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Critiques de W. G. Sebald (114)
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Austerlitz

J'ai fait la connaissance de cet auteur avec Les Émigrants qui ne m'avait pas enthousiasmée mais cependant intriguée suffisamment pour que je revienne à cet auteur. C'est chose faite avec Austerlitz qui aborde le même thème, à savoir le déracinement que les juifs ont dû choisir pour échapper à leur assassinat orchestré par le Troisième Reich. Il s'agit ici non pas de nouvelles mais bien d'un roman qui s'attache d'ailleurs essentiellement à un seul personnage: Jacques Austerlitz. Arrivé en Grande-Bretagne au cours de l'été 1939 à l'âge de 4 ans, en provenance de Tchécoslovaquie, et adopté par un vieux prédicateur non-conformiste gallois et sa femme, il se voit contraint de s'adapter à une nouvelle vie une, nouvelle langue, une nouvelle culture et même un nouveau nom. le roman retrace, à travers le récit qu'il en fait à l'auteur, son parcours pour renouer avec sa véritable identité. C'est proche du récit d'une psychanalyse et c'est ce qui m'a fait penser que ce récit était autobiographique mais il n'en est rien : Austerlitz est d'origine tchèque, Sebald est allemand. Austerlitz est juif, Sebald ne l'est pas (son père était dans la Wehrmacht)…. Comme dans Les Émigrants, le récit est émaillé de descriptions précises de lieux et agrémenté de photographies qui lui donnent un aspect documentaire et contribue à la fascination qu'il a exercé sur moi. L'écriture est un peu surannée, rappelant les grands auteurs du XIXe siècle et la double indirestion du style contribue à nous distancier du vécu d'Austerlitz.

Bien que relativement peu connu dans le monde francophone, je me suis rendu compte que Sebald avait été pressenti pour le prix Nobel. Il est malheureusement mort prématurément à l'âge de 57 ans. Comme Austerlitz, Sebald est retourné dans le néant de l'oubli…

Ce roman m'a permis de mieux apprivoiser le style original de Sebald. Je l'ai trouvé beaucoup plus abouti que les nouvelles des Émigrants et je me promets de poursuivre l'exploration de cet auteur. À ceux qui ne le connaissent pas, je recommande d'en faire la découverte.
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Austerlitz

Exhumer le passé à partir de ses traces. Le roman vertigineux et admirable d’après la catastrophe.



Dans cet ultime roman de W.G. Sebald publié en 2001, traduit en 2002 par Patrick Charbonneau pour les éditions Actes Sud, le narrateur part en voyage comme dans «Les anneaux de Saturne», pour échapper à un malaise diffus, mû par une impulsion incompréhensible. En Belgique, après la visite du jardin zoologique d’Anvers et en particulier de son Nocturama, où des animaux «vivent leur vie crépusculaire à la lueur d’une lune blafarde», ses pas le conduisent dans la gare d’Anvers – lieu qui se confond dans son esprit avec le Nocturama – car les êtres humains y semblent rétrécis sous la hauteur extraordinaire de la verrière et portent sur leurs visages la même expression d’accablement que les bêtes du zoo.



La suite sur mon blog ici :
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Austerlitz

C'est un récit difficile. Sans doute dû au style souvent indirect : des phrases longues délivrant plusieurs informations à la fois. Deux mots ont surgi de mon esprit : mathématique et liquide. On y parle d'architecture. Il est beaucoup question de la ville et des gares ferroviaires. La ville scellées par son passé, une sorte de labyrinthe de la mémoire, avec ses cimetières. A l'opposé, la gare. On y arrive et on y part. Deux mondes qui se heurtent : la mémoire et le temps au mouvement et à l'infini. C'est comme une pulsation. L'auteur utilise la langue comme signe et mystère. Elle témoigne. Des photographies sont dispersées afin d'apporter un gage d'authenticité à la quête identitaire de ce prénommé Austerlitz, homme déraciné.
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Austerlitz

Suite de réflexions induite par des associations d’idées libres, circulations presque aléatoires entre des lieux comme Londres, Prague, Theresienstadt, Paris, Anvers… en compagnie de deux amis férus d’architecture. Leurs rendez vous espacés dans le temps entraînent le lecteur dans leur sillage, ballottés au gré des aléas de la vie, des hasards des retrouvailles. L’amitié grandissante entre ces deux hommes permet la lente éclosion de la parole et aux souvenirs de survenir.

Jacques Austerlitz, un homme sans racines, sans mémoire, sans famille, seul au monde, grâce à un ami écrivain attentionné, attentif, respectueux peut affronter la plus difficile des quêtes, celle de ses origines.

