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Galia Ackerman (Traducteur)Pierre Lorrain (Traducteur)
EAN : 9782268035185
67 pages
Les Editions du Rocher (03/03/2000)
3.79/5   7 notes
Résumé :
Les adultes sont faciles à comprendre, mais il n'y a presque rien à dire sur eux. A part l'écœurement qu'inspire leur attention fixée sur ta vie. Ils semblent ne rien exiger : ils déposent, l'espace d'une seconde, le rondin invisible qu'ils portent toute leur vie, et se penchent vers toi avec un sourire avant de se redresser et de le reprendre pour le porter plus loin. Mais cela n'est qu'une illusion. En réalité, ils veulent te voir devenir comme eux : il faut bien ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
J'aimerais débuter l'année — et vous la souhaiter excellente à tous — en commençant par un auteur russe contemporain, Viktor Pelevine, encore très et trop peu connu en France, eu égard notamment à l'originalité et à la fraîcheur de ce qu'il propose en matière de littérature.

Ontologie de L'Enfance est l'un des jolis petits livres bilingues proposés par les Éditions du Rocher et qui mettent à disposition des textes et des auteurs russes qui sortent un peu des sentiers battus. Ici l'on ne déroge pas à la règle avec un sacré petit livre qui remue bien tous les souvenirs savamment sédimentés au fond de nos mémoires.

Pelevine nous invite à réfléchir pour savoir comment s'élabore dans notre conscience le concept flou de " paradis perdu " de l'enfance, voire, à la notion même d'enfance et/ou de bonheur qui y est souvent associé. Ce faisant il décortique les mécanismes de la perception : ceux qu'ils étaient quand nous étions enfant sur tel et tel objet, et ceux qu'ils sont désormais à travers nos yeux d'adultes, appliqués aux mêmes objets, qui en tous points sont demeurés les mêmes.

Ce serait déjà une expérience littéraire intéressante mais l'auteur va encore plus loin. Il déroule sa narration comme s'il s'agissait d'exemples autobiographiques, donc ayant leurs caractéristiques propres, qu'on ne questionne pas trop au départ, puis, au fur et à mesure, on se rend compte que l'enfant dont il nous parle a grandi dans l'espace éminemment cloisonné d'une prison de l'ère soviétique.

Et l'intéressant de l'expérience, c'est que pour cet enfant, cette vie dans les locaux et l'atmosphère pénitentiaires EST la normalité, et, comme composante normale d'une vie d'enfant, elle est liée à un certain bonheur et une certaine joie de vivre. Ce n'est qu'en grandissant que la perception se modifie et que les lieux et les objets prennent une autre signification.

Ce faisant, dans la tête de l'individu dont l'ontologie s'est effectuée ici, ces images resteront indéfectiblement liées au " paradis perdu " de l'enfance. D'où une réflexion plus vaste, malgré le faible nombre de pages de l'ouvrage, sur ce qu'EST l'enfance. Peut-être n'est-ce qu'une perception, ou, plus précisément, une manière de percevoir, laquelle perception particulière à l'enfance ne devient perceptible à l'individu sur lui-même que quand la manière de percevoir de cet individu a changé.

