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Citations de Thierry Berlanda (150)


Le brouillard s’était répandu sur la ville haute et y étouffait chaque chose. Si l’on étendait le bras, on ne voyait plus sa propre main.
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Il lui sourit.
– Allons déjà à l’endroit où votre enfant a disparu.
La bienveillante fermeté de Fondari lui entrouvrit le cœur. Un peu apaisée, elle l’écoutait sans méfiance malgré le rugueux accent qui bosselait ses mots. Il lui parlait comme aux animaux pour les apprivoiser, et bientôt la paysanne le fut à peu près.
– Je veux bien.
– Je connais les loups. Nombreux ceux qui rôdent mais moins ceux qui tuent, et je n’en connais pas qui emportent leur proie. Allons, votre fille est peut-être encore bien en vie, à vous appeler. Et si elle ne l’est plus, je jure que les fauves ne pourront pas se repaître d’elle. Venez, ne tardons pas !
Elle protesta faiblement.
– Mais c’est que je les ai vus, les loups.
– Pas tant que moi.
Fondari lui sourit de nouveau, avec bonté, puis l’entraîna à l’extérieur.
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Fondari, lui, avait souvent croisé de pires bêtes sauvages qu’une femme bouleversée ; il n’éprouvait donc en sa présence ni répugnance ni embarras.
– Je vais vous la retrouver, votre petite.
Sa voix bien timbrée enveloppa aussitôt la désespérée dans une sorte de rêve où sa colère tomba.
– La r’trouver ?
Il chercha à saisir son regard. Lorsqu’elle comprit ce qu’il voulait, d’abord elle rechigna, comme si elle avait dû se montrer nue en plein carillon. Mais comme il ne renonçait pas à attendre qu’elle lève les yeux sur lui, elle finit par y consentir. Depuis quand quelqu’un l’avait-il regardée dans le fond de l’âme ? L’avait-on jamais fait ?
– Mais pour la r’trouver, faudrait aller au-delà du monde !
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– Calmez-vous, je vous en prie.
Elle se rebella en agitant les bras.
– Me calmer ? J’aurai plus jamais d’calme ni d’joie ! Ma gamine ! Ma gamine !
La salle était envahie par un sentiment de gêne, et aussi par une sorte de crainte sacrée. « Le mal s’est abattu sur elle, pensaient confusément les mangeurs. Comme il a eu sa part, il nous laissera tranquilles. » Mais pour que la partie reste égale, il fallait surtout ne pas lui contester son tribut : l’enfant était perdue, sans doute déjà croquée, il n’y avait plus rien à y redire. Sa mère qui braillait ne suscitait donc aucune pitié, mais une désapprobation générale.
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Autour, les pécores à la trogne violette tressaillirent. Le souvenir des ravages causés par les loups l’hiver dernier jusqu’aux abords des maisons était encore vif.
– Sortis de l’enfer ! Ils ont emmené ma p’tite ! Oh, ma p’tite dans les flammes !
Elle suffoquait de terreur et, reculant vers la porte comme si elle ne voyait plus que loups affamés autour d’elle, elle trébucha contre Fondari.
Cette fois-ci, il avait eu le temps de prévoir le choc. Il saisit la femme aux épaules pour la retenir de tomber.
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De la jeune femme qui surgit avec eux dans l’encadrement de bois branlant, on ne pouvait rien dire au premier abord sinon qu’elle semblait épouvantée. Elle pénétra vivement dans l’auberge, bouscula l’étranger au passage sans paraître le remarquer et se planta entre les tables, les yeux sur le point de se jeter hors de leurs orbites comme deux désespérés près de se défenestrer. Entre les silences causés par l’afflux de mots dans sa bouche, et qui se gênaient pour en sortir, deux seulement surgissaient par intermittence :
– C’est ma gamine ! Ma gamine ! Ma gamine !
L’aubergiste la héla depuis son fourneau.
– Et quoi donc qu’elle a, c’te gamine ?
La femme s’avança en titubant et se tordant les mains.
– Des loups ! Des loups l’ont prise ! Ah, quelle misère ! C’en étaient ! C’en étaient !
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Fondari rassembla son courage pour se lever, les paupières déjà lourdes. Les conversations cessèrent comme à son arrivée lorsque sa haute silhouette traversa de nouveau la taverne, tel un spectre parmi une assemblée figée par un enchantement. Ce silence ne lui déplut pas. Il le goûtait plutôt, présage d’un bon sommeil dont il se réjouissait déjà. Mais alors qu’il s’apprêtait à sortir, à la seconde même où il en soulevait la clenche, la porte s’ouvrit brusquement et tous les démons de l’hiver se jetèrent aussitôt sur lui.
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À la fin de son repas, il étendit les jambes, yeux mi-clos, bercé par le bourdonnement de la salle devenue indifférente à lui, mais il ne put se laisser gagner par le sommeil car il sentait dans son dos comme les deux crochets d’un reptile, suspicion et fruste attirance, jaillis ensemble du regard de la virago.
Il se retourna vivement vers elle afin d’interrompre les prémices de son sortilège.
– Où puis-je abriter mes bêtes pour la nuit ?
Décontenancée par la volte-face de son hôte, elle lui répondit sans y réfléchir, mais distinctement malgré le chahut ambiant.
– À main gauche en sortant.
Pleine d’amertume, elle décrocha une clef de la lambourde où pendaient aussi deux casseroles, et la lui lança.
– Tu ouvriras avec ça.
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Fondari s’assit seul, près de la porte, à une table délaissée par les habitués à cause du vent froid qui fusait entre les planches mal jointes de la paroi. Or, pour celui qui avait résisté aux mâchoires de glace de forêts sans fin, le vent des auberges n’était qu’un fanfaron inoffensif. Quant à la pitance qu’on lui servit, un pichet de vin aigre et un bol d’une soupe trop claire où sombraient des morceaux de pain durs, elle lui parut un festin.
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Fondari prouva que oui en détachant une bourse cousue à l’intérieur de son habit, mais le visage de la femme ne s’adoucit pas pour autant.
– D’où qui nous en vient ?
– Des montagnes de Savoie.
– Pardi ! Et où qu’c’est-y que c’t’enfer-là ?
– J’ai faim, implora-t-il. Je vous dirai tout ce que vous voulez après avoir mangé.
– Tout c’que j’veux !
Considérant l’étranger de la tête aux pieds, la femme parut interloquée, puis elle éclata de rire, entraînant les autres à rire avec elle.
– Mais c’est que j’veux rien du tout, moi. Mange, dors et paie. Et ce s’ra ben tout !
Elle retourna à ses chaudrons, contente de son effet, et aussi que l’assemblée ait retrouvé son entrain ordinaire.
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La femme parut se gausser de l’accent pittoresque du voyageur en haussant les épaules, puis en expulsant un soupir du bout des lèvres.

