur beauté protège,
D’un vol silencieux, deux colombes de neige
Franchirent l’azur vaste et vinrent se poser
Sur la fenêtre ouverte, et dans un long baiser

Se becqueter sans fin en remuant les ailes.
Or, la douce beauté, voyant ces tourterelles,
(Tandis que de la mousse et des feuillages verts
S’exhalaient alentour mille parfums amers,)
Laissait, l’âme enivrée à la brise fleurie,
Dans le bleu de l’amour errer sa rêverie.
Dis-moi, que faisais-tu loin d’elle, ô bel enfant !
Tandis que sur son col et sur son dos charmant
Couraient à l’abandon ses tresses envolées,
Que faisais-tu, perdu sous les longues saulées,
Et que te disaient donc, ô timide rêveur !
Les brises de l’été si pleines de saveur ?
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Théodore de Banville
Il est un triste lac à l’eau tranquille et noire
Dont jamais le soleil ne vient broder la moire,
Et dont tous les oiseaux évitent les abords.
Un chêne vigoureux a grandi sur ses bords,
Et, courbé par le Temps jusqu’aux ondes, étale
Sur la cime des flots sa masse horizontale.
Son feuillage muet se tait malgré le vent ;
Le nymphaea, l’iris, le nénufar mouvant,
Le bleu myosotis et la pervenche sombre
Penchent étiolés, ou meurent sous cette ombre.
Ainsi, quand sur le coeur, dans sa jeune saison,
Amour ! tu fais tomber ta large frondaison
Et tes rameaux géants dont le fardeau l’accable,
Tout s’étiole et meurt sous ton ombre implacable.
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Théodore de Banville
Chapeaux

Oh! sur le divin boulevard,
Qui de l’univers est la moelle
Et qu’aime le Journal bavard
Que de chapeaux tuyau de poêle!

Devant le soleil, ce doreur,
Sombres comme des Érinnyes,
Ils resplendissent pleins d’horreur,
Ainsi que des bottes vernies.

Fourmillement de noirs tuyaux!
Ils s’en vont jusqu’en Amérique,
On dirait les affreux boyaux
De quelque bête chimérique.

Bien que pour se faire admirer
Ils n’aient aucune fanfreluche,
Un blanc rayon vient se mirer
Dans leurs cylindres en peluche.

En leur pêle-mêle confus,
Ces indécentes colonnades
Par leurs abominables fûts
Déshonorent nos promenades.

Mais quoi! séjour essentiel,
Où sont venus même les Kurdes,
Paris est charmant comme un ciel,
En dépit des chapeaux absurdes.

Là, — produit qui n’est pas trop cher
Quand on connaît le prix des choses, –
Les amantes ont une chair
Liliale, et des bouches roses.

Que de neige en fleur! que de lys!
Et quant aux spectacles féeriques,
Ils sont confiés, chez Salis,
A de bons poëtes lyriques.

Marteler, ciseler, forger
Dans une braise qui s’allume,
Ne jamais se décourager,
Torturer le fer sur l’enclume;

Et dans les clairs métaux sertir
Le diamant et l’améthyste,
Voilà dans la moderne Tyr,
Le sort glorieux de l’artiste.

Puis, comme Ruy Blas, pour garder
En sa mémoire des richesses,
Il se délecte à regarder
Entrer et sortir les duchesses.

Tel est son droit et son devoir!
Et leurs grâces, d’où naît la joie,
Le consolent très bien d’avoir
Contemplé des chapeaux de soie.

Enfin, un jour, vient le printemps,
Paris qui s’attife et respire,
Est plein d’esprits dans l’air flottants,
Comme la forêt de Shakspere.

Les vents mystérieux et doux
Ont éparpillé leurs crinières,
Et nous mettons des chapeaux mous,
Pour aller découvrir Asnières.

Courir comme la nymphe Io
Nous réjouit. Le flot se moire.
Chapeau luisant, chapeau tuyau,
Nous te reléguons dans l’armoire.

Et dans nos arbres pleins de fleurs,
Sous le soleil et les averses,
Les oiseaux chanteurs et siffleurs
Murmurent des choses diverses.