La traversée de souffrances mentales innommables que les traumatismes de la guerre, des déportations successives subies par les parents font peser sur les survivants est incroyable. Ce livre est un témoignage bouleversant mais c’est peu de le dire ainsi.
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Austerlitz

Étrange ouvrage que cet Austerlitz à la fois fascinant et oppressant. Sebald met en scène un personnage énigmatique qui croise régulièrement la route du narrateur à qui il fait partager son immense culture et ses souvenirs. La forme est tout à fait inhabituelle; phrases sans fin, sans paragraphes ni alinéas dans lesquelles l'auteur joue de ce suspense que la langue allemande favorise en permettant de toujours repousser le verbe, laissant ainsi planer un doute sur le sens même de la narration. Ce flux logorrhéique n'est interrompu que par des photos, des bribes qui aident à construire le souvenir, à faire émerger les moments de vie aux côtés de faits qui semblent non triés. De cette reconstruction minutieuse de la mémoire finit par émerger une vérité, un drame, une histoire à la fois singulière et universelle.
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Austerlitz

Il y a peu, j'ai relu Austerlitz.

Il n'est pas fréquent que je relise.

Voici ce qui m'y a amené.



Robert Desnos est mort à Terezin en juin 1945. Après avoir lu la Légende d'un dormeur éveillé, je me suis souvenu que Sebald en parlait dans Austerlitz et dans mon souvenir c'était au début du livre. Ma mémoire me jouait des tours. Le camp dont parle d'abord Sebald est celui du fort de Breendonk, en Belgique. Terezin n'est décrit que bien plus loin. Alors, au lieu de feuilleter le livre afin de retomber sur cette description, je suis mis à tout relire.

Et mon chemin de redécouverte du livre, dont j'avais oublié des parties entières, est venu curieusement en contrepoint de la recherche des origines qui est son objet.

Je crois que mon plaisir de lecture fut encore plus grand que la première fois. Austerlitz est probablement le plus linéaire des livres de Sebald. Même si les réflexions d'une grande hauteur de vue sur l'histoire de l'humanité abondent, notamment à partir de l'architecture des gares ou de l'entomologie, le travail de mémoire, dans le cas si douloureux d'un événement traumatique primordial, guide toute l'oeuvre.

Le génie de Sebald est de nous emmener dans ce parcours de nature éminemment psychologique sans parler de psychologie, indirectement, par les récits que fait Austerlitz au narrateur.

Un art subtil, une empathie d'une infinie délicatesse: voilà pourquoi j'aime tant Sebald.
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Austerlitz

On retrouve très souvent deux mots dans ce texte (qui est un roman d'après le quatrième de couverture) et c'est « Austerlitz dit », un peu à la manière du « Pereira prétend » de Tabucchi (on y rencontre d'ailleurs un Pereira comme personnage secondaire)… Le narrateur y évoque ses rencontres avec un dénommé Jacques Austerlitz. Arrivé en 1939, vers l'âge de cinq ans, dans la sinistre famille d'un pasteur gallois nommé Elias, dont il portera le nom, Austerlitz ne se souvient pas de sa petite enfance et semble souffrir déjà d'un manque de sentiment d'appartenance. Scolarisé tôt dans pensionnat, un de ses professeurs entreprendra des démarches pour connaître la véritable identité de son élève, qui toute sa vie cherchera ses origines. Comme toujours chez Sebald, du moins dans les deux autres romans que j'ai lu de lui, tous les éléments de narrations sont imbriqués les uns dans les autres, ouvrant la porte à toutes sortes de digressions apparentes (textes et images) qui finissent pourtant par faire sens. Du grand art.
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Austerlitz

Tout est à lire, à relire, à relire encore et sans fin, dans l’œuvre captivante de W.G. Sebald (1944-2001), où se mêlent étroitement fiction et réalité, narration et méditation, autour des thèmes de l’exil et de la destruction.
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Austerlitz