– La faim est un mal qu’on soigne fort bien ici, mais l’même remède n’convient pas à tout le monde.

Elle sortit de sa forge et traversa entre les tables des briffauds statufiés.

– Et pis quoi ?

– Dormir deux ou trois nuits. De la paille pour…

La revêche se récria en dévisageant l’inconnu.

– Eh là, eh là ! En v’là, tout un poème ! Ici, on n’a rien gratis. Il aura-t-y d’quoi payer ?
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Embusquée derrière le fourneau au centre de la salle, une assez grosse femme aux cheveux plus désordonnés que la brosse de son balai leva le nez vers l’étranger :
– Qu’est-ce que c’est ?
Les fumées grasses qui montaient autour d’elle cachaient la gargotière à Fondari. Il plissa les yeux sous sa main en visière pour tenter de distinguer son hôtesse.
– Je voudrais manger, répondit-il.
– Ah ben !
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Habitué aux rudesses des gens de rencontre, Fondari ne s’en étonna pas. Il poursuivait calmement son chemin sans relever le nez, le visage dissimulé sous un chapeau à plate calotte et larges bords. Cependant, les sens aiguisés par des années de course en pays farouches, il devinait jusqu’au plus petit mouvement d’inquiétude autour de lui : ici, la main ossue du cerclier agrippant un maillet ; là, celle du charron empoignant sa doloire ; plus loin, avec une vigueur qu’aucune besogne n’exigeait, celle du bourrelier saisissant un tranchet.
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Le voyageur et son équipage pénétrèrent dans le bourg à l’heure des premiers flambeaux. Quelques habitants formaient encore de petites grappes à l’angle des ruelles ou sur les places, les visages allumés par le reflet des torches au fronteau des échoppes. Leurs bavardages diminuèrent au passage du chariot, au point que l’on n’entendit bientôt plus dans la ville que le crissement des roues de bois cerclées de fer sur le pavé, à peine amorti par la neige. Chacun s’écartait des nouveaux venus avec méfiance. Des femmes se détournaient pour échapper à l’odeur de la bête ou à son œil assurément maléfique, d’autres fustigeaient leurs enfants trop curieux d’apercevoir le monstre écrasant sa truffe sur les interstices du haquet, d’autres encore bâclaient un signe de croix en se repliant dans leurs bauges.
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– Tu vas pouvoir te reposer, toi aussi, Caballo.