4 février 1890.
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Théodore de Banville
La Voyageuse

« Masques et visages… »
Gavarni.

À Caroline Letessier.

I

Au temps des pastels de Latour,
Quand l’enfant-dieu régnait au monde
Par la grâce de Pompadour,
Au temps des beautés sans seconde ;

Au temps féerique où, sans mouchoir,
Sur les lys que Lancret dessine
Le collier de taffetas noir
Lutte avec la mouche assassine ;

Au temps où la Nymphe du vin
Sourit sous la peau de panthère,
Au temps où Wateau le divin
Frète sa barque pour Cythère ;

En ce temps fait pour les jupons,
Les plumes, les rubans, les ganses,
Les falbalas et les pompons ;
En ce beau temps des élégances,

Enfant blanche comme le lait,
Beauté mignarde, fleur exquise,
Vous aviez tout ce qu’il fallait
Pour être danseuse ou marquise.

Ces bras purs et ce petit corps,
Noyés dans un frou-frou d’étoffes,
Eussent damné par leurs accords
Les abbés et les philosophes.

Vous eussiez aimé ces bichons
Noirs et feu, de race irlandaise,
Que l’on porte dans les manchons
Et que l’on peigne et que l’on baise.

La neige au sein, la rose aux doigts,
Boucher vous eût peinte en Diane
Montrant sa cuisse au fond du bois
Et pliant comme une liane,

Et Clodion eût fait de vous
Une provocante faunesse
Laissant mûrir au soleil roux
Les fruits pourprés de sa jeunesse !

Car sur les lèvres vous avez
La malicieuse ambroisie
De tous ces paradis rêvés
Au siècle de la fantaisie,

Et, nonchalante Dalila,
Vous plaisez par la morbidesse
D’une nymphe de ce temps-là,
Moitié nonne et moitié déesse.

Vos cheveux aux bandeaux ondés
Récitent de leur onde noire
Des madrigaux dévergondés
A votre visage d’ivoire,

Et, ravis de ce front si beau,
Comme de vertes demoiselles,
Tous les enfants porte-flambeau
Vous suivent en battant des ailes.

Tous ces petits culs-nus d’Amours,
Groupés sur vos pas, Caroline,
Ont soin d’embellir vos atours
Et d’enfler votre crinoline,

Et l’essaim des Jeux et des Ris,
Doux vol qui folâtre et se joue,
Niche sous la poudre de riz
Dans les roses de votre joue.

Vos sourcils touffus, noirs, épais,
Ont des courbes délicieuses
Qui nous font songer à la paix
Sous les forêts silencieuses,

Et les écharpes de vos cils
Semblent avoir volé leurs franges
A la terre des alguazils,
Des manolas et des oranges.

II

Au fait, vous avez donc été,
Loin de nos boulevards moroses,
Pendant tout ce dernier été,
Sous les buissons de lauriers-roses ?

Le fier soleil du Portugal
Vous tendait sa lèvre obstinée
Et faisait son meilleur régal
Avec votre peau satinée.

Mais vous, tordant sur l’éventail
Vos petits doigts aux blancheurs mates
Vous découpiez Scribe en détail
Pour les rois et les diplomates ;

Et, digne d’un art sans rivaux,
Pour charmer les chancelleries,
Vous avez traduit Marivaux
En mignonnes espiègleries.

C’est au mieux ! L’astre des cieux clairs
Qui fait grandir le sycomore
Vous a donné des jolis airs
De Bohémienne et de More.

Vous avez pris, toujours riant,
Dans cet éternel jeu de barres,
La volupté de l’Orient
Et le goût des bijoux barbares,

Et vous rapportez à Paris,
Ville de toutes les décences,
Les molles grâces des houris
Ivres de parfums et d’essences.

C’est bien encor ! même à Turin
Menez Clairville, puisqu’on daigne
Nous demander un tambourin
Là-bas, chez le roi de Sardaigne.

Mais pourtant ne nous laissez pas
Nous consumer dans les attentes !
Arrêtez une fois vos pas
Chez nous, et plantez-y vos tentes.

Tout franc, pourquoi mettre aux abois
Cet Éden, où le lion dîne
Chaque jour de la biche au bois
Et soupe de la musardine ?