« Sebald, né en Bavière au moment même où Hambourg, Dresde, Cologne, Berlin s’abîmaient dans le feu, a remis sur le métier de nos consciences les interrogations traînantes mais jamais vraiment résolues sur ce moment de l’histoire allemande. Sebald était écrivain, c’est donc assez naturellement que son questionnement a pris des chemins proches de ceux qu’emprunta Dagerman. Mais sa réflexion se déploie bien après que les évènements ont eu lieu, c’est-à-dire dans un temps où l’on peut raisonnablement penser que la mémoire et la littérature ont pu officier. Dans une série de conférences prononcées en 1997 et réunies plus tard en un volume intitulé De la destruction comme élément de l’histoire naturelle (…), Sebald constate que non, la littérature est restée muette, ou quasiment, ce qui n’est pas sans signification. A l’exception, dit-il de deux romans : l’un, la Ville au-delà du fleuve de Hermann Kasack, publié en 1947, connaît aussitôt un grand succès en Allemagne et sonne étrangement vide, lu de ce côté-ci du Rhin soixante ans plus tard, même si ce vide est évidemment davantage le reflet de la glaciation profonde dans laquelle sont saisis les hommes et les lieux du livre que d’une vacuité de propos ; l’autre, Le Silence de l’Ange, de Heinrich Böll, a été écrit entre 1949 et 1951 mais publié seulement en 1992. Et, de fait, ce dernier se tient au plus près de la décomposition matérielle et humaine qui accable l’Allemagne et fait errer dans les ruines d’une ville sans nom deux êtres vidés de leur substance, sorte d’écho vaincu, éteint, des deux protagonistes du film de Douglas Sirk. Mais il n’a été publié que près de cinquante ans après avoir été écrit, et dix ans après la mort de son auteur. Le temps n’est pas encore passé explique sans doute en partie cette impression de vide qui sonne le roman de Kasack, celui qui est passé dans le silence et dans la peine, l’impression d’hébétude quasi ataraxique qui envahit le livre de Böll. Pareil retard de publication vaut pour un Voyage de Hans Gunther Adler, rédigé en 1950 péniblement publié en 1962 en Allemagne dans une indifférence de plomb, même s’il fut salué par Elias Canetti ou Heimito von Doderer, dont la force insolite et le constant décalage du regard sur les faits mit des années à s’imposer (la traduction française datant de 2011). Il n’est pire sourd… Il reste que le constat dressé par Sebald, qui a par ailleurs écrit une œuvre considérable sur la mémoire européenne dans sa langue natale mais depuis l’Angleterre où il vivait, est sans appel :’(…) il semble que nous, Allemands, soyons devenus aujourd’hui un peuple étonnamment coupé de sa tradition et aveugle face à son histoire.(…) Et lorsque nous regardons en arrière, en particulier vers les années trente à cinquante, c’est toujours pour détourner les yeux de ce que nous voyons.’ Plus loin il ajoute : ‘Il m’apparaît que si les écrivains allemands de toute une génération ont été dans l’incapacité de rendre compte de ce qu’ils avaient vu et de l’inscrire dans notre mémoire, c’est, dans une large mesure, parce qu’ils étaient principalement soucieux de retoucher l’image qu’ils livreraient à la postérité.’ Fermez le ban. » Mathieu Riboulet, Les œuvres de miséricorde, 151 pages, Ed VERDIER 2012, pages 101-102
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Austerlitz

Par cette lecture, je découvre l'écriture de W. G. Sebald, et je me félicite d'avoir lu cet ouvrage dans sa totalité, car il s'agit d'un livre qui se mérite. Je pense d'ailleurs que si je n'étais pas venue à bout du roman "Du côté de chez Swann" de Marcel Proust, j'aurais éprouvé de grandes difficultés à lire Austerlitz. Le roman est déjà épais (environ 350 pages) les caractères assez petits. Les phrases sont souvent longues. Le texte rédigé d'un seul tenant, sans paragraphes ni chapitres. Beaucoup de références littéraires ou historiques; des citations en tchèque, allemand ou anglais (non traduites)... Enfin, la lecture est encore rendue plus complexe par les digressions du principal protagoniste, Austerlitz, et l'introspection qu'il mène. Le sujet est grave, voire dramatique, car l'histoire tourne autour de la shoah, la quête d'une identité, l'implosion de familles, sans compter sur des aspects sordides : spoliation des juifs, ou les machinations terribles des S.S. déportant et massacrant ces populations, hommes, femmes ou enfants. Que de vies brisées! même pour les survivants, pantins déracinés malmenés à jamais par l'existence, victimes de leur passé ou de secrets inavouables.

Un très beau livre, malgré sa noirceur. Une superbe découverte. Une lecture qui laisse des traces. Authentique roman? Biographie? J'ai des doutes, qui sont fondés puisque les photos et illustrations sont présentes en très grand nombre tout au long de l'ouvrage, dès l'illustration de couverture d'ailleurs qui est une photographie issue des archives de l'auteur.



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Austerlitz

Dans une jambe amputée, le cerveau continue à envoyer des sensations-fantômes.

Dans la vie de son double, un jumeau prématurément disparu déploie l'ombre de la mort à jamais.

On a beau la fuir, une histoire traumatique finit toujours par ressurgir à l'instar des réflexes douloureux qui jaillissent dans le membre amputé.

C'est ce qui nous (ré)apprennent les vagues de souvenirs enfuis de Jacques Austerlitz, « Juif errant » hanté par des sensations-fantômes et par l'ombre de la mort, dans le superbe livre de W.G. Sebald.



Lecture contrariante, aussi belle qu'exigeante, s'adressant à l'inconscient du lecteur plutôt qu'à sa raison, et l'emportant dans des tourbillons d'associations et de signes qui se font et se défont dans une dynamique liquide.



Un narrateur admiratif (exécuteur testamentaire en ordre symbolique) nous donne à lire le processus tardif (et demeurant fictif, car en grande partie impossible) de recouvrement de la mémoire chez un orphelin de guerre. La conscience de sa judaïcité, redécouverte à l'âge adulte, et les échos embrumés de la petite enfance se réveillent chez Austerlitz en lien avec l'art et l'image, à travers le sentiment d'appartenance à un patrimoine partagé, qui semble nourrir l'illusion indispensable de toute reformulation du soi.



La culture servant de béquille pour un vécu devenu inaccessible, on suit la pensée d'Austerlitz opérant à travers un regard érudit, qui caresse les surfaces et les volumes, s'attarde sur toutes les catégories du vivant, sur leurs empreintes, leurs épaves et leurs traces pour y extraire des souvenirs lointains, émiettés, voire chimériques, du passé. Discours déployés dans des espaces magnifiés ; paysages dé-réalisés ; tissus urbains révélant leur étrangeté poétique ; le regard des animaux enfermés dans leurs cages de zoo ; les récits des autres, témoins de la disparition de ses parents ; dans la lecture d'Austerlitz, le monde gagne l'allure inquiétante d'un artefact guetté par la décrépitude et le chagrin.



