Si personne ne nous juge nous et tout ce qui s’est passé avec nous, alors nous allons nous enfoncer de plus en plus profondément dans l’absurdité et la perdition.
Je ne le comprends pourtant pas, dit Bethsabée. Même si son amour est sans limites. L’amour aussi est incompréhensible.
Oui, dit le roi David, l’amour aussi est incompréhensible. L’amour est incertitude et doute. Le plus atroce est le doute.
« Et je vois des lapins partout, dit Könik. / Oui, dit-elle. Il y a des lapins partout. » (p. 146)
Une fabulation, continua alors Jaspar, on ne la raconte que pour que les gens puissent s’émerveiller.
Les récits des guerriers sont comme le jacassement des femmes au puits, dit-il fatigué. Les rumeurs et les commérages au puits de contemplation. Des mensonges et des fanfaronnades, rien d’autre.
Car la mère lapine est capable de mettre bas dix portées par an. Et dix petits chaque fois. Qui saurait calculer quel nombre fabuleux de lapins cela représente en fin de compte ? Innombrables, voilà ce que les lapins veulent être. La mère lapine possède tant d’amour qu’elle ne sait rester tranquille, sans cesse elle file dans tous les sens, et en son corps, dans un coin ou dans un autre, cela palpite sans cesse.
Oui, le lapin est un Créateur.
Paula m'avait envoyé l'Iberia de Debussy et je ne cessais de l'écouter. C'était joué par l'orchestre philharmonique de Londres et cette musique me convenait parfaitement à l'époque. Elle ne développe pas de longs thèmes et ne présente aucune symétrie, rien n'est régulier ni fixe. Les accords ne représentent qu'eux-mêmes et rien d'autre, ils ne mènent nulle part et les harmonies sont sans cesse déplacées, les modes apparaissent et disparaissent, tels de simples incidents qui ne permettent jamais de prévoir. Tous les instruments sont seuls et ne doivent se fier qu'à eux-mêmes au milieu de tout ce qui reste indéterminé, fuyant et fugitif.
Quand j'écoutais Iberia, je pensais : Tout ira bien puisque n'importe quoi peut se passer.
« Les lapins n’étaient sans doute pas responsables du désordre et de la confusion, mais ils les représentaient. » (p. 162)
[...] tout le monde désirait changer sa vie, mais la plupart des gens ne trouvaient jamais de prétexte. Il faut avoir une excuse pour oser changer sa vie. Ceux qui sont coincés dans un détournement d'avion, pris dans un naufrage ou à qui il arrive quelque chose de tragique ou d'inouï modifient en général radicalement leurs vies ensuite. Les gens se disent qu'ils ont été transformés par l'expérience vécue. Mais il n'en est rien. Ils n'ont pas été transformés du tout, ils disposent simplement désormais d'une explication à fournir. Ils ont une excuse.
Il s'était imaginé que, lorsqu'il serait au bout du rouleau, quand il se rendrait compte qu'il fallait abandonner, quand finalement admettrait qu'il était vaincu (Dieu sait par quoi?), il pourrait rassembler ses affaires et retourner chez ses parents. Et, morceau par morceau, ses parents qui savaient comment il était construit allaient le reconstruire. Ils se serviraient des plans d'autrefois , de la vieille colle, des anciennes vis et anciens écrous, ils savaient où devaient se trouver la tête et l'interrupteur principal et comment devait battre le petit cœur et ils savaient de quelle manière il fallait qu'il soit poli et traité en surface, et où les articulations, les ligaments, les sutures et les symphyses devaient s'insérer dans sa personnalité. Et voilà qu'on revient à la maison, telle une boîte de modèle à construire mais sans le mode d'emploi, avec un emballage détérioré par le transport et l'humidité, et pour découvrir que le foyer de son enfance est pour le moins mal engagé sur les flots.