Cash plutôt que trash. Et en conclusion à sa lecture : jamais violent.
On pourrait lui adjoindre les adjectifs : urgent, disjoncté, dense, agité, brûlant, rageur, déjanté fulgurant, abyssal, et même brutal.
Mais par rapport à quoi ? À qui ? À quelles valeurs ?
Un roman ça ne se soupèse pas, les mots ça vous touchent ou pas.
On pèse les lentilles pas les vies. On trie les lentilles, pas les gens.
Et le roman de
Wendy Delorme m'a beaucoup touché. Parce que cela raconte nos vies. A toutes. Intergénérationnellement .
La folie qu'on se trimbale depuis la nuit des temps. Ce trauma viral et virulent qui est le nid de ronces de toutes nos sociétés.
Il y a quinze ans que ce roman a été écrit par
Wendy Delorme et le voilà toujours d'actualité.
Même si il retrace l'histoire des années 2000 d'une société queer entre Paris et Sans Francisco, - cette
quatrième génération si bien expliquée par l'autrice de ce roman- et bien oui, ce roman est toujours d'actualité.
Roman, récit fictionnel, témoignage, manifeste,...
« C'est un livre écrit comme on parle, un flux de narration de soi, romancé ».
« Une impudeur totale des choses du sexe et une pudeur totale sur les douleurs de l'âme ».
Et c'est cette pudeur qui laisse entendre des cris silencieux, ces cris silencieux qui assignent des générations de femmes au rang de « folles ».
Mais pourquoi folles ? Et qui réellement les disent folles ?
« Dans la famille toutes les femmes sont folles, de génération en génération. Lisa et moi ont a respectivement hérité de maman les tendances suicidaires et la nymphomanie. Mais c'est pas génétique, c'est à cause des mensonges qu'on nous raconte depuis qu'on est toutes petites ».
L'humour, la dérision sont présents. Mais ils sont boucliers, ni l'un ni l'autre ne sont là pour travestir la réalité. Et ça cela s'appelle avoir du talent. La capacité aussi de prendre de la distance par rapport au sujet, c'est également du talent. Car jamais
Wendy Delorme ne verse dans le pathétique, le drame. Il y a l'ivresse, la défonce, les joies, les effondrements, les amours, les amitiés, les dangers, la solidarité , tout un univers alternatif que
Wendy Delorme offre à notre regard, à notre écoute. Toujours cash , jamais trash.
Oui c'est dans les moments de fracture que j'ai surtout aimé le récit de
Wendy Delorme. Ces images qu'elle dresse , ces absences qu'elle décrit, et le chemin d'écriture qui peu à peu fait apparaître la violence d'un monde qui pousse les femmes vers ce que le monde des hommes appelle « folie ».
La lobotomie de l'arrière grand-mère enfermée à vie en hôpital psychiatrique, la défenestration de la jeune soeur, les hurlements de la mère, la quête débridée et effrénée de Marion, la narratrice de ce récit, les exils familiaux, les superstitions, les fugues, les non-dits que cachent tous les cris, le détournement des regards.
En lisant ce roman vous comprendrez la source de ces traumatismes, de nos traumatismes. Et le talent c'est d'avoir pu à travers l'écriture partager l'histoire qui nous relie toutes et tous, c'est en soi une performance.
La violence de ce monde normatif, répressif, moraliste, intolérant, haineux, provient d'une construction mentale d'un groupe d'humains qui a hiérarchisé, et théorisé toutes les structures mentales de la société dans le seul but de dominer le reste, c'est à dire la majorité du restant de l'humanité . Un fascisme institutionnalisé, une fiction létale.
Les femmes qui écrivent ne sont pas dangereuses , elles sont précieuses.
Non le récit de
Wendy Delorme n'est jamais violent. Ou plus exactement, la violence apparaît uniquement lorsque les violences sexistes, qui parsèment l'histoire familiale, sont révélées.
Quinze ans. Quinze ans depuis sa première parution. Preuve est faite que cela fait des années que les femmes parlent. Quelles ont pour quelques unes, décidé de prendre la parole, de quitter « leur cuisine » , où elles parlaient entre elles depuis la nuit des temps.
Fallait il encore qu'ont les écoute, et que l'on comprenne que cela nous concernent tous.
Roman sociologique, politique, intergénérationnel.
Merci aux Editions Points et à Babelio pour cet envoi.
Opération Masse critique octobre 2022.
Astrid Shriqui Garain