L'art gothique codifiait le dogme, le traduisant en géométrie architecturale ; Sebald réussit à développer fastueusement toute une topographie subjective afin de dire l'Absence : « Aussi loin que je puisse revenir en arrière, dit Austerlitz, j'ai toujours eu le sentiment de ne pas avoir de place dans la réalité, de ne pas avoir d'existence » (p. 219). « Il ne m'était visiblement pas d'un grand secours d'avoir découvert les sources de ma perturbation ni d'être capable de me voir moi-même avec la plus grande acuité, tout au long de ces années révolues, en petit garçon coupé du jour au lendemain de sa vie familière : la raison ne prenait pas l'ascendant sur le sentiment d'avoir été rejeté et effacé de la vie » (p. 271).



A travers la figure d'Austerlitz, en quête de son histoire occultée par L Histoire, Sebald nous offre une véritable phénoménologie de la mémoire traumatique et du souvenir refoulé, ennoblie d'un éclat pathologique qui confère à son personnage l'aura d'un prince Myshkin et le place dans la généalogie romantique des innocents maudits.



L'écriture qui brouille les frontières des genres littéraires (« Austerlitz » est un mélange d'essai, de témoignage, de confession et de carnet de voyage nous évoquant Balzac et Stendhal, Proust, Kafka et Perec...), sert à perfection la description de cet univers fluctuant, changeant, incompréhensible, manquant de fondation : le monde d'Austerlitz et tout autant le nôtre...



Car tout le savoir du monde ne saurait racheter la chaleur d'une famille perdue et des parents disparus :



« Plusieurs fois il est également arrivé, dit Austerlitz, que des oiseaux égarés dans la forêt de la Bibliothèque aient foncé sur les arbres se reflétant dans les vitres et soient tombés raides morts après un choc sourd. Assis à ma place dans la salle de lecture, j'ai souvent réfléchi au lien qui existe entre de tels accidents imprévisibles, comme la chute mortelle d'une créature qui s'est écartée de sa voie naturelle ou encore les symptômes récurrents de paralysie affectant le réseau informatique, d'une part, et la conception d'ensemble, cartésienne, de la Bibliothèque nationale, de l'autre ; et j'en suis arrivé à la conclusion que dans chacun des projets élaborés et développés par nous, la taille et le degré de complexité des systèmes d'information et de contrôle qu'on y adjoint sont les facteurs décisifs, et qu'en conséquence la perfection exhaustive et absolue du concept peut tout à fait aller, et même, pour finir, va nécessairement de pair avec un dysfonctionnement chronique et une fragilité inhérente. Pour ce qui me concerne, du moins, moi qui ai consacré une grande partie de ma vie à étudier dans les livres et me sens presque comme chez moi à la Bodleian, au British Museum et dans la rue de Richelieu, cette gigantesque nouvelle Bibliothèque censée être, selon une expression horrible qui maintenant fait florès, le sanctuaire de tout notre patrimoine écrit, a prouvé son inutilité dans l'enquête que j'effectuais pour retrouver les traces de mon père qui se perdent à Paris » (pp. 328-329).
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Austerlitz

C’était toujours comme si toutes les traces se perdaient dans le sable



« Au cours de l’une de ces excursions belges, qui toujours me donnaient l’impression de voyager très loin en terre étrangère, je me retrouvai, par un jour radieux de l’été commençant, dans une ville qui jusqu’alors ne m’était connue que de nom, Anvers ».



Portait d’un homme, d’un émigrant dans le siècle. Une recherche traduite en un texte dense et lumineux. Le temps non-paisible des quotidiens effrités. Connaissez-vous Terezin, Prague, le ghetto de Theresienstadt… ?



Derrière ce portrait, la mémoire de celles et ceux, vaincu-e-s ou oublié-e-s de l’« Histoire », celles et ceux qui furent pourchassé-e-s, déplacé-e-s, déporté-e-s, concentré-e-s ou exécuté-e-s.



« Vera se rappelait aussi la petite fille de douze ans au bandonéon à qui elle m’avaient confié, l’album de Charlot acheté au dernier moment, les mouchoirs blancs claquant au vent, comme l’envol d’une nuée de colombes, avec lesquels les parents restés à quai avaient fait signe à leurs enfants, et l’impression étrange qu’elle avait eue de voir le train, après qu’il se fut mis en branle avec une infinie lenteur, non pour s’éloigner mais sortir de la verrière et là, à peine à mi-distance, se volatiliser ».



Un récit d’un très grande beauté.
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Austerlitz

De Sebald, j’avais déjà lu Les Anneaux de saturne, et je me suis replongée avec plaisir dans ce style si particulier, aux phrases étirées sur des dizaines de lignes, parfois sur des pages entières, sans que le propos perde sa limpidité.

