Citations de Valérie Perrin (2416)
Après la fermeture des grilles, le temps est à moi. J'en suis l'unique propriétaire. C'est un luxe d'être propriétaire de son temps. Je pense que c'est un des plus grands luxes qu'un être humain puisse s'offrir.
- Vous ne vous ennuyez jamais ici ?
- Jamais.
- Mais ce n'est pas trop dur votre travail ?
- Si, c'est super-dur. Je n'ai que vingt et un ans. Mes collègues sont plus vieilles que moi. Elles ont toutes commencé plus tard. Ce métier c'est souvent un deuxième métier. A mon âge, ce n'est pas normal de voir des corps fatigués. Enfin, ce que je veux dire c'est que... c'est violent. Et puis, il y a la mort... Les jours d'enterrement, je ferme les fenêtres parce qu'on entend les cloches de l'église jusqu'ici...
- C'est quoi le plus dur ?
- Le plus dur, c'est d'entendre : 'Il ne se rappelle jamais mes visites alors je ne viens plus.'
Silence.
- Pourquoi vous ne cherchez pas un autre travail ?
- Parce qu'il n'y a pas un seul travail où je pourrais entendre les histoires que me racontent les résidents d'ici.
(p. 133-134)
Des cahiers bleus je pourrais en écrire des centaines. Parfois, je me dis que je pourrais transformer chaque résident en nouvelle. Mais il faudrait que j'aie une jumelle.
Chap 45 - p186 -
Quand Léonine est apparue, ma jeunesse s’est fracassée aussi violemment qu’un vase en porcelaine sur du carrelage. C’est elle qui a enterré ma vie de jeune fille. En quelques minutes, je suis passée du rire aux larmes, du beau temps à la pluie. Comme un ciel de mars, j'étais les éclaircies et les giboulées en même temps.
Pourquoi va-t-on vers des livres comme on va vers des gens? Pourquoi sommes-nous attirés par des couvertures comme nous le sommes par un regard, une voix qui nous paraît familière, déjà entendue, une voix qui nous détourne de notre chemin, nous fait lever les yeux, attire notre attention et va peut-être changer le cours de notre existence?
p. 90
Il faut écouter dans l'urgence parce que le silence n'est jamais loin.
Elle a appris à lire à l'âge de seize ans. Elle a eu la sensation de naître quand elle a touché l'alphabet, d'apprendre à respirer. Ensuite, sont venus les mots, puis les phrases. (p. 108)
Les jeunes, je préfère les connaître vivants, pénibles, bruyants, saouls, stupides, que voir des gens suivre leur cercueil, courbés par le chagrin.
Oui, Violette, le passé est le poison du maintenant. Ressasser, c’est mourir un peu.
Ensuite, on a mangé chaud. Même si ce qu'il y avait dans nos assiettes était censé être froid...
Chap 61- p307 -
Aujourd'hui on a enterré Pierre Georges (1934-2017). Sa petite fille avait peint le cercueil. Des dessins d'une naïveté bouleversante. Elle avait passé trois jours à dessiner une campagne et du ciel bleu sur du bois brut. Sans doute en pensant que son grand-père s'y promènerait dans l'au-delà.
- Que sont les "larmoyances" ?
- C'est un mot que j'ai inventé pour réunir la mélancolie, la culpabilité, les regrets, les marches avant et les marches arrière. Tout ce qui nous emmerde dans la vie, quoi. Ce qui nous empêche d'avancer.
-Comment avez-vous rencontré votre grand amour ?
- Il travaillait pour mon mari. Il s'occupait des écuries. Ilétait bel homme, si vous aviez vu son cul. Ses muscles, son corps, sa bouche, ses yeux ! J'en frissonne encore aujourd'hui. Nous sommes restés amants durant vingt-cinq ans.
-Pourquoi n'avez-vous pas quitté vos conjoints respectifs ?
- Odette lui a fait du chantage au suicide :"Si tu me quittes, je me tue." Et puis, de vous à moi, Violette, Çà m'a bien arrangée. Qu'est-ce que j'aurais fait d'un grand amour vingt-quatre heures sur vingt-quatre ?
– Alors, mon père, comment c’était ?
– C’était un enterrement, madame la comtesse.
– Ses enfants lui ont mis de la musique ?
– Non.
– Oh les cons, Odette adorait Julio Iglesias.
– Comment le savez-vous ?
– Une femme sait tout de sa rivale. Ses habitudes, son parfum, ses goûts. Quand un amant débarque chez sa maîtresse, il doit se sentir en vacances, pas à la baraque.
– Tout cela n’est pas très catholique, madame la comtesse.
– Mon père, il faut bien que les gens pèchent, sinon votre confessionnal serait vide. Le péché c’est votre fonds de commerce. Si les gens n’avaient plus rien à se reprocher, il n’y aurait personne sur les bancs de votre église.
J’ai dix ans. Mes deux amis et moi sommes inséparables. Parfois, je voudrais leur dire qui je suis, j’ai cette fille au bord des lèvres, mais je n’ose pas. Je ravale.
J’ai peur qu’ils me rejettent, me jugent.
Nous, c’est trois ou rien. C’est trois ou la solitude. (p 491)
Je déteste les fleurs artificielles. Une rose en plastique ou en synthétique, c'est comme une lampe de chevet qui voudrait imiter le soleil.
Sa voix m'a fait l'effet d'une éclaircie, comme s'il avait allumé un lampadaire au-dessus de ma tête. Comme quand une journée s'annonce foutue, qu'un ciel de plomb s'entrouvre et que le soleil perce d'on ne sait où pour allumer certains points du paysage.
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Tu devrais mettre ton haut rouge, ça t'irait mieux, t'es mal coiffée aujourd'hui, range ta chambre, ne laisse pas traîner tes affaires, c'est toi qui m'as piqué mon rouge à lèvres, d'accord, ça va ma puce, aide-moi à débarrasser, tu viens avec moi au magasin, je passe te reprendre à 16 heures, tu me demandes mon avis, je te donne mon avis, j'ai pas le temps là, t'as fait tes devoirs, mais qu'est-ce que c'est que ça, t'as vu si c'est beau, tu n'iras pas, je t'ai acheté ça, fallait pas commencer, va mettre la table, non, non, non, bon d'accord mais une seule fois, ne rentre pas trop tard, pas de chocolat, pas de soda après 18 heures, tu ne pars pas sans prendre un petit déjeuner, mets ta veste il fait froid dehors, mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, tu t'es brossé les dents, il serait peut-être temps de grandir, va prendre ta douche, ne t'inquiète pas, ce n'est pas grave, je t'aime, bonne nuit, qu'est-ce que t'es belle ce matin, j'adore ce truc sur toi, ton prof d'histoire-géo vient d'appeler, il est tard, va te coucher, mais si c'est important les maths, ça va mon amour, c'est qui ce garçon, je sais que tu n'aimes pas lire mais ça tu vas adorer, je te récupère à quelle heure, ils font quoi ses parents, éteins les lumières, ne marche pas pieds nus, on va aller voir un médecin, ne discute pas, viens faire un câlin, si tu n'obéis pas, j'appelle ton père.
Avoir une mère, même chiante, même dingue, même mère.
(p. 136-137)
Moi, j'aime bien pêcher, j'emmerde personne, à part les poissons, et encore, je les rejette dans la rivière.
En me couchant, je pense que je n'aimerais pas mourir au milieu de la lecture d'un roman que j'aime;