Polars Urbains - enquêteur du Club VIP de BePolar - a rencontré l'auteur Thierry Berlanda, à l'occasion de la sortie de son techno-thriller "Cerro Rico" aux Éditions du Rocher.
© Polars Urbains - Juin 2019
Il n’est pas méchant, mais il a passé sa jeunesse à traîner pendant que sa sœur aînée bûchait comme une dératée. Et maintenant qu’il végète alors qu’elle brille, rien ne le met plus en rogne que les rappels de cette morale à deux balles, qu’il perçoit à longueur de temps dans le regard des quelques amis communs qu’il leur reste, et aussi dans celui de Clarisse. Tout le monde disait pourtant qu’il était doué, sans d’ailleurs bien savoir en quoi, mais on s’accordait surtout à constater que trouver plus cossard que lui relevait de l’exploit. Pire : du hasard.
Comme le feu, la panique s’éteint faute de carburant, et Agathe ne lui en avait bientôt plus fourni suffisamment : le désespoir n’est pas une substance inflammable. Mais maintenant qu’elle s’arrime de nouveau à l’infime éventualité que Lola soit en vie, elle redonne aussi prise à cette peur animale, immédiate : celle de la biche cernée par les chasseurs à courre, et qui refuse encore de s’abandonner à leur couteau.
Le paroxysme en est atteint au moment où Williams sort d’un tiroir une espèce de tranchoir, dont il se met à frapper une bille de bois. La lumière de la torche fourrée dans la poche de poitrine de sa parka gicle par intermittence sur une carcasse suspendue à la poutre par un croc, à deux mètres de lui, et restée dans le noir jusqu’à maintenant. Humain ou animal, Agathe ne peut pas le discerner d’où elle est. Et le pourrait-elle si elle y prêtait attention, elle n’en a déjà plus les moyens. Une frayeur encore inconnue s’est répandue en elle, et son poison a investi le moindre repli de chacun de ses neurones.
Faut-il que je n'aie pas le caprice des femmes de la ville, qui se croient offensées dès qu'on les regarde ou dès qu'on ne les regarde pas.
Certains, la peur les paralyse ; d’autres, elle les galvanise. Agathe a toujours fait partie du second groupe. Ses parents et ses profs parlaient d’elle comme d’un casse-cou, mais pas du genre suicidaire. Les uns en levant les yeux au ciel, les autres en niant de la tête, l’air soucieux, tous s’accordaient sur une formule entendue cent fois à son propos : « On dirait qu’elle se croit protégée ! » Après une minute d’abattement complet, elle se dit que c’est le moment de le prouver. Pas d’estimation des risques, pas de pesée du pour et du contre, pas de calcul. Elle est au-delà de ces finesses, plus assez lucide, ou peut-être trop. Et puis calculer, c’est envisager de renoncer. Or Agathe ne l’envisage pas.
La conjuration de facétieux génies des forêts qui a décidé de gâcher sa fête vient aussi de ruiner à coups de hache ses pensées raisonnables : tu es jeune et en bonne santé, on te dit jolie et d’autant plus quand tu prétends que tu t’en fous, ta fille dort au chaud et son avenir matériel est garanti, vous êtes à l’abri dans une voiture de rêve et Milton veille au grain… En un clin d’œil, tous ces bibelots ne sont plus à ses yeux qu’un tas de sciure. Revers de son talent et de sa réussite, un caractère sans nuances.
Les hommes comprendront-ils un jour que la chasse qu'ils font à celles qu'ils nomment sorcières n'est autre qu'une chasse aux femmes?
-- Le passé n'est jamais fini, messire.
-- Ceux qui vont sur quatre pattes m'effraient finalement moins que ceux qui vont sur deux.
Les remous politiques qui naissent de la plus anodine étincelle au point du jour peuvent avoir englouti tout un monde à midi.
Thierry Berlanda offre avec La Fureur du Prince une suite grandiose à L'Insigne du Boiteux. Merci !