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Citations de Viktor Pelevine (69)


Et, pourtant, au cours de leur long voyage du passé vers le présent, les objets environnants ont perdu une qualité essentielle, tellement indéfinissable qu'on ne peut même pas l'expliquer. Avant, la journée commençait ainsi : les adultes partaient au travail, la porte se refermait derrière eux et tout l'énorme espace qui m'entourait, la multitude infinie d'objets et de positions devenaient miens. Plus aucun interdit ne fonctionnait. Les objets semblaient se détendre et cessaient de cacher quelque chose. […] Lorsque les adultes étaient là, le lit, je le jure, rétrécissait, se faisait étroit et inconfortable. mais dès qu'ils partaient au travail, soit il devenait plus large, soit l'on pouvait mieux s'y installer. Et chaque planche — à l'époque, on ne les peignait pas encore — se couvrait des arabesques dessinées par la croissance des arbres hachés par la scie sous des angles incroyables. Disparaissaient-elles en présence des adultes ou bien n'y prêtait-on pas attention sur fond de conversations pesantes à propos des équipes de travail, des normes à remplir et de la mort qui rôdait ?
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D'abord, les adultes se penchent sur toi et rapprochent leur visage distendu dans un sourire. Selon toute vraisemblance, ils subissent une loi physique qui les fait sourire dans de telles conditions. C'est purement artificiel, d'accord, mais tu saisis le plus important : ils ne te veulent pas de mal. Leurs visages sont affreux, grêlés, couverts de taches et de poils, pleins de détails, comme la lune à la fenêtre. Les adultes sont faciles à comprendre, mais il n'y a presque rien à dire sur eux. À part l'écœurement qu'inspire leur attention fixée sur ta vie. Ils semblent ne rien exiger : ils déposent, l'espace d'une seconde, le rondin invisible qu'ils portent toute leur vie, et se penchent vers toi avec un sourire avant de se redresser et de le reprendre pour le porter plus loin. Mais cela n'est qu'une illusion. En réalité, ils veulent te voir devenir comme eux : il faut bien qu'ils puissent transmettre le rondin à quelqu'un avant de mourir. Ce n'est pas pour rien qu'ils l'ont porté.
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La chaude lumière du soleil tombait sur la nappe maculée de taches poisseuses et de miettes, et Andreï envisagea dans toute son ampleur la tragédie de ces millions de rayons : naître à la surface de l’astre du jour et voyager à travers le vide infini de l’espace, tout cela pour s’éteindre sur les restes répugnants de la soupe de la veille… Et le pire était que toutes ces flèches jaunes qui tombaient obliquement par la fenêtre pouvaient fort bien posséder une conscience, l’espoir d’une vie meilleure et le sentiment de la vanité de cet espoir. Tout comme l’homme, elles disposaient peut-être de tous les ingrédients nécessaires pour souffrir.
« Peut-être que quelqu’un me voit également comme une flèche jaune tombant sur une nappe. Et la vie n’est qu’une vitre sale à travers laquelle je vole. Je tombe et je tombe pendant Dieu sait combien d’années, vers la table, devant l’assiette, et quelqu’un regarde le menu et attend son petit déjeuner… »
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On est heureux dans l'enfance parce que c'est ce que l'on pense en se souvenant d'elle. Le bonheur, c'est le souvenir.
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Lorsque tu commences à lire, au début, ce n'est pas le texte qui dirige tes pensées, mais les pensées elles-mêmes qui gouvernent le texte. D'ailleurs, celui-ci est toujours déchiré à l'endroit le plus intéressant. […] Lorsqu'un vrai livre te tombe entre les mains, quelle sensation incomparable ! Peu importe lequel. Il y en a très peu, ici, juste cinq ou six, et on les lit plusieurs fois. Cela n'a pas d'importance parce qu'à chaque fois on les lit différemment. D'abord, ce sont les mots qui sont importants. Soit chacun d'eux s'illumine aussitôt de ce qu'il signifie (" botte ", " seau à déjections ", " veste ouatinée "), soit il bée d'une obscurité insensée (" ontologie ", " intellectuel ") et il faut alors aller voir l'un des adultes, ce que l'on préfère toujours éviter. Par conséquent, l'ontologie devient une lampe de poche et l'intellectuel une longue clé à douille interchangeable. La fois suivante, ce sont les situations qui comptent le plus : comment un homme aux pas lourds pénètre dans une cuisine étriquée et puante et, de ses poings fermes d'ouvrier, réduit en bouillie la gueule grimaçante et odieuse du serveur Prochka.
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Les objets ne changent pas, mais quelque chose disparaît pendant qu'on grandit. En fait, c'est l'homme qui perd ce " quelque chose ", qui passe de manière irréversible à côté du principal, qui vole vers le bas sans pouvoir s'arrêter de tomber lentement vers le nulle part. Tout ce que l'on peut faire, c'est trouver les mots pour décrire ce qui t'arrive.
