A literary and artistic meditation on the theme of night travel from two of our greatest contemporary creative talents, Quentin Blake and Will Self. Discover more of the book here: https://bit.ly/2lOpzsr
Animation: by YUKIMOTION based on illustrations by Quentin Blake
Les gens ne savent plus où ils sont. A notre époque post-industrielle... n'importe qui peut partir rendre visite aux pygmées de l'Ituri, mais combien de personnes ont fait à pied le chemin qui va de l'aéroport à leur maison ?
A l'heure d'internet, de la liberté de circulation des informations, si on s'exprime publiquement, on prend la responsabilité d'être entendu n'importe où sur la planète, avec les conséquences que cela implique. La liberté d'expression n'est donc plus un simple enjeu national. Il faut prendre en compte ses répercussions dans le monde entier.
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Le Web est en train de changer très profondément la notion d'individu. Le fait d'accepter d'être sous surveillance permanente montre qu'une nouvelle conception de l'identité voit le jour. Le besoin d'être en contact permanent avec le groupe, en mettant beaucoup moins l'accent sur l'attachement romantique à une seule personne... Une nouvelle façon d'être apparaît à l'état d'embryon.
(propos receuillis par Marine Landrot pour Télérama)
Les femmes, c'est comme les ouragans : quand elles débarquent, elles sont tout humides et chaudes, et quand elles foutent le camp elles vous prennent votre maison et votre voiture.
Dave emmenait des drogués chercher de la came à All Saints Road, des putains se faire baiser à Mayfair, des joueurs parier sur Gloucester Road, des chirurgiens charcuter à Bloomsbury, des sous-chefs cuisiniers hacher à Soho. Il ne remarquait rien, ne retenait rien - simplement heureux de conduire, d'aller par les rues murmurantes, sentant la surface sous ses roues passer du lisse au rugueux, du rugueux au plus rugueux, du plus rugueux au défoncé. Dans les aubes blanches, quand Hyde Park bouillonnait de brume, il se retrouvait foncer dans Belgravia, une maigre clope fichée dans son crâne, et à la vue des queues de demandeurs de visas - déjà alignées devant les consulats à cette heure matinale - l'idée lui venait que "c'est là les gens que j'ai déposés il y a quelques heures... Cet endroit leur sort par les yeux autant qu'à moi..."
À Chelsea, Thomas More se leva brusquement, son nez doré lançant des éclairs, tandis que de l'autre côté du fleuve les Bouddha aux oreilles tombantes s'agitaient dans leur pagode. En haut du cimetière de Highgate, la tête colossale de Marx tremblé, avant de rouler en bas de la colline en écrasant les tumulli des tombes récemment creusées. Toutes se dirigeaient vers Trafalgar Square, où le Nelson de cinq mètre de haut descendait prudemment de sa colonne, tandis qu'Edith Cavell passait d'un pas alerte devant St Martin-in-the-Fields, ses jupes de marbre raclant dans un bruit de ferraille les barrières pour piétons.
Les pensées de Böm portaient sur d'autres choses, car même en pleine fuite, son esprit spéculatif l'avait emporté et il flottait à l'intérieur de lui-même vers là où il pourrait entendre le second Livre crier depuis les rochers de Nimar. S'il est toujours là-bas... songeait Bôm... s'il est toujours là-bas, il aurait peut-être encore le pouvoir d'ébranler le PCO jusqu'au coeur. Il pourrait nous expliquer à nous-mêmes... l'Ingleterre - et même le monde entier....

Je suppose que quiconque regarde pour la première fois une nouvelle théorie explicative de grande échelle doit ressentir ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Une poussée d’orgueil immodéré me gonfla le cœur, j’avais devant les yeux l’expression formalisée du sens ultime de la vie, de la matière même de la terre et de l’existence humaine.
« Et si…, pensai-je, et si… il n’y avait qu’une quantité donnée de santé mentale dans une société donnée à un moment donné ? » Aucune des théories connues sur la psychologie anormale n’avait encore envisagé cette dimension sociétale. Pendant des années, j’avais cherché une hypothèse capable de relier la psyché individuelle au groupe. Or la solution était devant moi depuis le début. J’ai continué, j’ai insisté, j’ai cogité, j’ai rempli la théorie, ou plutôt elle s’est remplie d’elle-même. Elle pétilla et prit forme, comme une fleur de papier se déployant dans l’eau. « Et si, pensai-je encore, si toute tentative de soigner les manifestations de la démence dans un secteur donné de la société avait pour résultat leur résurgence dans un autre secteur de la société ? »
« Qu’est-ce qu’il y a de plus vilain au monde, papa ?
- Qu’est ce que t’as dit, Tiger ?
- Qu’est-ce qu’il y a de plus vilain au monde ? » Carl se tenait debout devant Dave en pantalon de pyjama imprimé de bébés éléphants. Ses dents de devant étaient de gros pitons blancs dans son visage joufflu de gamin de six ans. « Papa, qu’est-ce qu’il y a de plus vilain au monde ? » Il se répéta, et puis parce qu’il était un gosse intelligent, jamais troublé comme son père par la pure absence de forme de tout, il fournit sa propre réponse : « C’est de se tuer soi-même ? »
[…]
« Le pire, croassa Dave à haute voix, la pire chose au monde est de se tuer, Tiger, mais pas si tu le fais pour t’empêcher de tuer quelqu’un d’autre. »
Zweijärig soupira profondément. C'était un homme de taille moyenne, au visage hâlé et sensuel, l'élégance bon teint, toujours vêtu d'un costume trois pièces sobre et classique. Celui-ci avait été acheté par Frau Doktor Zweijärig chez Barries, le magasin anglais de la Goethestrasse - car Zweijärig aimait beaucoup la coupe des costumes de businessman anglais, qui seyaient à son conservatisme. C'était peut-être parce qu'il n'était pas natif de Francfort, mais un transfuge sudète, qu'il ressentait si fortement l'impétuosité de sa ville d'adoption.
Dorian s'arrêta sur le seuil, la hanche saillante, le visage maussade, les cheveux en bataille. Wotton se tut, percevant une présence. Les deux hommes se tournèrent vers ce nouvel Adonis, et tout fut dit en quelques regards. Leur évaluation fut chaleureuse, la sienne froide, leur réévaluation plus chaleureuse encore, la sienne glaciale. C'était le triangle attendu, le triangle éternel : Baz aimerait toujours Dorian, Wotton n'aimerait jamais Dorian mais le désirerait constamment, Dorian tromperait Baz et n'aimerait jamais personne.