Dans un premier temps, j’ai éprouvé quelques difficultés à “entrer” dans cette lecture. Il s’agit d’un roman polyphonique où nous alternons des chapitres qui suivent différents personnages évoluant dans une même ville [ou juste à sa périphérie]. Certains sont liés entre eux, de manière consciente ; d’autres, ne se connaissent pas. Toutes et tous se trouveront lié·es d’une manière ou d’une autre. Leur point commun : leur refus de se conformer aux diktats de la société liberticide, autoritaire et patriarcale à laquelle iels appartiennent.
Dans cet État, les frontières sont cloisonnées pour permettre aux habitant·es de vivre le plus confortablement possible malgré le dérèglement climatique et les afflux de migrant·es qui souhaitent échapper à leur vie de misère dans des contrées désertiques ou ensevelies sous les eaux. Suite à l’éradication d’une grande partie de la population, les hommes et les femmes [d’un certain standing, pas les miséreux·euses] sont établis en paires dans le but de remonter la courbe démographique dans le respect des ressources dont la société dispose. Les femmes doivent donc enfanter [et sont harcelées passé 25 ans, si ce n’est toujours pas fait] et les hommes, une fois qu’ils sont pères, doivent aller passer leur service militaire à la frontière pour en défendre le passage. Tout ce qui touche à “l’Ancien monde” a été détruit : livres, films, langage, … pour ne pas susciter l’envie de la population et la pousser à se conformer au nouvel ordre des choses.
Ce livre aborde donc, par le biais d’une dystopie plus proche de nous qu’on pourrait le croire, des sujets qui font déjà débat aujourd’hui : les conséquences du dérèglement climatique, l’accueil des migrant·es, le refus d’enfantement, l’organisation genrée de la société, etc. Il nous montre les dérives dans lesquelles notre absence de tolérance, d’écoute et d’ouverture d’esprit pourraient nous mener.
La plume de Wendy Delorme est très belle : certaines pages dégagent une force et une poésie qui m’ont donné la chair de poule. Les personnages qu’elle nous propose sont tout en nuances : iels refusent ces lois mais doivent pourtant s’y conformer pour survivre et mener leur plan à bien. Iels sont sensibles et nous font réfléchir à nos propres choix de vie. Par leur prisme, l’autrice nous pousse à nous questionner sur nos propres manières d’agir, d’aimer, de consommer. Elle nous met face à nos propres contradictions [en tous cas, c’est l’effet que cela m’a fait].
C’est un ouvrage riche, bourré de références à notre actualité, à des penseurs et penseuses d’hier et d’aujourd’hui dont les références sont présentes en fin d’ouvrage.
Durant la lecture de ce roman, j’avais envie de tendre la main à Eve pour alléger son fardeau de mère célibataire, j’ai admiré Louise pour ses prises de risque et sa volonté de ne pas se conformer, j’ai tremblé pour Raphaël lors de ses excursions nocturnes, … Bref, j’ai vibré au diapason de leur histoire.
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