Thérèse Delpech

L'humanité n'apprend pas grand chose des évènements qui n'ont pas eu lieu. Elle a besoin de commettre des erreurs, et même parfois de vivre des catastrophes, car ce sont elles qui la contraignent à emprunter de nouvelles voies.

Quand le bien atteint son point de perfection, il commence à tourner au mal; quand le mal est complet, il s'élève vers le bien.

Au siècle du mensonge, il arrive que la vérité relève la tête.

La régression politique, culturelle et morale fait désormais partie de notre horizon politique; la déshumanisation dont nous sommes les héritiers est une menace pour notre survie ; la mémoire des crimes est une condition de la sécurité internationale.

Dans un monde sans direction, qui va à vau-l'eau et travaille dans le vide, la liberté humaine n'a peut-être pas grand sens.

Il vient un moment où la faiblesse de l'intelligence et de la volonté ne permet plus de saisir non seulement les responsabilités que l'on a dans les affaires du monde, mais encore ses propres intérêts de sécurité.

L'humanité n'apprend pas grand-chose des événements qui n'ont pas eu lieu. Elle a besoin de commettre des erreurs, et même parfois de vivre des catastrophes, car ce sont eux qui la contraignent à emprunter de nouvelles voies.

L'échange nucléaire ne s'étant pas produit, la notion de survie a perdu beaucoup de sa force et de son urgence. La nécessité absolue de maîtriser la violence entre les Etats a reculé dans les esprits.

Les Etats-Unis ont une politique qui ressemble à celle de l'Europe dans le passé - intervenir dans les affaires du monde pour le façonner - et l'Europe à celle de l'Amérique autrefois - rester chez soi pour développer un modèle. Chacun est ainsi irrité par l'image de soi que l'autre lui présente. Les deux interlocuteurs auraient besoin l'un de l'autre pour faire face aux défis du siècle, et le monde aurait besoin de leur contribution commune.

A cause de la stabilité, maître mot de la diplomatie de la guerre froide, les pays qui attendaient de l'aide derrière le rideau de fer ont dû se contenter de l'indifférence. L'Occident a préféré l'injustice au désordre.

M. Rees rappelle enfin que dans la course aux armements, la défense ne parvient pas toujours à soutenir le rythme. Le plus souvent même, ce sont les moyens d'attaque qui ont l'avantage. Pour ses scénarios pessimistes, on l'a surnommé le prophète de l'Apocalypse. Ce qui frappe pourtant, c'est la rigueur de sa présentation et le flegme tout britannique de ce savant qui se contente d'exposer ses pensées avec l'expérience scientifique dont il dispose. Heureusement, pourra-t-on rétorquer, l'histoire ne suit pas souvent des schémas rigoureux : la chance y joue une grande part.

Le mépris du passé condamne à la répétition et porte en lui les germes de l'intolérance et du despotisme.

Certes, la mémoire ne suffit pas à prendre les décisions qui s'imposent: comme le prétend un proverbe chinois, l'expérience est une lanterne que l'on porte dans le dos. Mais elle impose l'épreuve de la réalité et permet de lutter contre les fictions qui peuplent l'imaginaire politique et stratégique. Elle rappelle notamment que la paix et la liberté sont des acquis fragiles, dont on ne peut jamais garantir la permanence. Il est sans doute absurde de chercher à conjurer le retour des mêmes événements, car au sens strict l'histoire ne se répète pas, mais tenter d'éviter le retour de tempêtes de même ampleur est un objectif raisonnable.

A force de vouloir être leurrés, on finit en effet par l'être et le goût pour le virtuel, qui a des ressemblances inquiétantes avec la schizophrénie, risque de provoquer à terme une altération profonde du sens de la réalité qui interdira toute compréhension des forces en présence dans le monde.

On continue à bâtir la muraille de Chine dont l'empereur a disparu. On continue à produire des lois en l'absence de législateur. Les substituts qui ont poussé sur ce terreau sont vite apparus plus destructeurs pour l'humanité et la civilisation que ne l'avaient été les religions. Celles-ci étaient du moins retenues par l'idée d'un pouvoir supérieur, de la corruption de l'humanité et des limites de la raison humaine.

Le pouvoir de l'homme augmente de façon considérable, tandis que les finalités de l'action sont de plus en plus confuses et que l'équilibre psychique est constamment menacé par de trop nombreuses sollicitations.

On peut craindre, à la lumière de l'expérience récente, que ces révolutions n'appartiennent au type des «révolutions désordonnées, furieuses, impuissantes, qui détruisent tout sans rien produire », dont parle aussi Balzac dans ses romans.

La puissance, surtout quand elle se présente sous une forme aussi impressionnante que la puissance américaine, produit toujours les effets décrits dans La Comédie humaine, qu'il s'agisse d'une société particulière ou de l'ensemble du globe : envie, compétition, ressentiment.

Comme dans une tragédie grecque, le crime a engendré le crime dans la maison Europe et celle-ci a par deux fois incendié le reste du monde. Des leçons de prudence en ont été tirées pour la réconciliation des nations européennes. Mais ce qui se joue à présent, c'est la capacité de l'Europe à assumer des responsabilités internationales dans un monde profondément troublé.

Le temps ne manque jamais d'imagination.