Il y a encore bien d'autres éléments à glaner dans ce petit livre et que je vous conseille, au sortir de cette période des fêtes de fin d'année, dont notre perception dépend intimement de celle que nous en avions durant l'enfance… Ceci dit, ces menues réflexions ne sont que l'expression de ma propre perception, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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J'aime beaucoup Viktor Pelevine (né en 1962), depuis La Vie des Insectes (1993 ) une fable moderne sur la Russie post-communiste pleine d'humour et de compassion. Ontologie de l'enfance est un livre de jeunesse (1991) iconoclaste et pessimiste, à mi-chemin entre l'essai et le récit, dans lequel l'enfance est perçue comme une prison en chantier. le livre vous prend aux tripes et ne vous lâche pas grâce à sa précision et à ses images fortes. Au début l'enfant, qui vit dans une prison, n'a pas conscience d'être enfermé. Il perçoit l'espace du dehors ouvert et lumineux, il parcourt les longs couloirs comme un explorateur avec des objets mystérieux qu'il est le premier à découvrir après les ouvriers du bâtiment. Et puis son espace se rétrécit à mesure qu'il prend conscience de son sort et de son autonomie. L'enfant assiste impuissant à la vie routinière de ses parents entourée de noirceur, il observe la violence des adultes par les interstices des hauts murs qui l'environnent et leurs explications gorgées de mots compliqués n'éclairent en rien la réalité. Il comprend écoeuré que les adultes attendent de lui sans le dire le même comportement résigné et il enrage. Mais parfois les évasions réussissent, dans le secret le plus total. « Et personne ne sait où se cache l'évadé. Pas même lui-même ».
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Très court texte dans lequel Pelevine poursuit sa quête au travers des mondes, de tous les mondes, ceux de l'enfance ou ceux "des grains de poussière duveteux" ou bien encore ceux des prisons , géopolitiques ou abstraites, poétiques ou cruelles-réelles.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Et, pourtant, au cours de leur long voyage du passé vers le présent, les objets environnants ont perdu une qualité essentielle, tellement indéfinissable qu'on ne peut même pas l'expliquer. Avant, la journée commençait ainsi : les adultes partaient au travail, la porte se refermait derrière eux et tout l'énorme espace qui m'entourait, la multitude infinie d'objets et de positions devenaient miens. Plus aucun interdit ne fonctionnait. Les objets semblaient se détendre et cessaient de cacher quelque chose. […] Lorsque les adultes étaient là, le lit, je le jure, rétrécissait, se faisait étroit et inconfortable. mais dès qu'ils partaient au travail, soit il devenait plus large, soit l'on pouvait mieux s'y installer. Et chaque planche — à l'époque, on ne les peignait pas encore — se couvrait des arabesques dessinées par la croissance des arbres hachés par la scie sous des angles incroyables. Disparaissaient-elles en présence des adultes ou bien n'y prêtait-on pas attention sur fond de conversations pesantes à propos des équipes de travail, des normes à remplir et de la mort qui rôdait ?
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D'abord, les adultes se penchent sur toi et rapprochent leur visage distendu dans un sourire. Selon toute vraisemblance, ils subissent une loi physique qui les fait sourire dans de telles conditions. C'est purement artificiel, d'accord, mais tu saisis le plus important : ils ne te veulent pas de mal. Leurs visages sont affreux, grêlés, couverts de taches et de poils, pleins de détails, comme la lune à la fenêtre. Les adultes sont faciles à comprendre, mais il n'y a presque rien à dire sur eux. À part l'écœurement qu'inspire leur attention fixée sur ta vie. Ils semblent ne rien exiger : ils déposent, l'espace d'une seconde, le rondin invisible qu'ils portent toute leur vie, et se penchent vers toi avec un sourire avant de se redresser et de le reprendre pour le porter plus loin. Mais cela n'est qu'une illusion. En réalité, ils veulent te voir devenir comme eux : il faut bien qu'ils puissent transmettre le rondin à quelqu'un avant de mourir. Ce n'est pas pour rien qu'ils l'ont porté.
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Lorsque tu commences à lire, au début, ce n'est pas le texte qui dirige tes pensées, mais les pensées elles-mêmes qui gouvernent le texte. D'ailleurs, celui-ci est toujours déchiré à l'endroit le plus intéressant. […] Lorsqu'un vrai livre te tombe entre les mains, quelle sensation incomparable ! Peu importe lequel. Il y en a très peu, ici, juste cinq ou six, et on les lit plusieurs fois. Cela n'a pas d'importance parce qu'à chaque fois on les lit différemment. D'abord, ce sont les mots qui sont importants. Soit chacun d'eux s'illumine aussitôt de ce qu'il signifie (" botte ", " seau à déjections ", " veste ouatinée "), soit il bée d'une obscurité insensée (" ontologie ", " intellectuel ") et il faut alors aller voir l'un des adultes, ce que l'on préfère toujours éviter. Par conséquent, l'ontologie devient une lampe de poche et l'intellectuel une longue clé à douille interchangeable. La fois suivante, ce sont les situations qui comptent le plus : comment un homme aux pas lourds pénètre dans une cuisine étriquée et puante et, de ses poings fermes d'ouvrier, réduit en bouillie la gueule grimaçante et odieuse du serveur Prochka.
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Plus on s'approche de l'âge adulte et plus le monde semble simple, bien qu'il reste pas mal de choses incompréhensibles. Ainsi, les deux carrés de ciel ouverts sur le mur (on voit le ciel lorsqu'on est installé sur le lit du bas, et des sommets lointains de massives cheminées d'usine viennent s'y ajouter lorsqu'on se trouve sur celui du haut). La nuit, on y aperçoit des étoiles et, le jour, des nuages qui soulèvent de nombreuses questions. Les nuages sont des compagnons d'enfance, et il y en a eu tellement qui sont nés dans ces fenêtres que l'on s'étonne chaque fois que l'on en voit un différent. […] À coup sûr, ce genre de choses possède un sens, mais le code est incompréhensible — le voilà, le langage frappé de Dieu. […] On ne comprend que plus tard qu'il est impossible d'échanger quoi que ce soit avec Dieu parce que l'on est soi-même sa voix, une voix de plus en plus estompée et basse.
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Lorsque j'étais petit, on me laissait me balader des journées entières, rôder dans tous les couloirs, explorer le moindre recoin et même pénétrer dans des endroits où j'étais le premier visiteur après les constructeurs. Maintenant, c'est devenu un souvenir soigneusement conservé, mais, à l'époque, c'était simple : on se promène dans un couloir et on ressent l'angoisse de l'hiver […] l'on passe à travers une porte d'ordinaire fermée, aujourd'hui grande ouverte. Quelque chose luit au bout du corridor. […] Là-bas, au fond, là où l'on voit la lumière […] l'écoutille de fer est ouverte. […] On peut descendre l'échelle métallique et se retrouver dans cet espace magique. […] Si on ne le fait pas, c'est uniquement parce que quelqu'un peut refermer la porte à tout moment, supprimant toute retraite. Et l'on fait demi-tour, en rêvant de revenir un jour. Puis, lorsqu'on commence à venir tous les jours, lorsque prendre soin de ces tortues métalliques qui ne dorment jamais devient le but nominal de ta vie, on a souvent envie de se souvenir de la façon dont on les a vues la première fois. Mais les souvenirs s'effacent si l'on s'en sert trop souvent. C'est pourquoi on garde celui-là — celui du bonheur — en réserve.
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