Bookalicious n°2 :
Chronique de "Black Néon" de Tony O'Neill. Editions 13e Note
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Quelle est la frontière entre l'accoutumance et la dépendance? Quand se met-on à considérer que la folie qu'est le choix de l'héroïne comme valeur esthétique et règle de vie est tout à fait normale? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que lorsque j'ai commencé à dériver vers une existence où je ne m'occupais plus des problèmes immédiats pour me concentrer uniquement sur les moyens de me procurer de l'héroïne, tout a fondamentalement changé autour de moi. À partir d'un moment, quand je me réveillais et que je n'en avais plus, au lieu de prendre conscience de l'état dans lequel je me trouvais, mon mariage malheureux, ma précarité financière, j'avais la certitude que tout ça n'avait PLUS AUCUNE IMPORTANCE. Tout ce qui m'importait, c'était d'avoir de la came pour tenir un jour de plus. Le reste, c'était, comment dire, abstrait et lointain, comme si ça arrivait à quelqu'un d'autre. Ce qui, en fait, était le cas.
Pas des mains dont on peut être fier. Des mains qui sont devenues molles et fragiles pour avoir été mal utilisées.
Cette ville est pourrie, Jeffrey. C’est une putain de fosse d’aisances. Ce surnom de « cité des anges », c’est de la connerie, c’est une blague horrible. C’est pas « la cité des anges ». C’est celle des putes.
- Attention, extrait déconseillé aux moins de 16 ans -
A poil sur le lit, Genesis fume sa meth, inhalant les vapeurs du cristal liquéfié par la belle flamme bleue de ce chalumeau de cuisine qu'elle braque vers la pipe en verre maculée de carbone. Elles se trouvent à l'East West Hotel, un hôtel pourri de la 8ème Rue, dans Koreatown, où l'on paie à l'heure. La chambre pour une personne a pour tout mobilier des chaises de jardin branlantes et un lit défoncé qui a certainement dû en voir, au fil des temps. Détraquée, la radio reste obstinément calée sur une saloperie de station de musique légère qui diffuse actuellement un succès de Bread, Baby I'm A Want You. Genesis fume, elle a les oreilles qui sifflent, le sang qui bouillonne dans le cerveau et la sueur au front. Sa bouche se tord en un rictus euphorique.
Assise au bord du lit, Lupita, nue elle aussi et luisante de sueur à cause du cristal, est en train d'enduire son moignon de lubrifiant. Genesis repose la pipe, laisse échapper par les narines un nuage de fumée grise et regarde cet appendice visqueux avec un mélange d'appréhension et de curiosité.