Valets de cœur et de carreau
Et boyards aux fourrures d’ourses,
Loin de vous, sachez-le, Caro,
Tout s’ennuie, au bal comme aux courses.

Vous nous disputez les rayons
Avec des haines enfantines,
Et jamais plus nous ne voyons
Que les talons de vos bottines.

Songez-y ! Vous cherchez pourquoi
Ma muse, qui n’est pas méchante,
M’ordonne de me tenir coi
Et ne veut plus que je vous chante ?

C’est que vos regards inhumains
Ont partout des intelligences,
Et tout le long des grands chemins
Vont arrêter les diligences.
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Théodore de Banville
À Théophile Gautier

Quand sa chasse est finie,
Le poëte oiseleur
Manie
L’outil du ciseleur.

Car il faut qu’il meurtrisse,
Pour y graver son pur
Caprice,
Un métal au cœur dur.

Pas de travail commode !
Tu prétends, comme moi,
Que l’Ode
Garde sa vieille loi,

Et que, brillant et ferme,
Le beau rhythme d’airain
Enferme
L’idée au front serein.

Car toi qui, fou d’extase,
Mènes par les grands cieux
Pégase,
Le cheval aux beaux yeux ;

Toi qui sur une grève
Sais prendre en ton réseau
Le Rêve,
Comme un farouche oiseau ;

Maître, qui nous enseignes
L’amour du vert laurier,
Tu daignes
Être un bon ouvrier.
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Théodore de Banville
Arsène

Où sait-on mieux s’égarer deux, parmi
Les myrtes verts, qu’aux rives de la Seine ?
Séduit un jour par l’Enfant ennemi,
Arsène, hélas ! pour lui quitta la saine
Littérature, et l’art en a gémi.

Trop attiré par les jeux de la scène,
Il soupira pour les yeux de Climène,
Comme un Tircis en veste de Lami-
Housset.

Oh ! que de fois, œil morne et front blêmi,
Il cherche, auprès de la claire fontaine,
Sous quels buissons Amour s’est endormi !
Houlette en main, souriante à demi,
Plus d’une encor fait voir au blond Arsène
Où c’est.
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Théodore de Banville
Désarmer? Oui, ce bruit-là court,
Je sais qu’on a conté ce conte.
Églé, qui doit l’arrêter court?
Vous, dont il faut bien tenir compte.

On parle de désarmement!
Sans nulles paroles railleuses,
On rangerait, pour le moment,
Les canons et les mitrailleuses.

Ainsi, tout sera bien réglé
Pour tranquilliser les empires.
C’est bon. Mais cependant, Églé,
Que ferez-vous de vos sourires?

Car, Déesse, vos fiers appas
Et vos beautés et tous vos charmes,
Ainsi qu’on ne l’ignore pas,
Sont les plus redoutables armes.

Jeune guerrière aux sombres yeux,
Que ferez-vous de l’arc farouche
De vos sourcils mystérieux
Et des braises de votre bouche?

O vous dont on craint l’oeil subtil
Et qui triomphez dans les villes,
Dites-le-nous, en sera-t-il
De vous comme des vaudevilles,

Et verra-t-on les fiers accords
Que la grâce des attitudes
Fait saillir sur votre beau corps,
Remplacés par des platitudes?

Celle qui vit à ses genoux
Le jeune Adonis comme Anchise,
Avait bien moins d’armes que vous;
Et, je le dis avec franchise,

Charmeresse, Eve ou Dalila,
Dût l’Europe en être alarmée,
Tant que vous aurez ces yeux-là,
Je ne vous vois pas désarmée.
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Théodore de Banville
Ballade pour une Guerrière de marbre

Toi qu’au beau temps appelé Renaissance
Un statuaire, habile ciseleur,
En ce château fit par réminiscence
Des anciens Grecs, vierge à la lèvre en fleur,
Vois le soleil qui baise ta pâleur.
Puisque son oeil amoureux te festoie,
Que devant lui ta chevelure ondoie!
Montre ton corps superbe au fier dessin,
Et, sous le vent caressant qui tournoie,
Souris, Guerrière, et fais voir ton beau sein.