Les thèmes abordés dans ce roman sont le temps (et la proposition d’une conception non linéaire de celui-ci), la Shoah, la mémoire traumatique ou encore la quête des origines.

Au fil du récit enchâssé de Jacques Austerlitz qui raconte à un narrateur anonyme son histoire et sa quête, les souvenirs des personnages s’accumulent jusqu’à former des strates très denses et enchevêtrées. La chronologie des événements se trouve brouillée, le passé s’immisce dans le présent et le lecteur est aspiré dans le vertige du temps éclaté et déréglé propre au traumatisme.

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Austerlitz

Le génie de W. G. Sebald, déjà salué de son vivant, se retrouve dans l’un de ses derniers romans : Austerlitz. Les thématiques du voyage et de la crise identitaire - chères à l’auteur - s’y retrouvent. Le narrateur - dont la ressemblance avec l’auteur est frappante - se fait le dépositaire de l’histoire d’Austerlitz, un émigré Juif à la recherche de ses origines. La force de ce roman réside dans le style alternant écriture de fiction et écriture scientifique, historienne. De fait, la quête dans le passé d’Austerlitz n’est pas seulement documentée et rattachée à l’Histoire, c’est aussi un témoignage de ses souffrances et de ses états d’âme. A la recherche de ses origines et du mot juste, Austerlitz est l’incarnation de l’écrivain-artisan sensible à la langue mais dont sa propre plume lui est devenue étrangère. Bien que la structure soit très travaillée avec des récits enchâssés, l’absence de découpage en chapitres oblige une lecture assidue de la part du lecteur, entraîné à son tour dans la quête d’Austerlitz. Dans une harmonie imitative, les phrases s'enchaînent d’une manière si fluide qu’elles épousent parfaitement le mouvement des pensées des personnages, leurs nombreux déplacements ainsi que le flot continu des paroles d’Austerlitz. Voyage dans le temps, l’espace et l’esprit, Austerlitz est un récit bouleversant au nom des âmes déracinées, prises de vertiges face à la réminiscence de leur passé. Dès lors, il ne s’agit plus de connaître l’Histoire, mais son histoire.
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Austerlitz

Austerlitz n'est pas simplement un roman sur la guerre et ses conséquences, il questionne aussi la mémoire et l'identité. Au niveau des souvenirs, l'homme est parfois aussi efficace que l'écureuil qui au printemps ne se rappelle plus les endroits où il a mis sa nourriture tant il l'a éparpillée dans tous les coins. Il y a toujours des choses qui restent enfouies, introuvables, condamnées à l'oubli. Le récit a pour but la reconstruction des origines du sujet. le morcellement des origines a vraisemblablement été causé par un refoulement. L'Histoire enterre L'Histoire. C'est un roman qui montre bien à quel point nous sommes des produits du temps, mais d'un temps qui ne s'achève jamais, qui se répète, qui se fait oublier et redécouvrir quelquefois. Splendide roman!

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Austerlitz

Je suis tombé sur les écrits de WG Sebald pour la première fois par accident. J'étais dans ma bibliothèque habituelle lorsque je suis tombé sur un livre, Les Anneaux de Saturne, dont la typographie et la qualité de production m'ont tellement intrigué que, même s'il ne pouvait en aucun cas être décrit comme un guide conventionnel, je l'ai emporté avec moi.

J'ai été immédiatement hypnotisé par le curieux style de prose, si plat et ostensiblement sans conséquence, qui décrit une sorte de monologue intérieur méditatif, pas du tout le monde tel qu'il est vu et décrit par une personne ordinaire, mais une vision du monde vue à travers un verre sombre et réfracté à travers l'imagination étrange et parfois inconfortable d'un professeur de littérature allemande dyspeptique et exceptionnellement bien informé, d'âge moyen, dont on présume qu'il n'a jamais été marié et qui décide de faire une longue promenade sans but sur les rives d'une rivière du Norfolk méditant sur des aspects de son histoire et sur ce qu'il voit en chemin.

Austerlitz est, à bien des égards, un autre tour de force littéraire, utilisant le même langage de mélancolie prolongée et ostensiblement sans conséquence pour décrire la vie de quelqu'un qu'il rencontre pour la première fois à la gare d'Anvers en étudiant l'architecture de sa salle d'attente.

Il est impossible de dire dans quelle mesure ce récit, le cas échéant, est vrai, bien qu'il soit illustré avec des photographies floues et grises de personnes et de lieux, ce qui lui confère de la véracité, surtout l'image du narrateur lui-même, avec ses cheveux ondulés distinctifs, regardant curieusement le photographe et habillé comme pour une soirée déguisée à Prague juste avant la guerre.

Le récit, s'il est vrai, est remarquable. Le héros du livre, ou plus exactement l'anti-héros puisqu'il ne fait essentiellement rien de particulièrement utile de sa vie, est né à Prague, fils d'un chanteur d'opéra au succès modéré et directeur d'une petite usine de fabrication de pantoufles qui était également actif dans la politique de gauche.

