Citations de Xiaolong Qiu (479)
Comme le lui avait fait remarquer Lu, surnommé « le Chinois d'outre-mer », - un terme qui n'était pas positif, car on pouvait l'utiliser, dans les années soixante, pour décrire quelqu'un de politiquement instable, lié au monde occidental, ou encore l'associer à un mode de vie bourgeois extravagant - (...)
Le juge Ti n'était pas juge, au sens strict du terme, même s'il lui était arrivé de diriger des procès au cours de sa très longue carrière. On le surnommait juge à cause de l'absence de séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif sous la dynastie Tang.
En Chine, il fallait savoir lire entre les lignes, comme dans une peinture traditionnelle où les vides sont souvent plus parlants que les pleins.
D’après un blog, tout n’était pas perdu pour l’inspecteur. Le congé laissait entendre qu’il n’était peut-être « pas totalement fini et qu’il pourrait bien revenir sur le devant de la scène si l’opportunité se présentait ».
Chen n’était pas aussi naïf. Se tournant sur le côté, il attrapa son téléphone portable sur la table de nuit. Il tomba aussitôt sur un court article du Wenhui à propos d’une rencontre d’auteurs chinois et français qui avait eu lieu à l’Association des écrivains de Shanghai. Son nom figurait sur la liste des invités avec entre parenthèses la mention « en congé de convalescence ». Sous l’article, plusieurs internautes avaient recopié l’expression en y ajoutant toutes sortes d’émojis grimaçants et rageurs, dont un clown blanc en train de creuser une tombe comme dans une pièce de Shakespeare.
Comme le terme signifiait clairement que l’ancien inspecteur avait des ennuis politiques, la rumeur ne cessait d’enfler sur Internet et malgré le contrôle effréné du gouvernement, les commentaires poussaient chaque jour comme des mauvaises herbes.
Après avoir été écarté de la police, il avait été nommé directeur du Bureau de la réforme du système judiciaire, un poste sans pouvoir réel, puis envoyé en « congé de convalescence ». Les autorités avaient communément recours à ce stratagème lorsqu’elles jugeaient un cadre du Parti inapte à exercer ses fonctions sans oser le destituer officiellement. Au bout d’un certain temps d’absence, le cadre pouvait disparaître de la circulation sans faire de vagues.
« Tu n’espères pas te convertir », murmura-t-il en se rappelant vaguement un vers de T.S. Eliot. Il bâilla et regarda le soleil paresseux projeter à travers les rideaux à carreaux des ombres louches annonciatrices d’une nouvelle journée oisive.
Pour une fois, il n’était pas pressé de se lever. D’ailleurs il était censé se reposer. Après avoir été écarté de la police, il avait été nommé directeur du Bureau de la réforme du système judiciaire, un poste sans pouvoir réel, puis envoyé en « congé de convalescence ».
Trempé de sueur froide, Chen se réveilla en sursaut et comprit avec soulagement qu’il ne s’agissait que d’un cauchemar, mais le sentiment de malaise provoqué par ces images persista.
Pourquoi s’inquiétait-il encore ?
Depuis qu’il était en « congé de convalescence », il faisait souvent des rêves étranges. Dans celui-ci, il se trouvait à la cour d’un splendide palais impérial aux colonnes ornées de gigantesques dragons sculptés. Au lieu d’être vêtues à l’ancienne, les personnes assemblées autour du trône étincelant portaient des habits modernes, principalement des costumes d’hommes d’affaires ou des vestes Mao. Ignorant l’identité du souverain, Chen se demandait s’il devait s’agenouiller comme les autres quand soudain, un dragon doré s’arracha violemment de son pilier vermillon, cracha du feu et s’envola au-dessus de la foule au milieu des cris et de la panique générale. La bête fit trembler le palais tout entier, puis transperça le toit et fila vers le ciel…
Chen Cao, ancien inspecteur principal de la police de Shanghai et actuel directeur du Bureau de la réforme du système judiciaire, s’agita dans son sommeil.