Ah! la splendeur de ton adolescence
Et ton regard terrible et cajoleur
Éveilleront par leur seule puissance
Le geai folâtre et le merle siffleur
Et tout le gai renouveau querelleur.
Car, pour revivre, il suffit qu’on te voie!
Dans le feuillage adouci qui verdoie
Et de qui l’ombre emplit le clair bassin,
Que ta blancheur sous les rayons chatoie!
Souris, Guerrière, et fais voir ton beau sein.

Fais resplendir en leur magnificence,
Pour cet Avril ruisselant de chaleur,
Tes charmes nus, dont la sainte innocence
Fait oublier le crime et la douleur.
Malgré le doux printemps ensorceleur,
Notre âge affreux sous la tristesse ploie;
Cette Euménide a fait de lui sa proie,
Il est malade, il veut un médecin.
Ah! pour guérir le mal qui le foudroie,
Souris, Guerrière, et fais voir ton beau sein.

Reine, prodigue à l’astre qui flamboie
Ce sein aigu qui brilla devant Troie!
Quoi qu’en ait dit notre siècle malsain,
Rien ici-bas n’est divin, que la joie:
Souris, Guerrière, et fais voir ton beau sein.
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Théodore de Banville
La Chimère

Monstre Inspiration, dédaigneuse Chimère,
Je te tiens ! Folle ! En vain, tordant ta lèvre amère,
Et demi-souriante et pleine de courroux,
Tu déchires ma main dans tes beaux cheveux roux.
Non, tu ne fuiras pas. Tu peux battre des ailes ;
Tout ivre que je suis du feu de tes prunelles
Et du rose divin de ta chair, je te tiens,
Et mes yeux de faucon sont cloués sur les tiens !
C’est l’or de mes sourcils que leur azur reflète.
Lionne, je te dompte avec un bras d’athlète ;
Oiseau, je t’ai surpris dans ton vol effaré,
Je t’arrache à l’éther ! Femme, je te dirai
Des mots voluptueux et sonores, et même,
Sans plus m’inquiéter du seul ange qui m’aime,
Je saurai, pour ravir avec de longs effrois
Tes limpides regards céruléens, plus froids
Que le fer de la dague et de la pertuisane,
Te mordre en te baisant, comme une courtisane.
Que pleures-tu ? Le ciel immense, ton pays ?
Tes étoiles ? Mais non, je t’adore, obéis.
Vite, allons, couche-toi, sauvage, plus de guerres.
Reste là ! Tu vois bien que je ne tremble guères
De laisser ma raison dans le réseau vermeil
De tes tresses en feu de flamme et de soleil,
Et que ma fière main sur ta croupe se plante,
Et que je n’ai pas peur de ta griffe sanglante !
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Théodore de Banville
Viens. Sur tes cheveux noirs jette un chapeau de paille.
Avant l’heure du bruit, l’heure où chacun travaille,
Allons voir le matin se lever sur les monts
Et cueillir par les prés les fleurs que nous aimons.
Sur les bords de la source aux moires assouplies,
Les nénufars dorés penchent des fleurs pâlies,
Il reste dans les champs et dans les grands vergers
Comme un écho lointain des chansons des bergers,
Et, secouant pour nous leurs ailes odorantes,
Les brises du matin, comme des soeurs errantes,
Jettent déjà vers toi, tandis que tu souris,
L’odeur du pêcher rose et des pommiers fleuris.
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Théodore de Banville
Félix Pyat, à propos de Jules Janin, célèbre critique littéraire en son temps :

« On le voit, il n'est, pas un parti que cet écrivain n'ait servi et lâché tour à tour, pas une cocarde dont ce caméléon n'ait réfléchi la couleur, pas une idée dont il n'ait écrit du bien et du mal, pas. un homme qu'il n'ait léché et mordu, pas un dieu qu'il n'ait adoré et maudit.
Raconter toutes les défections, tous les revirements de sentiment et de pensée, d'opinion et d'affection de ce type des renégats serait le treizième travail d'Hercule ; ce serait l'Illiade de la mobilité, l'épopée de la trahison.