La montée du parti nazi en Allemagne et l'invasion allemande de la Tchécoslovaquie qui a suivi ont obligé son père à fuir à Paris, pour ne plus jamais être revu ni entendu, ses lettres à sa famille étant confisquées par les autorités allemandes. Sa mère a réussi à faire en sorte que son fils soit envoyé à Londres. Il a été adopté par un prédicateur non-conformiste et sa femme, près de Bala dans le nord du Pays de Galles.

Le garçon, intelligent, est allé dans une petite école publique qu'il n'aimait pas du tout, et a été encouragé par son professeur d'histoire à aller à Oxford. Après avoir étudié la classification de l'architecture officielle du XIXe siècle à l'Institut Courtauld, il obtient un poste d'enseignant dans un établissement dont le nom n'est jamais tout à fait clair, tout en vivant dans une petite maison mitoyenne dans l'East End de Londres.

La base de la fiction, s'il s'agit d'une fiction, est que l'auteur et le narrateur se rencontrent périodiquement, non seulement à Anvers, mais aussi au bar de l'ancien Great Eastern Hotel à Liverpool Street Station, à Londres, et dans un café à Paris. .

Par de longs récits sombres et délabrés de sa vie qui ont parfois le caractère d'histoires de chiens hirsutes, le narrateur construit un sens de sa personnalité qui est essentiellement profondément mélancolique, dépourvu de toute amitié, sauf celle d'une fille de la bibliothèque qui l'a pris en pitié et part en vacances avec lui à Marienbad.

Qu'allons-nous faire de cela ? À certains égards, le récit est emblématique de nombreuses vies ostensiblement inefficaces, d'une intelligence académique gaspillée dans un projet intellectuel grandiose qui nécessite des années de prise de notes mais ne débouche jamais sur le grand livre qui aurait dû en résulter, jusqu'à ce que le narrateur décide de brûler toute l'accumulation de matériel dans un petit feu de joie dans le jardin de sa maison mitoyenne. Mais, en même temps et d'une manière très particulière, le livre donne un sens étrangement transcendant et hypnotique de la puissance de l'histoire et de la relation entre un individu et les accidents de sa vie.

Je n'ai jamais lu un livre qui offre un récit aussi puissant de la dévastation provoquée par la dispersion des Juifs de Prague et de leur traitement par les nazis. Austerlitz ne parvient pas à donner un sens à sa jeune vie brutalisée alors qu'il erre dans le camp de concentration de Terezen, où sa mère était enfermée, ce qui le fait s'effondrer lorsqu'il se souvient plus tard de ce qui s'est passé.

Et j'ai lu peu de livres qui offrent un sens aussi intense du lieu et de la relation des bâtiments à leur histoire, y compris, par exemple, une description hypnotique de la façon dont Austerlitz découvre les rues où il est né, ainsi que des lieux particuliers, de Gare d'Anvers jusqu'au cimetière d'un quartier de Londres.

Sebald décrit un univers particulier mais reconnaissable, la façon dont l'expérience du monde peut être façonnée par une intelligence fortement académique et historique.

Son style de prose est distinctif dans la longueur de ses phrases et le léger archaïsme de la manière, la monotonie de ses cadences . Mais je recommanderais fortement à quiconque n'a pas expérimenté son écriture de le faire, car il réussit à communiquer des questions d'une grande importance concernant le temps, la mémoire et l'expérience humaine.

L'inhumanité ne cesse pas.

Ce que Sebald écrit est-il vrai ?

Ce n'est pas important.

C'est la fiction qui est la puissance.


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Austerlitz

Jacques Austerlitz est un homme à qui ses origines, son histoire de famille, ses racines, ont été ôtées, et qui un jour ne peut faire autrement que partir à leur recherche. Il va découvrir l’histoire tragique de ses parents, comprendre comment il fût un jour un autre par la volonté de ses parents adoptifs. Et retrouver comme miraculeusement intacts les souvenirs de sa petite enfance. Et en même temps reconstituer l’Histoire du continent qui est le nôtre.

J’éprouve un sentiment mélangé à cette lecture. C’est incontestablement un très grand livre, sensible et poignant, d’autant plus qu’il évite les facilités, les bons sentiments faciles, qu’il ne condamne ni ne juge, mais se contente de montrer, ce qui est en fin de compte beaucoup plus fort. Jacques Austerlitz ne se plaint, il se contente de dire les choses telles qu’il les vit, sa souffrance n’apparaît que par des symptômes quasi médicaux, et par ce besoin de savoir, de rechercher, quasi obsessionnel qui le possède à tel ou tel moment et qui l’oblige à tous ces déplacements qui lui permettent de recueillir des éléments d’information. Raconter une historie tragique avec dignité et sans pathos et sans vouloir faire couler des larmes, est suffisamment rare pour être une très grande qualité.

