Citations de Thomas Clearlake (129)
Ce mal qu’elle avait cru voir dans les yeux du gosse n’était probablement qu’un reflet des croyances obscures qu’elle portait en elle. Peut-être… mais quoi qu’en ait pu être la cause, quelque chose de profondément maléfique se dégageait de cette affaire.
Le jour s'était effacé pour laisser place au crépuscule et rendait peu à peu ce qui revenait de droit à la nuit souveraine. La nuit qui, chaque soir, revêtait lentement les bois de son habit somptueux de noirceur. Maintenant, les choses obscures et grouillantes pouvaient errer librement, et toutes les peurs trouvaient leurs raisons d'être. Hommes et bêtes pouvaient se tapir dans leur antre, se blottir les uns contre les autres, pour préserver fébrilement la pâle lueur de leur vie.
Par moments, des cris qui déchiraient le silence. Ceux d'autres prisonniers. Puis le silence à nouveau. Glacial, à couper au couteau. Alternance syncopée de mort et de vie en sursis.
Cooper était devenu un orfèvre à ce jeu. Il maîtrisait parfaitement l'art de la trame dissimulée. Cette réalité souterraine sentait si fort la terreur et la mort qu'elle finissait tôt ou tard par remonter à la surface, comme un cadavre bleui et boursouflé.
La lune faisait de brèves apparitions entre les énormes masses de nuages qui filaient rapidement. Sa lueur blafarde couvrait les bois pendant quelques secondes puis disparaissait à nouveau dans les ténèbres qui s'installaient.
Il fallait faire taire cette douleur, cette rage aveugle qui le tenaillait. Au nom de tous les hommes, il fallait que justice soit faite.
-T’es un foutu drôle de gars, monsieur Sorovski.
-On vit dans un foutu drôle de monde. Qui peut se dire vraiment normal de nos jours?
Ce n'était plus de la peur. C'était ce que pouvait ressentir une bête acculée au fond d'un piège.
La peur est un signal d'alerte qui marque le contraste quand le danger se dessine. Mais ici, le danger était partout. Il n'y avait pas une seule partie de l'espace, pas une seule particule de matière qui n'en était imprégnée. La conscience de Julie était devenue une éponge gorgée de mort imminente.
La nuit, impassible à sa souffrance, recouvrait peu à peu toute chose dehors. La soif de sang le tenaillait si fort qu'il en tremblait. Par une lucarne, ses yeux fiévreux voyaient le ciel s'assombrir tandis qu'une brume lourde tapissait les campagnes. Des larmes coulaient toutes seules de ses orbites vides, inexpressifs, dont le noir d'encre se confondait dans les ténèbres de la mansarde où il se cachait depuis plusieurs jours.
Mais parfois, l'intuition se trouve être au point de départ d'affaires inconcevables, qui n'auraient jamais été résolues s'il n'y avait eu un enquêteur tenace, et son obstination à suivre ses propres pistes.
L'esprit est trompeur. L'imagination se génère sur la base d'un mécanisme qui échappe à notre contrôle et nous amène parfois à échafauder les suppositions les plus inconcevables.
De la gorge du proxénète s'écoulaient ses dernières notes de vie. Toute sa symphonie avait été jouée, magistrale, dans son intégralité, par les mains expertes du tueur.
Dehors, la ville de lumière se couvrait peu à peu du voile de la nuit, comme tissé par des mains invisibles afin d'y dissimuler les fruits maléfiques qui flétrissaient à la lueur du jour.
Ce matin d'avril s'annonçait gris et pluvieux. Cependant la météo lui importait peu. La grisaille se trouvait dans sa tête, et cela faisait longtemps qu'il n'avait pas connu d'éclaircie. Ce jour se présentait comme semblable à beaucoup d'autres.
Socialement, le tueur ne fait que participer à l’augmenta- tion du taux de mortalité. Cette interaction avec «les autres », qui ne sont en fait que des cibles potentielles, le sort de sa condition d’individu, et toute appartenance à la com- munauté humaine lui est exclue. Même avec la meilleure volonté, il lui est très difficile de se faire des amis ou simple- ment d’évoluer comme tout le monde dans un contexte social. Il s’agit là d’un phénomène tout à fait singulier qui pourrait presque s’expliquer par une loi physique. Sa fonc- tion génère une impossibilité contre laquelle il ne peut rien. Son activité fait de lui un régulateur. Il agit au même titre que le cancer, le sida, la mortalité routière ou la cigarette.
Christophe Delattre tenait encore la main de sa femme. Leurs doigts entrelacés reposaient sur les couvertures. La peau de leur visage était d’un bleu sombre, tendue sur leurs os faciaux qui ressortaient d’une manière affreuse. Leurs yeux étaient grands ouverts, exorbités. Ils fixaient tous les deux le plafond dans une expression d’incompréhension et de surprise. Ils avaient le buste surélevé par un traversin et des coussins qui avaient été placés sous leur dos. Leur tête retombait en arrière et reposait dans ce que Julie identifia comme des saladiers en plastique de marque Tupperware. Un orange pour M. Delattre, un bleu pour madame. Leur gorge avait été ouverte, dans toute sa largeur. Soigneusement tran- chée. Leur sang avait dû se déverser dans les saladiers. Mais lorsqu’elle s’approcha du lit, elle constata que les récipients étaient vides. Ils avaient contenu du sang.
Au fil des ans, les regards blancs voilés, mollement exorbités, allaient se stocker au fond de la mémoire de l'enquêteur, avec des dizaines d'autres paires d'yeux éteints, telles des billes funestes que la mort avait gagnées dans sa cour de récréation.
Rémi l'écouta et se mit à compter dans sa tête. Peu à peu, les fourmis cessèrent de s'agiter et leur grouillement s'évanouit. Mais il se sentait bizarre, sa tête était comme prise dans une enveloppe de coton, et les sons qui lui venaient de dehors étaient étouffés, lointains.
Comment une jeune femme de 25 ans ,assez grande avec de longs cheveux châtains bouclés , de grands yeux verts , des mensurations parfaites et un sourire à défroquer une confrérie monacale , pouvait-elle passer inaperçue aux yeux de ces meutes de gars qui répondaient avec zèle , ou parfois malgré eux , à la nécessité de reproduction de l'espèce humaine.
La douleur engendrait la douleur, la haine engendrait la haine, cela n'avait pas de vrai commencement et cela n'avait jamais de fin.