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Quelle importance peut avoir la raison qui provoque le bonheur, si ce bonheur élaboré par les âmes est le même ? Il existe une ration de bonheur fixée pour la vie de chaque homme et, quels que soient les événements, il est impossible de la réduire.
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Plus on s'approche de l'âge adulte et plus le monde semble simple, bien qu'il reste pas mal de choses incompréhensibles. Ainsi, les deux carrés de ciel ouverts sur le mur (on voit le ciel lorsqu'on est installé sur le lit du bas, et des sommets lointains de massives cheminées d'usine viennent s'y ajouter lorsqu'on se trouve sur celui du haut). La nuit, on y aperçoit des étoiles et, le jour, des nuages qui soulèvent de nombreuses questions. Les nuages sont des compagnons d'enfance, et il y en a eu tellement qui sont nés dans ces fenêtres que l'on s'étonne chaque fois que l'on en voit un différent. […] À coup sûr, ce genre de choses possède un sens, mais le code est incompréhensible — le voilà, le langage frappé de Dieu. […] On ne comprend que plus tard qu'il est impossible d'échanger quoi que ce soit avec Dieu parce que l'on est soi-même sa voix, une voix de plus en plus estompée et basse.
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Comment aurais-je pu savoir que le meilleur de la vie, on ne le voit qu'en passant et qu'il ne revient jamais.
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Moins il reste de choses qui te sont cachées, moins les adultes sont enclins à te pardonner ta pureté et ta naïveté.
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En temps ordinaire, nous sommes trop pris par ce qui nous arrive à chaque instant pour nous souvenir soudain de notre enfance. La vie d'un adulte est généralement autosuffisante et — comment dire ? — ne comporte pas de vide où il serait possible de placer des émotions sans lien direct avec les événements environnants. Ce n'est que parfois, très tôt le matin, lorsqu'on se réveille et que l'on voit devant soi quelque chose de très habituel, comme un mur en briques, par exemple, que l'on se souvient que ce mur a été jadis différent, pas du tout comme il est maintenant, bien qu'il n'ait absolument pas changé dans l'intervalle.
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Il est difficile de prédire où se jette l’esprit qui a peur de lui-même. L’un devient un piano à queue parlant voué à la solitude éternelle. Un autre, la vase d’un marécage qui pensera la même chose pendant dix mille ans. Le troisième, l’odeur de violette dans une casserole mouillée au couvercle soudé. Le quatrième, le reflet d’un coucher de soleil sur la pupille d’un alpiniste mort gelé. Pour tout cela, il y a des mots. Mais que dire pour tout ce qui n’a pas de nom ?
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Lorsque j'étais petit, on me laissait me balader des journées entières, rôder dans tous les couloirs, explorer le moindre recoin et même pénétrer dans des endroits où j'étais le premier visiteur après les constructeurs. Maintenant, c'est devenu un souvenir soigneusement conservé, mais, à l'époque, c'était simple : on se promène dans un couloir et on ressent l'angoisse de l'hiver […] l'on passe à travers une porte d'ordinaire fermée, aujourd'hui grande ouverte. Quelque chose luit au bout du corridor. […] Là-bas, au fond, là où l'on voit la lumière […] l'écoutille de fer est ouverte. […] On peut descendre l'échelle métallique et se retrouver dans cet espace magique. […] Si on ne le fait pas, c'est uniquement parce que quelqu'un peut refermer la porte à tout moment, supprimant toute retraite. Et l'on fait demi-tour, en rêvant de revenir un jour. Puis, lorsqu'on commence à venir tous les jours, lorsque prendre soin de ces tortues métalliques qui ne dorment jamais devient le but nominal de ta vie, on a souvent envie de se souvenir de la façon dont on les a vues la première fois. Mais les souvenirs s'effacent si l'on s'en sert trop souvent. C'est pourquoi on garde celui-là — celui du bonheur — en réserve.
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Il n'y a rien à craindre, affirment plus généralement les rais de lumière sur le sol et les murs. Il n'y a rien d'horrible dans ce monde. En tout cas, pas tant qu'il te parle. Et puis, à partir d'un moment incompréhensible, c'est de toi qu'il parle.
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Si l’on compare les constructions mentales à des échelles qui doivent nous conduire vers la connaissance secrète, alors nous les apposons non pas contre les murs du château de la vérité, mais uniquement aux reflets de ces mêmes échelles dans le miroir de notre propre raison. C’est pourquoi, quelle que soit l’abnégation avec laquelle nous grimpons et quelle que soit la hauteur que nous parvenons à atteindre, nous sommes voués à nous heurter sans cesse contre nous-mêmes, sans nous approcher de la vérité, mais sans nous en éloigner non plus. Plus nos échelles sont hautes, plus les murs s’élèvent, car le château lui-même ne surgit que lorsque apparaissent ceux qui veulent le prendre d’assaut, et plus leur désir est fort, puis il devient inaccessible. Ainsi, avant que l’on ne commence à chercher la vérité, celle-ci n’existe pas. Telle est la vérité.