- Le monde est aussi un peu comme une peinture. tant qu'on fait partie du tableau, on peut ne pas voir la perspective. Alors que si on en sort, on peut voir des choses qu'on n'avait jamais vues avant.
- Anguille et riz sauvage croustillant, crevettes d'eau douce vivantes à l'eau salée, tofu maison aux oignons verts et huile de sésame,dates farcies au riz gluant, émincé de porc xiao et tendons de bœuf épicés. Des recettes traditionnelles de Shaoxing.
Eh bien, je suis comme l'aveugle du proverbe " qui conduit un cheval borgne au bord d'un lac impénétrable dans la nuit ténébreuse", répondit Chen, évasif.
Il aurait bien aimé ressembler à autre chose qu'à un flic.
En effet, l’inspecteur principal Chen voulais éviter les discussions téléphoniques au bureau, où des personnes comme le secrétaire du Parti Li entraient sans frapper -en voilà un qui n'avait pas encore inclus le mot privacy dans son vocabulaire.
Chen commanda une portion de bouchées au porc haché, des beignets de crevettes à carapace transparente, des bâtonnets de tofu fermenté, de la bouillie de riz avec un œuf dit "de mille ans", du tofu frais saupoudré de ciboule. Le tout servi en petits plats individuels.
J’ai suggéré à je ne sais combien de clients une spécialité de la maison, la cervelle de singe vivant, par exemple, mais aucun ne l’a commandée.
Je ne leur en veux pas. C’est trop cruel, avec le chef qui scie le crâne rasé du singe et en sort des louches de cervelle devant les convives pendant que le singe se débat en hurlant de douleur…
Chen aperçut au coin d'un rue transversale ombragée un vendeur de tofu puant penché au dessus d'un wok sur un réchaud portable. La brise lui était parvenue chargée de l'odeur forte. Un casse-croute typique de Shanghai avec un goût aigre particulier que Chen aimait beaucoup.
"Et vous ne savez pas non plus si le bureau existera encore quand vous reviendrez... Si vous revenez....
- Le bureau a été créé il y a un mois seulement, quand j'ai été démis de mes fonctions dans la police.
Dis-toi bien/Que l'histoire a maints passages subtils, maints corridors/ Et issues dérobés.. Désolé, je cite toujours Eliot. (poème Gerontion, de T.S. Eliot)
-- Une des choses que j'ai retenues de mes cours à la fac, c'est que l'histoire est toujours l'histoire d'aujourd'hui. Les gens ne cessent de l'interpréter et de la réinterpréter selon le point de vue du moment. Il ne faut donc pas prêter trop d'attention à ce que les autres ont dit avant nous.
- Et au moment où nous parlons, le présent est déjà en train de devenir le passé.
- Il ne nous reste donc que le moment présent, fugace et fragile. Qu'arrivera-t-il demain ? Personne ne le sait".
Un claquement furieux les sépara dans un sursaut. Chen leva la tête et crut distinguer une forme noire qui volait près de la vitre. Sans doute un oiseau que la lumière avait attiré et qui se débattait pour retrouver son chemin. Il ouvrit en grand la fenêtre.
Sidéré il se retrouva face à un drone de la taille d'un gros corbeau. En tant qu'ancien policier, il avait du mal à croire que cet objet se soit trouvé là par hasard.
"On vous suit jusqu'ici ? observa Jin, en remettant sa main dans la sienne.
- Ne vous inquiétez pas. Les gens riches ont tous des drones. Ils les font voler comme des cerfs-volants.
- Même dans les montagnes ?"
Il ne dit rien. Elle connaissait déjà la réponse.
Chen sentait la colère monter en lui. Même dans les montagnes, il n'était jamais tranquille...
Et pour une fois, il n'était pas seul...
Dehors, les montagnes se perdaient dans l'obscurité.