Ce qui m’a toutefois posé problème dans cette lecture, c’est l’écriture de l’auteur. Pas sont style à proprement parlé, pas ses mots, qui sont superbes, mais le rythme, la respiration du texte. Pas mal de longues phrases et surtout la quasi absence de paragraphe, ont quasiment provoqué à certains moment un sentiment d’asphyxie, impossible de savoir où arrêter la lecture, et cette prose forte ne permet pas à mon sens une lecture de plusieurs heures car sa densité exige une grande concentration. Et donc j’ai par moment décroché, pas vraiment réussi à intégrer certains passages. J’ai tout de même mieux apprécié la deuxième partie du livre, à partir du voyage à Prague, à partir de là j’ai d’une certaine façon réussi à trouver mon rythme, et j’ai d’avantage était aspiré par le texte.

Je ne regrette absolument pas d’avoir fait cette lecture, même si elle m’a demandé un effort appréciable, et je suis pas sûre d’avoir complètement intégré tout ce que j’ai lu, et je ne me sens pas prête dans l’immédiat à reprendre ce livre.

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Austerlitz

L'histoire de cet homme, Austerlitz, qui après des années de recherches, apprend qu'il a été, enfant, évacué avec des centaines d'autres, vers l'Angleterre pour fuir guerre et persécutions.

Juxtaposant un style romanesque avec des documents photographiques, l'auteur livre ici la vie romancée d'un émigrant déraciné, Jacques Austerlitz, qui n'a connu son vrai nom que lorsqu'il fut adolescent.

Cela avec le récit de déambulations à travers l'Europe, des réflexions sur l'architecture, une belle écriture, lecture un peu ambitieuse.
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Austerlitz

Austerlitz ....

Grande victoire napoléonienne .....combien de personnes peuvent se vanter d'avoir ce patronyme pas banal ?

Des personnes au destin hors du commun sans doute...on comprendrait mal que de tels personnes restent dans l'ombre...

Jacques Austerlitz, personnage principal de ce livre de W.G Sebald est l'un de ceux-là, un érudit, un passionné, un philosophe, un homme à la recherche de son passé, de celui de sa famille...Quelle a été sa vie avant l'âge de 4 ans 1/2? ....S'est-il toujours appelé Austerlitz? A t-il toujours vécu au Pays de Galles, dans une famille de pasteur?.

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Un homme qui page après page reconstruit sa mémoire, cherche à comprendre son passé et celui de ses parents, depuis le Pays de Galles, jusqu'à la Tchécoslovaquie, en passant par l'Allemagne, Paris, Londres....et d'autres encore...une mémoire qui se construit par la visite de lieux, de bibliothèques, de villes, de fortifications, par des rencontres avec d'autres passionnés, par des croisements entre L Histoire et l'actualité du moment, entre ses connaissance et celles de ses interlocuteurs, par des lectures, par un travail d'enquête.

Le narrateur qui eu Jacques Austerlitz comme instituteur, s'entretient avec lui. Jacques est maintenant chargé de cours dans un institut d'histoire de l'art londonien....mais il a eu tant d'autres centres d'intérêts, tant d'autres passions, tant d'autres vies, tant d'autres métiers

Un livre passionnant, qui "se mérite", pas facile à lire et à suivre...déstabilisant parfois..les narrateurs se croisent, leurs propos se suivent,...les connaissances de Jacques, se mêlent à celles du narrateur, ou de personnes rencontrées.

Aucune des personnes que rencontrera Jacques n'est banale. Toutes ont une foule de connaissances, sont passionnées, par un lieu, une ville, une fortification ...elles ont une histoire, une vie à raconter...elles sont presque obsédées chacune dans leur coin par des insectes ou des papillons, des perroquets, l'histoire de villes, des gare, de cimetières, d'immeubles tranquilles aujourd'hui mais qui ont été des lieux de torture, de déportation...

Austerlitz nous force à réfléchir quant à la vanité de l'homme et de certaines constructions humaines, des forteresses obsolètes et dépassées par le progrès quand elles sont achevées, construites pour défendre et utilisées finalement pour tuer des innocents, des bibliothèques modernes construites pour promouvoir la culture...et laisser la trace dans l'histoire de leur initiateur, et finalement inadaptées pour la promotion de la culture...un livre fait pour rappeler un passé qu'on cherche à laisser de côté, l'importance des traces du passé à ne pas oublier...message d'un auteur allemand anti-nazi

Chaque mot est pesé, chaque description de lieu, chaque référence historique ou culturelle est un plaisir...Que de connaissances accumulées, mises à la disposition du lecteur ...peut-être un peu trop complexes, parfois semblant inutilement accumulées.

Une construction du livre pas banale et qui peut être rebutante, certains refermeront ce livre après 20 pages...l'auteur l'a construit sans aucun chapitre, sans paragraphe, sans guillemet..mais on ne lit pas la poésie, la mélancolie, les références culturelles et historiques, les réflexions philosophiques ou sociologiques, la construction de la mémoire "en diagonale".... Non ! on s'accroche!.