Cet homme, il faut en faire justice enfin, il faut dire une fois ce que tout le monde en pense, est le représentant, l'idéal, la honte même de cette école honteuse qui a surgi du bas de la presse de la restauration, comme la vase monte du fond des lacs pendant le mauvais temps ; c'est l'expression la plus complète de cette littérature sceptique et pourrie, hostile à tout et prostituée à tous, sans coeur ni âme, hargneuse et lâche, égoïste et avide, qui n'a d'autre but, d’autre voeu, d'autre foi que l’argent ; oui, c'est le chef de ces enfants perdus de la pensée, de ces « bravi » de la presse, âpres au gain, insatiables lucre, qui, s'escriment au jour le jour, au profit de qui les paie, comme ces routiers mercenaires qui s'engageaient et se battaient au service de leur solde, n'avaient pour patrie que le salaire, pour honneur que la bourse et pour drapeau que l’argent »

Journal le Siècle, 24 août 1845, p.3 :
« M. Félix Pyat, condamné à six mois de prison pour un article insérée dans la Réforme, s’est constitué prisonnier hier. »

Soutien de Banville, vers inédits, publiés dans le Journal Le Charivari, 17 septembre 1845 :

Donc vous voilà privé de l’haleine des roses,
Ami, vous voilà donc, sans vous en affliger,
Gardé par ces verroux et ces grilles moroses
Qu’illustrent déjà Courrier et Béranger.

On vous a pris les bois, les doux cireux, les retraites,
Le murmure étouffé du vent sur le roseau
Et la source dont l’eau, sous les mousses discrètes,
Parle avec le rêveur et chante avec l’oiseau.

Poète, on vous a pris le sentier qu’on oublie,
La fleur qui se cachait dans le creux du ravin,
Tout ce jardin de joie et de mélancolie
Qu’ensemence pour nous le jardinier divin.

On vous a pris, ami, la sereine nature ;
Mais dans votre pensée un jardin plus charmant
Avec un vent plus doux ridant l’onde plus pure,
Jette sa rêverie et son rayonnement.

Là, dans le gazon vert où luit le scarabée,
Sous l’ombrage qu’arrose un soleil radieux,
Tityre demi-nu cause avec Mélibée
De ce loisir qu’il aime et que lui font les dieux.

Galatée en rêvant s’enfonce dans les saules.
Au lever de l’Aurore et les pieds dans ses pleurs,
Entrelaçant leurs bras sur leurs blanches épaules,
Les Grâces sans ceinture ont des liens de fleurs.

Et dans ce groupe, ami, votre Muse enchantée
Devant elle, à ses pieds gardant comme un trésor
Le fouet à la lanière encore ensanglantée
Caresse avec douceur la lyre aux cordes d’or.

Réponse de Félix Pyat ; Le Charivari 22 septembre 1845 :

"Nous recevons la lettre suivante :
« Monsieur le rédacteur,
Je ne vous ai pas remercié plus tôt des vers de M. De Banville, parce que votre journal, comme tout autre, m’est interdit dans ma prison. Je dois à la mémoire amie d’un visiteur d’avoir pu les connaître aujourd’hui. Seulement j’ai été, je l’avoue, aussi heureux de les entendre que si j’en avais été digne.
On ne mérite pas tant pour avoir fait tout bonnement son devoir. Et ce n’est pas assez de quelques mois de prison pour inspirer de si nobles choses.
Au reste, serrez bien de ma part les deux mains du poète, et dites-lui combien je regrette de ne pouvoir lui répondre avec cette lyre aux cordes d’or qu’il prête, qu’il peut prêter aux autres… Je ne puis, hélas ! Que lui rendre grâce en vile prose de ses beaux et bons vers, mais c’est de tout coeur.
Félix Pyat. » "
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BAUDELAIRE.
Si jamais le mot séduction peu être appliqué à un être humain, ce fut bien à lui, car il avait la noblesse, la fierté, l’élégance, la beauté à la fois enfantine et virile, l’enchantement d’une voix rhythmique, bien timbrée, et la plus persuasive éloquence, due à un profonde rassemblement de son être ; ses yeux, débordants de vie et de pensée, parlaient en même temps que ses épaisses et fines lèvres de pourpre, et je ne sais quel frisson intelligent courait dans longue, épaisse et soyeuse chevelure noire.

