Citations de Véronique Côté (62)
J'entrais dans la lecture, j'entrais dans cette maison, je possédais enfin le code secret pour percer le langage écrit, ce refuge où me mettre à l'abri, ce paysage sans fond, ce pays à faire. Je pouvais enfin partir à l'abordage de ce nouveau monde qu'étaient les livres.
Ce n'est pas au monde de définir la poésie, c'est la poésie qui définit le monde.
La poésie est un impensable raccourci qui donne accès au coeur multiple des choses.
Et dans la parole, le monde se crée. Mais si les mots sont vides, le monde s'efface.
Mais depuis quelque temps, je remarque une forme d'agression particulièrement insidieuse à l'égard de la langue: elle consiste à vider les mots de leur sens. À les empailler, en quelque sorte: on garde l'enveloppe, on la fourre avec n'importe quoi, et on recoud. Le mot a encore l'air vivant, mais il a les yeux morts.
Car combien vaut un vol d'outardes? La beauté est gratuite.
La trame de nos saisons qui nous fait et nous défait.
La poésie nait spontanément du choc d'images, de la mêlée de sens, de l'accident. Elle jaillit de l'imprévisible, et par son surgissement elle nous lave le regard, la tête, le coeur.
Je croyais que mon besoin de poésie était une chose intime, personnelle, mais commune, dans le sens de partagée, de normale, de régulière. Je croyais que ce besoin brulait au coeur de chacun d'entre nous - qu'il faisait partie du kit de base des besoins, en quelque sorte. Avoir besoin d'un toit, de chaleur, de nourriture, d'amour, d'éducation, et de poésie.
J'aurais envie de porter mes lunettes de soleil en permanence pis je comprends pas d'ailleurs pourquoi on me jugerait. Pourquoi on juge ça, quelqu'un qui a ses lunettes de soleil le soir, ou quand il pleut, ou à l'intérieur. Ca a tellement l'air de déranger du monde ça, ce concept-là de lunettes de soleil. En fait, je trouve ça tellement compliqué moi ce concept- là de lunettes de soleil, on dirait que c'est tellement rare les moments où t'as le droit de les porter en paix, on dirait qu'il y a tellement de facteurs qui influencent le fait de si t'es pertinent ou non de mettre tes lunettes, moi j'aurais juste comme envie de les mettre tout le temps, parce que je suis super bien quand je les ai dans la face, je me sens bien, je me sens moins "là", je me sens moins collé sur le monde de la table à côté dans les restos, je me sens moins dans la cuisine du monde que je croise en faisant l'épicerie, je me sens moins en train de pleurer en communauté devant un film au cinéma, je me sens moins en pleine vie privée du monde de trente ans que je croise dans la rue avec leurs trois enfants dans des poussettes pis qui s'engueulent parce que, ben crisse, ils ont pris des trop grosses décisions trop vite, trop jeunes, pis là ben ils sont pus capables de se voir la face pis ce qui les enrage le plus, c'est que, théoriquement, y'en ont encore pour quarante ans à s'endurer la face. Tout ça pour dire que j'aimerais ça porter mes lunettes de soleil en permanence. Librement, mettons.
Parce que mon fils et mon lapin sont petits et doux et que la lumière qui m'avait tant manquée, je l'attendais pas, je la cherchais pas au bon endroit. La lumière, elle vient de mon fils. Je sais pas comment j'ai fait pour arrêter de la voir.
Le médecin m'a prescrit pour ça une lampe étrange que mon fils m'allume au petit déjeuner, et des antidépresseurs que j'ai jetés dans les toilettes. La lampe fait rire mon fils et c'est de cette façon qu'elle me guérit le mieux. Je me mets sous la lumière mais mon corps est pas dupe, la lumière des néons me guérit pas, le rire de mon fils, oui.
On dit qu'au Québec les gens parlent beaucoup, beaucoup de météo. On dit qu'au Québec les gens ont rien à dire parce qu'ils parlent trop de météo. On dit n'importe quoi. Les gens parlent de météo parce que ça bouffe plus que la moitié de leur vie, et de leurs forces, parce que pendant la moitié de l'année les Québécois se battent pour pas mourir de chagrin ou d'épuisement ou de nostalgie ou d'ennui. En tout cas moi j'écoute toujours ceux qui ont envie de parler du temps qui fait, parce que ce dont ils parlent, surtout, c'est de leur impuissance. J'ai une tendresse infinie pour ça.
J'ai quarante-deux ans, j'ai un fils de dix ans et même si c'est moi qui d'habitude détiens toute la rationalité qu'il faut pour le rassurer, genre pendant un orage ou pendant la nuit, je suis incapable, quand vient l'automne, de rester un adulte intelligent et rationnel, je redeviens un enfant de huit ans, je fais pus du tout confiance à la vie, et j'réussis pus à croire pour vrai, j'doute sincèrement, j'ai peur que plus jamais le printemps ni l'été ne reviennent. J'ai peur qu'il pleuve à jamais, j'ai peur que l'soleil se couche pour le reste de ma vie à trois heures de l'après-midi.
Je profite de la nuit pour pleurer. La nuit. Bleue. Et froide. Je voudrais pas être une chauve-souris ou un loup garou, mais je trouve quand même qu'ils ont compris que la nuit est parfaite pour crier. Et pis pour mordre.
Maintenant j'aime et je déteste la mort et c'est la même chose, un seul respir. J'y pense tous les jours. Et ça me rend pleine de vie.
Je trouve tellement de beauté dans ce qui est là, je deviens comme soûl de beauté mais soûl pas joyeux, j'ai le vin triste, j'ai le vin de la beauté triste en estie.
Déclasser l'ensemble de la population en la faisant passer de citoyens à contribuables n'est pas innocent. Le faire jour après jour, et faire entrer cette utilisation tendancieuse dans l'usage provoque une dépossession des droits et devoirs politiques: on on n'est plus un participant actif à la vie de la cité. On n'est plus qu'un payeur de taxes." (p.33)
L'absence totale de poésie dans le monde politique actuel me semble révélatrice de tout ce qui fait défaut à notre conception contemporaine de l'exercice démocratique. Nos manières d'appréhender chacun des enjeux auxquels nous sommes soumis sont complètement dénués d'imagination, d'indépendance de pensée, de véritable liberté. (p. 46)
Quand j'avais appris à lire, j'avais connu une sorte de joie que j'ai rarement revécue après. J'étais un enfant assez solitaire, je me souviens, je m'étais dit: « Je serai plus jamais tout seul. »