J'en sort un peu groggy, mais heureux.
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Austerlitz

Se présentant comme un bloc monolithique, sans chapitre ni retour à la ligne, comme écrit dans l'urgence, dans l'urgence de fixer le récit oral, le souvenir, toutes les traces fugaces de la réalité et de nos vies, tel est Austerlitz. Le texte est intemporel et se fiche des frontières : on passe des années 1930 à Prague aux années 1970 à Paris ou à Marienbad, puis aux années 1940 et 1950 au Pays de Galles avant de revenir dans les années 1990 à Londres ou sur l’esplanade de la BNF ... Plus de frontière donc, ni géographique ni temporelle : l'être seul compte, son expérience, et le récit suit ainsi les pérégrinations de l'esprit qui se raccroche, qui se souvient, qui saisit ce qu'il faut absolument écrire pour ne pas le perdre.



Les photographies représentent une part importante du récit. Elles interrogent les notions de réalité et de fiction. Est-ce un roman ? Un témoignage ? Un documentaire ? Un essai philosophique ? Les photographies induisent un sentiment de réalité et brouillent les pistes : sont-celles de l'auteur, W.G. Sebald ? Sont-elles personnelles ? Ou ont-elles été prises dans le cadre du travail d'écriture ? Les lieux, les objets décrits se matérialisent, existent, sortent du cadre de la fiction. Pour autant, une photographie n'est jamais qu'une image cadrée d'un endroit précis : sous l'illusion du vrai, c'est une réalité tronquée qui est présentée, puisque coupée de son environnement. Partant, les personnages photographiés - la mère supposée d'Austerlitz notamment - posent eux aussi la question de l'identité ? Qui sont-ils ? Cette femme est-elle la mère de Jacques Austerlitz ? La mère de W.G. Sebald ? Une anonyme ? Une célébrité d'antan ? A-t-elle quelque rapport avec cette histoire ?



Ce qui marque également, c’est l’imbrication des personnages, du narrateur et de l'auteur. Le narrateur croise Jacques Austerlitz dans la gare d'Anvers. Ils parlent aussitôt, évoquent l'inutilité des constructions militaires des 18ème et 19ème siècles, trop longues à construire, déjà dépassées par les progrès de l'armement sitôt qu’elles sont terminées. Puis Austerlitz évoque sa vie, sans retenue mais pas sans gêne ni sans pudeur puisqu'il s'arrête parfois. Et comme ni le temps ni les frontières n'existent, si le narrateur et Austerlitz se perdent de vue, un jour, une semaine, un an ou bien vingt-cinq, Austerlitz reprend toujours son récit là où il l'a laissé. Dans le récit se superposent les personnages, leurs récits, leurs voix puisque le narrateur rapporte la parole d'Austerlitz qui, lui-même, reconstruit son passé grâce aux témoignages d'autrui.



Au-dessus d’un récit aussi sensible qu’intelligent, à l’apparence légère et aux accents poétiques, tâchant de saisir la beauté des instants en des descriptions longues, il plane comme une menace constante. C’est la mort qui plane. Elle plane lorsqu’Austerlitz évoque son amitié avec Gerald, qui se tue en avion ; elle plane quand Austerlitz parle avec Véra, sa nourrice praguoise, de ses parents, disparus ou morts. La mort apparaît comme urgence qui exige maintenant de dire et d'écrire, puisque tout est destiné à disparaître.



La quête de l'identité est le thème central du livre. Qui est Jacques Austerlitz (mais aussi : qui est le narrateur, et pourquoi Austerlitz semble se confier si facilement à lui ?) ? Ses premiers souvenirs remontent, au début du récit, à un pasteur gallois et à sa femme dont il ne comprend pas la langue. Rigueur des premières années, sermons chrétiens où pointe une terrifiante eschatologie. Puis les années d'étude, le rugby où il excelle, l'amitié avec Gerald, sa place de professeur d'histoire de l'art, une thèse monstrueuse sur l'architecture monumentale et sociale de la fin du 19ème siècle. Mais Austerlitz s'interroge, lui qui s'est toujours senti un étranger en n'importe quel lieu. Peu à peu s'éclaircissent les pièces d'un puzzle historique et personnel : Jacques, enfant de Praguois francophiles, dont la mère est déportée à Terezin (ancien ghetto de Terezienstadt), le père enfui en France, lui, l’enfant, sauvé par un voyage en Angleterre alors qu'il n'a que 4 ans et demi. Survivant de la guerre et de l'Holocauste, Austerlitz a été néanmoins durablement marqué par cette histoire - pis, il a été changé, construit, modelé par cela. En lui les langues - l'anglais, le français, le tchèque - résonnent, se confondent, ont à voir avec son être profond ; mais, pour autant, polyglotte et homme de toutes les cultures, il est aussi, à sa manière, un apatride, étranger en tout lieu. Si Austerlitz paraît comme un survivant de la guerre, il en est bien une victime.



Austerlitz serait un roman. Il est, à coup sûr, un objet littéraire. Qui puise sa source dans l'histoire la plus sombre du 20ème siècle, dans la folie la plus noire. Inhabituel dans sa forme, il est littéraire dans ses longues phrases sans but autre que celui de la description, serpentant dans les souvenirs, dans les images instantanées aux couleurs et aux contours flous, œuvre de mémoire - puisque, selon l'adage, les paroles s'envolent et les écrits restent - autant que livre qui interroge celle-ci, la remet en question.
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