Puis il se tourna vers l’animal dans la charrette :

– Et toi, mon ami, tu mangeras à ta faim.

Il s’était adressé à lui avec une grande douceur, qui n’eut pour écho qu’une suite de grondements écumeux.
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Oubliant froid et douleur, il se mit à courir aux quatre coins de la fougeraie, mais d’aucun point sa vue ne portait assez loin. Il revint à son tombereau, s’appuya sur une frette puis se hissa sur le toit pour tenter de déchiffrer un signe de vie au-delà des brumes et ombres coalisées contre lui. Une colline couronnée de remparts lui apparut alors au-dessus des arbres. Suffoqué de joie, il redescendit en un bond de son perchoir et, redevenu aussi neuf qu’au printemps giroselles, arnicas et lupins dans les vallées de son pays, reprit son souffle en remerciant Dieu, le front appuyé sur l’encolure de son cheval.
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Or, au bout de quelques toises, le sort parut enfin s’adoucir. Les haies de broussailles s’évasèrent et le chemin qu’elles bordaient jusque-là s’évanouit dans un essart.
– Un bois de taille ! Le village n’est pas loin ! murmura-t-il en même temps que l’espoir lui revenait au cœur. Mais de quel côté est-il ? Je n’y vois rien d’ici.
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Alors que la neige avalait ses pas et que le vent cisaillait son visage, Fondari avançait dans ses hardes trempées sans montrer le premier signe de renoncement. Cependant, les présages s’assombrissaient encore : les roues de sa charrette enfonçaient à chaque tour, le maquis semblait devenir plus dense, et sa rosse ne pouvait plus qu’à peine étirer le cou pour arracher un rameau aux buissons de genévriers. S’il ne trouvait pas à faire halte avant peu, le sentier escarpé où il bataillait pied à pied contre les éléments ne le mènerait qu’à sa mort.
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Sancerre, haut Berry, hiver 1584
Fondari avait franchi à pied plus de cent lieues à travers forêts et montagnes, marais et lacs gelés. Or, ce qui paraissait le plus étrange aux gens de rencontre n’était pas qu’il fût demeuré en vie malgré l’adversité du ciel, mais les grognements inouïs provenant de sa charrette, une banne entièrement aveuglée, tirée par un cheval à bout de forces. Jeunes ou vieux qui croisaient ce sombre cortège, et femmes autant qu’hommes, en étaient tant effrayés qu’en quelque contrée où il parvenait Fondari était précédé par sa propre légende, celle d’un voyageur mystérieux, noir de cape et de chapeau, et de son croque-mitaine. Il n’en alla pas différemment en ce soir de décembre, tandis que, sans le savoir, il approchait de Sancerre.
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Le vieux guerrier attendait l'assaut. Par le sang de sa haute lignée, qui avait résisté aux massacres et aux félonies, il jura qu'il ne céderait pas un pouce de sa terre au légat du diable grondant devant lui.
- Approche !
Or, si Fulbert commandait à tout homme en ce pays, l'ours se moquait de ses injonctions, préférant lécher sa plaie à l'épaule. Soudain, son attitude changea. Il avança en balançant sa tête vers Bueil crispé sur son éperon et le bouscula d'un coup de truffe qui fut plus rude que féroce. Le comte s'effondra en geignant sans avoir porté la moindre attaque et ne put que regarder la bête s'emparer du chapelet de crépine et de lard qui aurait dû faire le repas des chasseurs, puis tranquillement quitter la place, satisfait de son chapardage.
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