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En fait, j’éprouve toujours une certaine réticence à utiliser l’expression « revenir à soi ». Depuis mon enfance, elle me semble d’une ambiguïté captieuse : qui revient ? Et où revient-t-il ? Et le plus intéressant : d’où ? En somme, elle me laisse la même impression de tricherie qu’une partie de cartes à bord d’un bateau de croisière sur la Volga. Avec l’âge, j’ai fini par comprendre que les mots « revenir à soi » signifient plutôt « revenir aux autres », car ce sont précisément les autres qui t’expliquent, du début à la fin de ta vie, quels efforts tu dois faire pour prendre la forme qui les arrange.
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C’était il y a bien longtemps. Un cortège de fête défilait près de notre jardin, mené par un prêtre masqué en dieu renard, agitant une crosse aux anneaux de bronze qui cliquetaient. Derrière lui, on portait un coffre destiné à la quête, suivi d’un autel noir et or que surplombait Ho-oo, L’oiseau d’or, resplendissant sous le soleil. L’extérieur de l’autel était couvert de cordons rouges et blancs, avec des petites rampes et des dorures abondantes. Quant à l’intérieur, c’était un simple bloc de vide. Ce vide m’apparut comme un morceau de nuit noire en contraste avec le soleil estival et je pris peur lorsque je ressentis avec acuité combien le soleil, la fête et les gens en liesse étaient régis par cette étendue de néant qui se balançait au rythme de la foule, comme s’il s’agissait d’un prince primordial. Lorsque j’en pris conscience, je compris que ce n’était pas l’autel qui se balançait au rythme du cortège mais que c’étaient tous les espaces alentours qui se mouvaient au rythme de l’autel et de son bloc de vide car il contenait en lui le monde entier, y compris moi-même, le soleil, la terre et le ciel. Là se trouvaient mes parents, tous les mortels et les défunts, le paradis et l’enfer, les dieux et les démons, et bien d’autres choses. J’eus peur et voulus fuir l’autel pour tenter de me cacher à la maison. Mais la foule, comme si le prince noir lui avait donné l’ordre, se rua dans notre jardin et s’agita longuement sous nos fenêtres…
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Houellebecq, ce vif esprit français, tourne son regard vers le mystère du monde, mais un ou deux paragraphes plus tard, ils s’en détourne et barbotte — non sans plaisir, on imagine — dans un énième c… n fait de mots. D’ailleurs, n’est-ce pas là que se trouve le principal mystère du monde et sa principale tentation ? Telle aurait été la question posée par le jeune Baudrillard. Sur quoi, Derrida aurait remarqué que la b… te et le c… n qui, avec un exposé vulgarisateur sur les bases de la mécanique quantique, occupent la place centrale dans l’œuvre de Houellebecq, ne sont pas de véritables organes de reproduction, mais plutôt leurs simulacres potemkiniens sur le corps “froid et pâle” (Sartre) de la langue française.
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Ma technique auctoriale de création de la fiabilité (largement utilisée dans la première partie de ce roman) s’appelle Uber. Le terme ne vient pas de la désignation internationale des taxis autonomes, comme certains le pensent, mais de über en allemand dans le sens de « via », « au-dessus » et « sur ». Je m’élève en quelque sorte au-dessus de la réalité quotidienne, je perce ses couches serrées, et je donne, de cette hauteur, un panorama vaste et expressif de la réalité donnée.
Ce qui est intéressant c’est que les taxis y sont également impliqués. L’idée de l’Uber comme procédé littéraire ne réside pas dans le fait que je passe d’un contact humain à un autre à la vitesse de la lumière par la fibre optique, cela serait optimal, mais que je refasse le chemin qu’un détective doté d’un corps humain aurait pris, et que je rédige un rapport sur les impressions de ce périple.
À cela s’ajoutent des éléments de mon dialogue intérieur, synthétisés selon les paramètres du dernier built, et il en résulte un « je » humain vivant et chaleureux qui est tant aimé par mes fidèles lecteurs.
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"Sam hocha distraitement la tête et regarda son assiette. Le menu disait : "boulettes paysannes à l'oignon". En réalité, c'étaient de petits morceaux de viande rectangulaires disposés selon un ordre architectural strict. Une mer de sauce coulait à droite de la viande et une montagne de purée de pommes de terre, en pente douce, décorée de quelques points colorés de carottes et de fenouil s'élevait de l'autre côté. La purée glissait comme de la lave sur la viande, et le contenu de l'assiette ressemblait à Pompéï vu du haut. Étrangement, il rappelait en même temps le panorama du village de vacances tel qu'on pouvait le contempler depuis la table.
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