Titres de la collection Rouergue Noir de l'année 2021
La misère est plus supportable quand on la regarde de loin.
C'est un putain de mensonge de prétendre que notre vie est faite d'autre chose que de solitude.
Néanmoins, tu ne peux pas te représenter la douleur que c'était. Et je ne parle pas de la torture en général, mais des petits détails. Tu penses peut-être pouvoir imaginer ce qu'elle a pu ressentir lorsqu'ils ont appliqué des câbles électriques sur son sexe ou quand ils lui ont écorché la plante des pieds tel un légume qu'on épluche, or il y a toujours un moment où l'imagination bute. Ce n'est pas un reproche, seulement une manière de te dire qu'il ne faut pas juger.
Ce n'était finalement pas si silencieux que ça. Elle distinguait des aboiements dans le lointain et des craquements dans les murs.Le bois se réveillait.Le froid et le chaud ,pensa-t-elle en écoutant son coeur battre de plus en plus fort,des changements de température, le bois prend du volume puis se rétracte, où l'inverse,elle ne s'en souvenait plus.Pour une raison inconnue,elle se mit à penser à l'immeuble d'Ulitsa Voronezhkaya et à l'homme qui avait gelé à même le sol.Sur le plancher que les enfants avaient démonté pour faire du feu avec le bois.Elle se dit qu'elle n'avait aucune idée de la vitesse à laquelle une bûche se consume. Le poêle allait-il s'eteindre dans la nuit?
Elle s'allongea en position foetale et se mit les mains entre les jambes ,pour les réchauffer. Elle distinguait le crépitement du poêle, le chant sourd des flammes.
Ce sera ma maison,pensa-t-elle. L'endroit où je pourrai toujours me réfugier.
Certains, parmi eux, ne se contentent pas de faire la manche ou la collecte des bouteilles, ils se servent dans les magasins aussi, ou volent mon portefeuille, et qu'est-ce que les gens en ont à foutre, si je leur dis qu'ils ne sont pas tous comme ça, ils ne vont pas changer d'avis pour autant.
( p 179)
Au crépuscule, les nuages étaient d'une couleur rose pâle, puis toutes les couleurs ont disparu, le ciel est devenu noir. Pas de lune, pas d'étoiles, rien pour s'orienter. Comme une prière silencieuse, la certitude que le monde est toujours le même.
Puis elle se mit à raconter.
Elle fut attentive à la réaction d'Ingrid quand elle lui confia qu'elle avait une soeur.Fronçait-elle les sourcils, y avait-il une lueur dans ses yeux?Est-ce qu'elle se souviendrait de l'histoire ,le lendemain si on la lui racontait de nouveau? Katrine avait le sentiment que l'histoire de la soeur avait quelque chose du conte,qu'il s'en dégageait une forme mélodieuse. Elle ne savait pas si sa mère comprenait vraiment où si elle prenait juste plaisir à écouter sa voix,ses mots,profitant que sa fille soit à ses côtés.
-Et elle te ressemble,à part qu'elle a les cheveux plus longs et une fossette au menton.Et le parc où elle habite appartenait aux tsars russes. Mais à vrai dire ,tout à commencé avec ton père....
C'est seulement au moment où l'infirmière auxiliaire entra dans la pièce, pour annoncer qu'il était l'heure de dîner, que Katrine se releva,.
Elle embrassa sa mère en lui chuchotant à l'oreille :
-Mais ne le dis à personne.
Du maquillage qui coule, c'est un être humain en train de s'effondrer. D'abord, le maquillage qui tombe et puis tout le visage et, derrière, un autre visage. Personne n'est ce qu'il semble être. Derrière, il y a encore et toujours un masque, aussi vrai, aussi faux que le premier.
Du temps où nos résidents étaient jeunes, il y avait toute une ville, là-bas, un peu plus loin, dit Lotte. Des rues, des boutiques, des cafés, un boulevard. Presque tout a été détruit avec l'extension de la mine, il n'est resté que quelques rares maisons comme celles-ci. Et à la place, on a maintenant un lac qui n'existait pas avant. Plus rien ne ressemble à ce qu'ont bien connu nos vieux. C'est difficile de les aider à retrouver leurs souvenirs quand même la terre sur laquelle ils ont grandi a cessé d'exister.
On dit toujours qu’il faut vivre dans le moment présent, mais c’est impossible. Le présent n’existe pas : il disparait à chaque seconde. Chaque fois que j’essayé, le passé m’a rattrapée. C’est peut-être une question d’âge. […] Selon moi, ce n’est pas le présent que nous visons, mais l’avenir. Dès que nous le perdons des yeux, quelque chose meurt en nous. Tout au plus le présent est-il le moment où commence l’avenir. Une sorte de table rase. Cet instant précis où l’on découvre, de l’autre côté de la vitre, un horizon dont on ignorait tout. Où on comprend que tout peut arriver et que plus rien ne sera comme avant.