En l’apercevant, je vis ce que je n’avais vu jamais, un homme tel que je me figurais que l’homme doit être, dans la gloire héroïque de son printemps, et en l’entendant me parler avec la plus affectueuse bienveillance, je sentis cette commotion que nous communique l’approche et la présence du génie.
Puis, à mesure que s’écoulait son discours net et rapide, et d’un vrai Parisien, il me semblait que des voiles étaient tombés de dessus mes yeux, que s’ouvrait devant moi tout un monde infini de rêves, d’images, d’idées, de vastes paysages, et je ne pouvais me lasser de contempler les traits de ce poète, si hardis, si caractérisés, si fermes, bien que leur fauve pâleur laissât voir encore les roses de l’adolescence et qu’ils fussent à peine estompés par le noir duvet d’une barbe naissante.

Il n’est pas étonnant que Baudelaire ait paru bizarre aux niais désœuvrés et aux diseurs de rien ; pour eux, en effet, il devait être tout ce qu’il y a de plus bizarre, car il ne disait rien qui ne fût le contraire d’un lieu commun, et il avait nativement, il tenait de sa mère infiniment distinguée et d’une nature exquise, ces belles façons abolies, cette politesse, à la fois raffinée et simple, qui déjà en 1842 pouvait troubler certains bourgeois et leur faire l’effet d’un anachronisme.

Il possédait une érudition immense, savait tout ce que les livres enseignent, et n’aurait même pas eu l’idée de faire étalage de sa science ; mais on sentait que sur toute chose il était renseigné et ne parlait jamais à vide. Enfin, comme le raconte Gautier, ayant déjà vu les mers de l’Inde, Ceylan, la presqu’île du Gange, il avait gardé dans ses prunelles vibrantes le ressouvenir de la vive lumière et la claire immense des horizons (…)

Si Baudelaire a étonné les sots, il a étonné bien plus encore les gens d’esprit, en laissant le livre immortel où la douleur et l’amour, comme de pénétrantes essences, exhalant leurs enivrants parfums, et ces vers dont les notes attendries et désolées font vibrer tout l’être humain dans une commotion de volupté et d’épouvante.

Son oeuvre, comme la vie elle-même, est souillée par des taches de sang ; mais leurs effrayantes pourpre est jetée sur une riche étoffe chatoyante, dont les capricieuses broderies, étincelantes de mille feux caressants, font songer au flamboiement et au resplendissement des astres célestes.
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Théodore de Banville
Massacre

Elle n’a pas treize ans; fillette à peine éclose,
Sa bouche en fleur a l’air d’une petite rose.
Avec un doux ruban d’azur autour du cou,
Elle va devant elle et sans savoir jusqu’où.
Affamée elle mange et dévore des pommes
Avec ses dents de nacre, et regarde les hommes
D’un air effronté, mais cependant ingénu.
Elle se réjouit de montrer son bras nu
En lorgnant au bazar quelque bijou de cuivre.
Si parfois un passant fait mine de la suivre
Et semble affriandé par ses minces appas,
Vite elle fait la dame et ralentit son pas.
On voit je ne sais quel mystérieux délire
Et quel affolement dans son vague sourire;
Et pourtant, malgré son manège triomphant,
Elle a bien l’ignorance auguste de l’enfant
Dans ses yeux pleins de grâce et de mélancolie.
Oh! quel deuil, la naïve innocence avilie!
Chantonnant son refrain comme un oiseau bavard,
Elle va sans repos le long du boulevart,
Traînant son corps fragile et son âme tuée,
Pauvre petite, hélas! déjà prostituée.

Mercredi, 12 janvier 1887.
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Théodore de Banville
La Danseuse

Salomé, déjà près d’accomplir son dessein,
Sous ses riches paillons et ses robes fleuries
Songeait, l’oeil enchanté par les orfèvreries
Du riant coutelas vermeil et du bassin.

