Dès les premières pages, la bande dessinée vous frappe en plein sternum. Elle est insupportable – je dirais presque : traumatisante –, visuellement violente mais éblouissante dans cette violence.
Nous suivons donc l’histoire de Guy-Pierre Gautier, dont les actes de résistance le conduiront des prisons au camp de concentration nazi de Dachau-Allach. Petit détail qui pour moi a son importance : j’ai été d’autant plus émue que les premières années du combat de Guy-Pierre Gautier prennent place à quelques kilomètres seulement de chez moi…
L’ouvrage escorte les souvenirs de ce héros, qui parfois s’enchaînent avec logique et puis parfois se disloquent. Les cases se soumettent à ce fil désaccordé des images qui ressurgissent, barbares, impensables. J’ai senti un vrai lien entre le grand-père qui se confie enfin et le petit-fils qui recueille cette parole pour la ressusciter sur ses pages blanches. C’est extrêmement émouvant. J’ai senti également dans ces dessins toute la souffrance de la transmission et l’épreuve que cela a dû être d’entreprendre un tel projet.
Parlons-en d’ailleurs de ces dessins fabuleux : c’est pour moi le gros choc de cette bande dessinée. Le talent de Tiburce Oger est époustouflant, ses couleurs sont fascinantes. J’ai pleuré dès les premières pages tant ses illustrations sont pures et nues, absolument offertes et terriblement franches. C’est prodigieux de réussir à retranscrire dans un dessin l’émotion intime d’un décor, l’horreur muette d’un regard ou le désespoir d’un corps humilié.
Certaines images se tiennent au bord de l’insoutenable mais avec quelle délicatesse c’est fait, avec quelle détermination, quel amour cristallin et quel respect… Chaque dessin saigne, chaque visage crie ; j’ai lu la moitié de cette bande dessinée en apnée, incapable de respirer, abîmée et percutée à chaque page que je tournais.
À aucun moment l’auteur ne cherche à faire dans le sensationnalisme ; tout n’est que pudeur et finesse, retenue, espoir et humanité. J’ai lu beaucoup de bandes dessinées historiques sur le thème de la Seconde Guerre mondiale, mais rares sont celles qui concentrent à la fois la force du propos et la puissance du dessin.
Je me suis rarement sentie aussi démunie devant une œuvre graphique, aussi secouée, bousculée et captivée. En 88 pages, Tiburce Oger réussit à vous tatouer dans le regard l’horreur et l’innommable. Quelle magnifique œuvre je tiens ici entre mes mains.
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