Sa chevelure éparse et tombant sur son sein,
La Danseuse au front brun, parmi ses rêveries,
Regardait le soleil mettre des pierreries
Dans les caprices d’or au fantasque dessin,

Mêlant la chrysoprase et son fauve incendie
Au saphir, où le ciel azuré s’irradie,
Et le sang des rubis aux pleurs du diamant,

Comme c’est votre joie, ô fragiles poupées!
Car vous avez toujours aimé naïvement
Les joujoux flamboyants et les têtes coupées.
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Le grand poète Edgar Poe l'a dit : l'homme ne mourrait jamais s'il n'y consentait pas, et s'il ne cédait volontairement aux Anges de la mort.

Ce qui est vrai de la mort l'est aussi du malheur ; s'il triomphe de nous et nous terrasse, c'est seulement parce que nous faiblissons, et que nous cessons de résister avec assez de confiance et d'ardeur.

Rien ne fut plus beau que la Convention décrétant audacieusement la victoire ; on pourrait aussi décréter le bonheur, et il faudrait bien qu'il obéît ; car la volonté de l'homme est une divinité et mille divinités, dont la puissance n'a pas de bornes.
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Théodore de Banville
L’ALIMENTATION.
- « C’est bien moi, messieurs, » dit Lucrèce Borgia, entrant, comme un démon, au tragique souper de Ferrare.
- Et elle ajoute : « je viens vous annoncer une nouvelle, c’est que vous êtes tous empoisonnés, messeigneurs ! »

— Ainsi pourrait parler la Locuste invisible et présente qui préside aux destinés de l’alimentation parisienne.

Les parisiens ne se sont pas trop rebiffés ; ils n’ont que médiocrement lutté pour la vie ; ils se sont résignés à être empoisonnés, comme le homard se laisse couper en morceaux et comme l’anguille se résigne à être écorchée vive.
Et, pareils à des moutons qui, avec une épouvante douceur, se hâtent vers l’abattoir, ils se sont dits avec un vague soupir : puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement, mangeons des choses immondes !

Ainsi, dans la Ville-Lumière qui, hélas ! Est en même temps une Ville-Fange, tout le monde a pris son parti de la condamnation prononcée.

(Extrait de la préface de "l'hygiène de l'estomac")
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La Nature nous dit : Poètes,
À vous mes ruisseaux et mes prés,
À vous mon ciel bleu sur vos têtes,
À vous mes jardins diaprés !

À vous mes suaves murmures
Et mes riches illusions,
Mes épis, mes vendanges mûres
Et mes couronnes de rayons !

L’Art nous dit : À vous mes richesses,
Mes symboles, mes libertés,
Mes bijoux faits pour les duchesses,
Mes cratères aux flancs sculptés !
À vous mes étoffes de soie,
À vous mon luxe armorial
Et ma lumière qui flamboie
Comme un palais impérial !

À vous mes splendides trophées,
Mes Ovides, mes Camoëns,
Mes Glucks, mes Mozarts, mes Orphées,
Mes Cimarosas, mes Rubens !

Eh bien ! oui, l’Art et la Nature
Ont dit vrai tous les deux. À nous
La source murmurante et pure
Qui me voit baiser tes genoux !

À nous les étoffes soyeuses,
À nous tout l’azur du blason,
À nous les coupes glorieuses
Où l’on sent mourir la raison ;

À nous les horizons sans voiles,
À nous l’éclat bruyant du jour,
À nous les nuits pleines d’étoiles,
À nous les nuits pleines d’amour !

À nous le zéphyr dans la plaine,
À nous la brise sur les monts
Et tout ce dont la vie est pleine,
Et les cieux, puisque nous aimons !
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Richard Wagner, et c’est là l’autre côté de sa révolution, n’admet pas ou plutôt ne comprend pas que la Poésie et la Musique, ces deux soeurs, qui sont les deux moitiés ou mieux les deux aspects du même art, aient pu vivre si longtemps comme deux soeurs ennemies, se dédaignant, se méprisant, l’une l’autre, et unies, comme deux forçats, par une lourde chaîne impatiemment supportée.

Pour lui, qui dit Poésie dit Musique, car le rythme du vers crée le rythme de la mélodie, et quand la musique parle seule, c’est pour peindre l’au-delà, l’inexprimé, ce que la parole humaine, même rythmée, est inhabile à traduire, car l’ineffable privilège de la musique, c’est de dire ce qui ne peut être dit, les choses qui dépassent notre esprit et que comprend directement notre âme.
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